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Un Nobel nommé Annie

Par Pierre Béguin

J'apprends à l'instant, par Pascal Décaillet en l'occurrence, qu'Annie Ernaux est désormais nobélisée. Une excellente nouvelle!

Je me permets de faire ressurgir du passé, une fois n'est pas coutume, un article paru sur Blogres il y a une dizaine d'années lors d'une rencontre avec Annie Ernaux à la Société de lecture.

Annie Ernaux.PNG"Beaucoup plus ronde dans ses propos, ses manières, sa tonalité que son écriture comme un couteau aurait pu le laisser supposer, elle parle, Annie Ernaux. Elle parle beaucoup, anticipe parfois la fin des questions du journaliste, commence une phrase, la suspend, la reprend par un autre bout, ou en commence carrément une autre. Si son style, décapé jusqu’à l’os, sait extraire l’essence même des choses, ses propos, eux, véhiculent une masse de sentiments et de pensées portée par la passion. Si son écriture limpide, où la métaphore se fait très rare, a la précision de l’anthropologue, son verbe est plus enrobé, plus prolixe, comme s’il rendait compte, au début même du processus littéraire, de la difficulté d’une démarche exigeante et risquée.

C’était mardi soir à la Société de lecture. En inconditionnel de cette œuvre originale, aux confins des genres, je n’aurais pour rien au monde raté ce rendez-vous. Je n’ai pas été déçu. On affichait complet pour la circonstance.

Que celles ou ceux qui n’ont pas encore lu Annie Ernaux fassent rapidement amende, honorable ou non. Ni autobiographie, ni autofiction, ni confession. Un «je» qui transcende l’individu, un «je» transgénérationnel, un «je» qui a valeur de «nous» et qui devient le «je» d’un lecteur qui peut ainsi se substituer à l’auteur et retrouver sa propre histoire. Il lui suffit de changer les noms...

Comme dans l’admirable Les Années. Une fulgurance, un chef-d’œuvre. «Au début, pas de «je», ça ne devait être qu’un «nous». Les photos personnelles se sont imposées a posteriori. Il m’a semblé qu’elles apportaient un plus» précise l’auteur. Je souscris. Des années 1940 à 2007. Toute l’histoire de générations racontées avec la fluidité d’un imparfait récurrent, où la démarche est signalée au fil même du récit. Autobiographie collective. Similitude de nos vies. Négation de l’expérience personnelle. Renvoi de l’individu à une masse commune d’expériences et d’idées identiques. Inventaire précis et complet d’une évolution social qui s’accélère jusqu’à l’absurde, où plus rien n’a le temps de s’inscrire dans les consciences et d’accéder au réel.

«Il y a quelque chose d’irréel à raconter une expérience d’écriture somme toute immontrable – écrit Annie Ernaux dans L’écriture comme un couteau – quelque chose qui se dévoile peut-être autrement. Par exemple dans cette image indélébile d’un souvenir qui vient de faire surface, une fois encore: C’est juste après la guerre, à Lillebonne. J’ai quatre ans et demi environ. J’assiste pour la première fois à une représentation théâtrale, avec mes parents. Cela se passe en plein air, peut-être dans le camp américain. On apporte une grande boîte sur scène. On y enferme hermétiquement une femme. Des hommes se mettent à transpercer la boîte de part en part avec de longues piques. Cela dure interminablement. Le temps d’effroi dans l’enfance n’a pas de fin. Au bout du compte, le femme ressort de la boîte, intacte»".

Annie Ernaux: La Femme gelée, La Place, La Honte, Une Femme, Les Années, et bien d’autres textes à lire toute affaire cessante si ce n’est déjà fait.

 

Commentaires

  • Très heureux que cette distinction ait été attribuée à Annie Ernaux.Je me permettrai d'ajouter aux compliments de l'Académie de Stockholm qu'Annie Ernaux a su mêler dans son oeuvre la simplicité et la sincérité populaires à la finesse d'analyse d'une pensée subtile et profonde.Le mariage heureux de ces mondes si différents est rare, précieux, bouleversant même.
    « La Place » est un chef d’œuvre qui appartient déjà à la grande littérature classique.C’est un texte que l’on n’oublie pas.

  • S'il convient de distinguer l'auteur de son oeuvre, rappellons quand même que Annie Ernaux a cosigné dans le quotidien Le Monde une tribune de soutien à Houria Bouteldja, antisémite notoire, et a appelé au boycott d’une manifestation culturelle franco – israélienne. Son amie Bouteldja juge que Miss Provence était indigne de participer à Miss France, parce qu’elle avait un père israélo-italien. Elle trouve d’ailleurs d’une manière générale qu’on «ne peut pas être israélien innocemment» et suggère d’envoyer tous les sionistes au Goulag. C’est cette scélérate proche des pires ennemis de Juifs que soutient Annie Ernaux, qui n’a même pas l’excuse de l’ignorance.

  • Il y a un délit d'anti-sémitisme qui a force de loi chez la Tdg. Mais y a t-il une façon de qualifier le dernier commentaire ci-dessus, qui ne me paraît guère plus ragoûtant ? Et je m'exprime par euphémisme...

  • "Elle trouve d’ailleurs d’une manière générale qu’on «ne peut pas être israélien innocemment» et suggère d’envoyer tous les sionistes au Goulag" (Frenkel)

    Le Goulag ukrainien. Vous avez oublié le ukrainien après le Goulag.

  • Encore un appel à l'autodafé. Appel à la censure d'autant plus cocasse que ces commentaires dénonçant un supposé délit moral proviennent systématiquement de quelqu'un qui tente de se faire passer pour un amoureux de la littérature sur les pages du blog de la TdG. Il ne s'agit plus d'un blog mais d'un tribunal médiatique. Et comme de bien entendu, une accusation gratuite qui vient effacer l'impact d'une oeuvre toute entière. Au lieu de s'intéresser à l'oeuvre, les simples d'esprit se borneront à ânonner les mêmes ragots sans fondement.
    Merci pour vos lignes M. Béguin.

  • M.Frenkel m'envoie en Cc son mail, le voici. Jugez-en vous-même...

    Bonjour Monsieur Bot,

    Voici le commentaire du pseudo Géo :

    Il y a un délit d'anti-sémitisme qui a force de loi chez la Tdg. Mais y a t-il une façon de qualifier le dernier commentaire ci-dessus, qui ne me paraît guère plus ragoûtant ? Et je m'exprime par euphémisme...

    Le dit commentaire est discourtois, et contrevient donc à la charte de la TDG régissant l'espace blog. Merci d'en avertir l'auteur.

    Respectueusement.

    David Frenkel

  • Une fasciste anti juif défendant le terrorisme palestinien. Quel monde !

  • Je me suis contenté d'écouter tout cet été le soir sur France Culture la sublime Ludmilia Mikael nous lire annie ernaux! Heureusement qu'il y avait la voix de Ludmilia Mikael sans ça, je ne sais que ce qu'il resterait! je l'ai écouté aussi sur france culture. Nos obsessions sexuelles ne doivent pas sortir de l'alcôve, elle les étale au grand jour, c'est indécent et surtout très gênant! Je ne lui trouve "rien" ou plutôt ce "rien" qu'elle trimbale partout ne m'est rien! On peut donc très bien vivre sans ses souvenirs et ses réflexions sur tout et surtout sur rien! Ni Proust, ni Perec, ni Duras! Elle est france culturo compatible, aujourd'hui ce n'est plus un compliment pour moi, mais un signe de fermeture sur les autres!

  • Le Nobel à Madame Ernaux, c'est l'apothéose de la prof de lettres (de gauche) écrit Henri Quantin qui ajoute :
    "La platitude de sa vision du monde, à lire la presse enthousiaste, semble également intouchable. On croit pourtant lire, presque à chaque page, une défense et illustration d’un tract du SNES ou de Sud-Education, chantant le passé glorieux de la supposée libération du corps des femmes et appelant à une nouvelle vigilance. Sur ce point, le seul génie d’Ernaux est éditorial : il consiste à avoir découpé sa vie de femme de gauche en épisodes d’une série dont on sait d’avance que Marie-Claire et Elle l’applaudiront. (...) Reste Les Années, le seul livre qui dépasse le niveau du journal intime de l’adolescente révoltée qui a fait des études de Lettres, mais regrette de ne pas avoir trouvé de description d’avortement dans La Princesse de Clèves. Considéré à juste titre comme son chef-d’œuvre (« son » et non « un »), Les Années offre un tableau sociologique très réussi de soixante ans de vie de la société française : Ernaux nous plonge dans les images qui sont « les signes spécifiques de l’époque » et dans les mots de « cette rumeur qui apporte sans relâche les formulations incessantes de ce que nous sommes et devons être ».
    Bien à vous

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