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  • La Pensée des poètes

    Par Frédéric Wandelère

          On dit les poètes rêveurs. C’est un lieu commun; ce qui laisse entendre qu’ils n’ont pas les pieds sur terre. N’empêche qu’il leur arrive de mieux voir la réalité que les réalistes, les économistes, les juristes et tout ce que le monde, ou la société, fabrique de sérieux.

           Un exemple? Celui de Paul Claudel, ambassadeur de France à Washington de 1927 à 1933, qui discerne dès 1928 les causes de la crise de 1929 et voit dans le «tempérament spéculatif qui existe [aux États-Unis]» l’annonce de ce qui sera «une catastrophe pour le monde entier». Une partie de la correspondance de l’ambassadeur Claudel avec son ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, publiée en 2009 (La Crise. Amérique 1927-1932, Correspondance diplomatique, Éditions Métailié), montre un poète d’une lucidité et d’une vista infaillibles, analysant la balance des paiements et les faits, observant l’économie, la production industrielle, les jeux de la finance, la situation sociale, les comportements et en déduisant les conséquences, ce que les banquiers, les professionnels de l’économie et de l’argent ont été incapables de concevoir. Ils avaient la science, une science partielle, peu synthétique, mais pas l’imagination dont parlent admirablement Baudelaire et Valéry, ni la culture qui la soutient et parfois y supplée.

           Dans un domaine plus directement politique, on admirera autant la lucidité et la haute tenue morale de Pierre Jean Jouve, gaulliste de la première heure, ou celle de Pierre Emmanuel. Même observation pour Georges Séféris, poète et diplomate, lequel garde toute sa lucidité dans le foutoir grec des années catastrophiques qui précèdent et suivent l’agression italienne et l’occupation allemande, comme le montrent les pages récemment traduites de ses Journées 1925 – 1944 (Le Bruit du Temps éditeur, 2021)... Il sera prix Nobel en 1963 – mais le prix ne récompensait pas sa lucidité politique!

           On alléguera bien entendu des contre-exemples. Le plus fameux est celui d’Alexis Léger, secrétaire général du Quai d’Orsay jusqu’en 1940, Saint-John Perse en poésie. Grand poète assurément, mais grand maître aussi de l’ambigüité et du double langage, qui passera son exil américain à débiner de Gaulle auprès de Roosevelt, à lui mettre les bâtons dans les roues tant qu’il pourra; à se tromper dans ses jugements et ses choix – misant sur Henri Giraud, pour nuire à de Gaulle – aveuglé par sa vanité mais sauvé, ensuite, par sa courtisanerie auprès de Dag Hammarskjöld (qui lui obtiendra le Nobel) et la suprême habileté qui lui permettra, enfumant ses intrigues, de séduire Roger Caillois, puis Jean Paulhan.

           On élargira ces réflexions et constatations en parcourant une anthologie récente et substantielle, La Pensée des poètes (Folio, Essais, Gallimard, 2021) établie par Gérard Macé. Cette pensée, ou ces pensées, s’orientent vers de multiples directions, et touchent à de larges aspects de l’existence et de la réflexion, qu’elle soit éthique et politique (Aimé Césaire, André Breton et Michel Leiris jugeant le colonialisme), biologique (Mandelstam et Darwin), esthétique (Valéry, Leiris), musicale (Réda et le jazz), qu’elle touche à la mode (Baudelaire et le dandysme, et même le maquillage), à la physique (Charles Cros et l’enregistrement des sons), à l’érotisme (Desnos)... les domaines concernés par la pensée des poètes donnent peut-être un vertige kaléidoscopique.

            Difficile de faire la synthèse de ces 59 textes de réflexion. On retiendra particulièrement ceux qui touchent directement à la pratique poétique, à l’écriture, au sens et au mystère de l’invention. La présence polémique y est sensible. Réfléchissant au sens et à la portée de leur art, avisant les pratiques individuelles, les réussites ou les faiblesses de leurs confrères, les poètes aiguisent leur réflexion, affûtent leurs traits: le Breton de 1943, en passant, règle un compte esthétique avec Roger Caillois dont il dénonce des idées de «philistin», ce qui n’était en fait qu’une salve en réponse aux réticences moqueuses de Caillois qui s’amplifieront et s’exprimeront pleinement, en 1944, dans ses Impostures de la poésie. Michaux, plus convaincant, à mon sens, que Breton, saura distinguer dans les œuvres poétiques et les poses d’Eluard ou d’Aragon, ce qui relève de l’invention proprement poétique et ce qui relève des choix prosaïques de l’engagement politique. «Le poète ne fait pas passer ce qu’il veut dans la poésie. Ce n’est ni une question de volonté ni de bonne volonté. Poète n’est pas maître chez lui.» (p. 237) Pourquoi? «Mystérieusement, tel problème social, politique, qui émeut et intéresse l’homme dans la prose de l’existence, si je puis dire, perd, arrivé dans la zone de ses idées poétiques, tout trouble, toute vie, toute émotion, toute valeur humaine. Le problème n’y circule plus, n’y vit plus ou bien il n’est jamais descendu dans ces profondeurs. En poésie, il vaut mieux avoir senti le frisson à propos d’une goutte d’eau qui tombe à terre et le communiquer, ce frisson, que d’exposer le meilleur programme d’entraide sociale.» (p. 238) Le texte est de 1936.

            Vingt-trois grands poètes habitent ce volume. Chacun présenté en deux pages d’une efficacité et d’une originalité maximales, à la hauteur des leçons et de la pensée des Maîtres.

           La Pensée des poètes, Gérard Macé, Folio, Essais, Gallimard 2021

  • Mais jusqu'où s'arrêteront-iels?

    Par Pierre Béguin

    Moi, j’en étais resté naïvement à la querelle sur le sexe des anges, une question qui n’est, par ailleurs, toujours pas résolue et dont tout le monde se fout royalement.

    Décidément, je ne suis pas un bon progressiste. A l’inverse de cette cinquantaine de femmes, diacres ou pasteures, soucieuses de mener une réflexion rejoignant des préoccupations sociétales actuelles, qui, lors de la grève des femmes de 2019, ont dressé une liste de revendications envoyée à l’Église protestante genevoise (EPG). Des revendications comprenant une application stricte, dans tous les supports de communication, de l’écriture épicène, un engagement concret sur toutes les questions LGBTQIA+ et environnementales, à commencer par le réchauffement climatique (j’ai entendu personnellement un pasteur inclure cette problématique dans la prière dominicale), et, last but not least, comme on devait s’y attendre, une réflexion théologique sur la représentation de Dieu au-delà du genre.

    Eh oui! Car Dieu, figurez-vous, est perçu comme un homme, sage, bienveillant, avec une grande barbe blanche, sereinement assis comme un bonze sur un nuage. Et cette image genrée est absolument intolérable. Il faut que cela change, et vite, des fois qu’on pourrait le confondre avec un homme hétéro, blanc, de plus de cinquante ans!

    «Démasculiniser» Dieu de manière à ce que le Tout-Puissant ne véhicule aucun imaginaire genré relève donc de l’urgence ecclésiastique. C’est dorénavant le grand chantier lancé par la Compagnie des pasteurs et des diacres de l’EPG, qui entend plaider pour la possibilité de désigner Dieu par d’autres pronoms que «Il», soit par «Elle» (qui ne ferait alors que renverser la représentation sexuée), soit par «Iel».

    Chouette! Je me réjouis: «Notre Mère qui êtes aux cieux...» ou, mieux encore: «Iel qui êtes au cieux...»

    Voilà donc que le wokisme contamine même le spirituel, que la démarche de déconstruction des stéréotypes s’attaque aussi, de l’intérieur, aux églises, et qu’avec cet air du temps bientôt irrespirable se répand partout comme un gaz pesant le ridicule, la niaiserie, la crétinerie, le grotesque!

    Mais jusqu’où s’arrêteront-iels?

    Comment des théologiens, en l’occurrence des théologiennes, peuvent-iels confisquer la réflexion du Consistoire sur de telles inepties? Comment, par définition, le Tout-Puissant, qui fait du néant une cohérence, pourrait-Il être genré?

    Comment l’Église protestante peut-elle se perdre ainsi à se mêler de politique (elle avait déjà fait campagne pour l’initiative sur les multinationales)? Comment peut-elle s’inscrire dans la mouvance wokiste et introduire en son sein des idées qui, comme un cheval de Troie, a précisément pour objectif d'anéantir ce qu'elle représente? N’aurait-elle plus rien à proposer que de se raccrocher aux idées à la mode, même les plus sottes, quitte à en périr?

    La réponse est simple: comme beaucoup d’autres, ces femmes pasteures et diacres, sous couvert de progressisme, sont les dupes, les idiotes utiles d’une mouvance aux enjeux de laquelle elles n’ont tout simplement rien compris. En attendant, voudraient-elles vider les âmes et leur église qu’elles ne s’y prendraient pas autrement.

    «En tout cas, je peux vous dire avec une certitude quasi mathématique que le premier à s’en foutre, c’est Dieu» (Vincent Schmid, philosophe et pasteur à la retraite).

     

     

  • Parfum de la vie quotidienne (Julien Burri)

    par Jean-Michel Olivier

    images.jpegGrace est partie, sa blonde épouse au nom prédestiné, ou plutôt elle a disparu, mystérieusement, et le narrateur part à sa recherche,. Les sentiers qu'il emprunte, par les monts et les vaux, les forêts, les collines, le mènent invariablement au Clos, la maison de son enfance, faite de molasse et de tendres souvenirs.

    C'est le prétexte de Roches tendres*, le dernier livre de Julien Burri, journaliste et écrivain. Sa plume est toujours élégante et précise, d'une sensibilité à fleur de peau, et d'une belle puissance d'évocation. La nature, les fleurs, la terre, y sont célébrées avec un réel talent poétique. On rejoint ici la quête d'un Gustave Roud, infatigable arpenteur des collines du Jorat, pour qui les mots de la nature se fondent dans la nature des mots.

    images-1.jpeg« Molasse des mots dans la bouche, les mots tombent en sable avant d'être prononcés. La roche dit la débâcle discrète et le glissement des heures, elle dit l'érosion silencieuse, le roulement des glaciers, le ruissellement des orages, les grains dérobés aux pierriers. »

    Récit poétique plutôt que roman, Roches tendres*restitue —  c'est-à-dire réinvente — les charmes incandescents de l'enfance, dans cette maison de molasse, au pied d'une falaise abrupte. On aimerait bien sûr en savoir davantage sur les occupants de cette maison modeste, mais enchantée. Ils ne sont qu'évoqués (la mère dans sa cuisine, le frère Auguste, le père absent),. Comme Grace, leur ombre plane sur ces lieux de mémoire.

    « Je ne sens ni la poussière, ni les gravats, mais les odeurs d'avant, le parfum de la vie quotidienne se diffuse au-dessus du jardin. »

    Ce court récit se boucle sur lui-même : la maison de l'enfance est vouée à la destruction, avec trax et pelleteuses, mais Grace est revenue. 

    Est-ce à cette condition (l'enfance disparue en poussière) que l'on garde une chance de retrouver la grâce ?

    * Julien Burri, Roches tendres, éditions d'autre part, 2022.

  • Les Maîtres du vent

    Par Pierre Béguin

    « Les technologies vertes – devenir vert – c’est plus gros qu’Internet. Cela pourrait être la plus grosse opportunité économique du XXIe siècle ». (John Doerr (1), « Salvation (and Profit) in Greentech, » TED2007, mars 2007,

     (1) John Doerr est un capital-risqueur, l’un des premiers investisseurs de Google et d’Amazon.

     

    Maitres_du_vent_grand.jpgL’éditeur Bernard Campiche, dorénavant installé à Sainte-Croix, a commencé en fin d’année dernière à publier les œuvres complètes, en version poche (camPoche), de Michel Bühler, le plus connu des habitants de Sainte-Croix. Le second volume, paru en décembre 2021, est un inédit, intitulé Les Maîtres du vent, qui prend justement pour cadre cette commune du canton de Vaud, située dans le district du Jura-Nord vaudois entre Yverdon-les-Bains, Fleurier et Pontarlier. Un titre dont on perçoit dès les premières pages la portée ironique: ces Maîtres du vent ne dominent leur élément que du haut de leur prétention, de leurs mensonges et de leur cupidité.
    De quoi s’agit-il?
    Un parc industriel éolien va s’implanter de gré ou de force (les travaux de défrichement ont débuté l’année dernière) sur les hauteurs dominant Sainte-Croix et l’Auberson. L’acharnement des industriels et des autorités vaudoises à imposer ce projet, malgré vingt ans d’oppositions qui ont déchiré la population, vient du fait que les éoliennes de Sainte-Croix, en tant que plus ancien projet vaudois, sont devenues un symbole: si la résistance citoyenne devait l’emporter, tous les autres parcs prévus seraient remis en question; dans le cas contraire, la voie deviendrait libre pour dénaturer les crêtes du Jura par l’implantation d’une nouvelle espèce d’arbres de 150 mètres de hauteur et dont l’espérance de vie – mais sûrement pas l’exposition de leurs carcasses – ne dépasserait pas vingt ans.
    Les Maîtres du vent est la chronique de cette résistance citoyenne tenue par un membre du conseil communal – Michel Bühler était alors élu socialiste au conseil communal de Sainte-Croix avant qu’il ne démissionnât de l’un et de l’autre–, une chronique qui se transforme vite en une sorte de catalogue de toutes les entorses au processus démocratique qu’une Municipalité, en l’occurrence celle de Sainte-Croix (et derrière elle les investisseurs qui la téléguident), emploie pour s’imposer au conseil communal (contrats secrets, rétention d’informations, politique du fait accompli, manipulations, omissions, mensonges, etc.)
    L’auteur commence par planter le décor: la commune de Sainte-Croix se situe «à une altitude de mille mètres. Presque six mille habitants. Un gros village dans une cuvette, Sainte-Croix, où vit la majorité de la population. Au nord ouest, une longue crête, le Mont des Cerfs. De l’autre côté, un village rue, l’Auberson, et divers hameaux sur le plateaux des Granges. La frontière avec la France court pas loin, dans les forêts de sapins. Autour, des montagnes dont les plus hautes culminent à mille six cents mètres, le Chasseron, le Cochet, les Aiguilles de Baumes.» Autrement dit, des lieux épargnés par la modernité, dont les constructions les plus récentes remontent à cinquante ans au moins.
    Personne, même le plus illuminé des promoteurs, n’aurait l’idée saugrenue de construire une zone industrielle dans un tel décor, et si c’était le cas, il ne se trouverait pas un seul citoyen qui ne s’y opposerait pas aussitôt. Et pourtant, l’idéologie écologique peut être si aveuglante (et les profits qu’elle engendre si importants) qu’une bonne partie de la population ne voit pas d’un si mauvais œil l’implantation d’un parc éolien en un lieu naturel préservé. 
    Car il ne faut pas s’y tromper, l’implantation d’aérogénérateurs, une fois le vert de l’idéologie effacé, c’est ni plus ni moins l’industrialisation des campagnes et des montagnes: pollution du sol (par éolienne, 1500 tonnes de béton, des tonnes d’acier, de fonte, de cuivre et d’aluminium, présents dans la nacelle et le mât), pollution sonore (jusqu’à 40 dBA par éolienne), effets sur la santé des habitants (stress, maux de têtes et dépressions provoqués par les infrasons), des pales qu’on ne peut pas recycler, qu’il faudra enterrer en fin de vie, sur lesquelles se forment en hiver, lorsqu’elles sont à l’arrêt, des blocs de glace pouvant être projetés à trois cents mètres au moment de la remise en marche (gare aux promeneurs et aux skieurs de fond) – à ce sujet, il est prévu de chauffer les pales pour éviter ce risque; avec de l’électricité d’origine nucléaire?
    Seulement voilà! Le plus souvent, l’idéologie verte ne fleurit pas dans nos montagnes et dans nos campagnes, mais dans nos villes, par une espèce communément surnommée bobo, des citadins qui ont parfois acheté un petit bout de terrain et qui s’opposeraient férocement à l’implantation d’éoliennes dans leur arrière cour ou sur les lacs dont ils dominent la vue. Mais du moment que ces grandes hélices tournent loin de leur regard… Qu’ils imaginent pourtant une cinquantaine d’éoliennes sur le Léman, de Cologny à Nyon. Ça vous aurait une de ces gueules!
    Mais je m’égare. Revenons à nos moutons et à Sainte-Croix.
    Ce qui provoque avant tout l’ire de Michel Bühler, c’est le jugement rendu par le Tribunal fédéral suisse (TF), le 18 mars 2021, par lequel le parc industriel éolien prévu sur les hauts de Sainte-croix se voit attribuer l’appellation d’intérêt national. En voici la justification:
    «Les installations de production d’énergie éolienne offrent en effet de la flexibilité de production dans le temps et en fonction des besoins du marché et contribuent de manière significative à la sécurité de l’approvisionnement, en particulier en hiver où la consommation électrique est la plus élevée, en permettant de charger ou de décharger le réseau selon les besoins.» (Je souligne).
    Ah bon! En somme, selon les juges fédéraux qui ont rendu publiques ces insanités – des juges dont le pouvoir est absolu et dont la parole ne peut être contestée – les éoliennes peuvent fournir du courant même lorsqu’il n’y a pas de vent, et fonctionner à volonté, dans les deux sens, comme si elles étaient dotées à leur base d’un petit robinet qu’on pourrait ouvrir et fermer au gré de nos besoins. A moins que, en fait de robinets qu’on ouvre, il ne faille voir là la magie des subventions fédérales qui font tourner les pales et qui assurent la rentabilité de ces engins plus sûrement que le vent. (Pour information, la Confédération assure aux promoteurs un rachat de chaque kilowattheure à un tarif bien supérieur au prix du marché, un cadeau aux actionnaires généreusement financé par vous et moi). 
    «Même les partisans les plus convaincus de l’industrie éolienne, même les lobbyistes les plus grassement payés et les plus acharnés n’oseraient pas publier des âneries comme celles qui sont proférées ci-dessus», s’écrie l’auteur. On le comprend. Tout le monde sait, même le plus ignorant, que l’énergie produite par des aérogénérateurs est une énergie dite intermittente, c’est-à-dire correspondant à des flux naturels qui ne sont pas utilisables en permanence et dont la disponibilité varie fortement sans possibilité de contrôle. Exactement le contraire des affirmations du TF dont les arrêts, aussi ineptes soient-ils, sont pourtant sans appel. «Qu’est-ce donc qui peut expliquer l’existence, ici, d’une telle faute professionnelle? L’incompétence, le manque d’information, le travail de sape des lobbies? Bien sûr, j’hésiterais à ajouter à cette liste de suppositions d’autres raisons...» se questionne légitimement Michel Bühler. (Selon des estimations, on devrait hérisser la Suisse d’au moins 4500 éoliennes pour espérer remplacer les centrales nucléaires, «en priant Dieu qu’il fît du vent» comme le chante Brassens.)
    Sauf que, même incohérent, même mensonger, l’arrêt du TF est un oukase qui sonne le glas des résistants de Sainte-Croix. Quand il est question d’énergie renouvelable, la démocratie s’efface. Aux opposants, il reste la dérision. C’est en ce sens que Michel Bühler se propose de créer une nouvelle ONG répondant au sigle SSF (Souffleurs Sans Frontières), qui serait formée de volontaires ayant pour mission, les jours où Éole paresse ou fait grève, d’aller souffler sur les pales pour les faire tourner. Ainsi, le Tribunal suprême, qui ne peut pas avoir tort, ne sera pas pris en défaut. Car si la réalité se trouve en contradiction avec une affirmation d’une de nos institutions essentielles, dont les arrêts sont sans appel, c’est donc sur la réalité qu’il faut agir. CQFD. Dans les tragédies classiques, celles de Racine particulièrement, cette rédemption à l’envers est celle de Dieu par l’homme. À Sainte-Croix, plus modestement, ce sera celle des Institutions par les citoyens. Patriotes, à vos marques! 
    Michel Bühler précise que certains habitants des villes qui rêvent de polluer les crêtes, jurassiennes ou autres, pourraient être obligés, au vu de leurs opinions, de venir souffler solidairement avec lui. Mais que ceux-ci se réjouissent! Outre la bouche et le nez, les souffleurs, pour éviter au TF le ridicule, pourront mettre à contribution d’autres orifices naturels. Après un bon repas, quel joyeux défoulement! Et l’on verra bien, alors, qui sont vraiment les maîtres du vent! Dernière précision: les animaux sont admis (les vaches souhaitées), et tant pis pour les émissions de CO2!
    Enfin, pour se mettre au diapason des usages en vigueur dans les milieux de l’éolien, il sera observé la même opacité: toute contribution financière à cette ONG salvatrice de nos institutions restera strictement confidentielle. Vous êtes donc tous invités à passer au domicile de Michel Bühler à Sainte-Croix pour glisser vos billets sous sa table.
    Vive la Confédération! Vive le TF!

    Michel Bühler, Les Maîtres du vent, camPoche, 2021

    À écouter aussi la chanson Éoliennes sous ce lien: https://music.youtube.com/watch?v=wu4aHqTM3dI&list=RDAMVMwu4aHqTM3dI