Les Maîtres du vent (07/01/2022)
Par Pierre Béguin
« Les technologies vertes – devenir vert – c’est plus gros qu’Internet. Cela pourrait être la plus grosse opportunité économique du XXIe siècle ». (John Doerr (1), « Salvation (and Profit) in Greentech, » TED2007, mars 2007,
(1) John Doerr est un capital-risqueur, l’un des premiers investisseurs de Google et d’Amazon.
L’éditeur Bernard Campiche, dorénavant installé à Sainte-Croix, a commencé en fin d’année dernière à publier les œuvres complètes, en version poche (camPoche), de Michel Bühler, le plus connu des habitants de Sainte-Croix. Le second volume, paru en décembre 2021, est un inédit, intitulé Les Maîtres du vent, qui prend justement pour cadre cette commune du canton de Vaud, située dans le district du Jura-Nord vaudois entre Yverdon-les-Bains, Fleurier et Pontarlier. Un titre dont on perçoit dès les premières pages la portée ironique: ces Maîtres du vent ne dominent leur élément que du haut de leur prétention, de leurs mensonges et de leur cupidité.
De quoi s’agit-il?
Un parc industriel éolien va s’implanter de gré ou de force (les travaux de défrichement ont débuté l’année dernière) sur les hauteurs dominant Sainte-Croix et l’Auberson. L’acharnement des industriels et des autorités vaudoises à imposer ce projet, malgré vingt ans d’oppositions qui ont déchiré la population, vient du fait que les éoliennes de Sainte-Croix, en tant que plus ancien projet vaudois, sont devenues un symbole: si la résistance citoyenne devait l’emporter, tous les autres parcs prévus seraient remis en question; dans le cas contraire, la voie deviendrait libre pour dénaturer les crêtes du Jura par l’implantation d’une nouvelle espèce d’arbres de 150 mètres de hauteur et dont l’espérance de vie – mais sûrement pas l’exposition de leurs carcasses – ne dépasserait pas vingt ans.
Les Maîtres du vent est la chronique de cette résistance citoyenne tenue par un membre du conseil communal – Michel Bühler était alors élu socialiste au conseil communal de Sainte-Croix avant qu’il ne démissionnât de l’un et de l’autre–, une chronique qui se transforme vite en une sorte de catalogue de toutes les entorses au processus démocratique qu’une Municipalité, en l’occurrence celle de Sainte-Croix (et derrière elle les investisseurs qui la téléguident), emploie pour s’imposer au conseil communal (contrats secrets, rétention d’informations, politique du fait accompli, manipulations, omissions, mensonges, etc.)
L’auteur commence par planter le décor: la commune de Sainte-Croix se situe «à une altitude de mille mètres. Presque six mille habitants. Un gros village dans une cuvette, Sainte-Croix, où vit la majorité de la population. Au nord ouest, une longue crête, le Mont des Cerfs. De l’autre côté, un village rue, l’Auberson, et divers hameaux sur le plateaux des Granges. La frontière avec la France court pas loin, dans les forêts de sapins. Autour, des montagnes dont les plus hautes culminent à mille six cents mètres, le Chasseron, le Cochet, les Aiguilles de Baumes.» Autrement dit, des lieux épargnés par la modernité, dont les constructions les plus récentes remontent à cinquante ans au moins.
Personne, même le plus illuminé des promoteurs, n’aurait l’idée saugrenue de construire une zone industrielle dans un tel décor, et si c’était le cas, il ne se trouverait pas un seul citoyen qui ne s’y opposerait pas aussitôt. Et pourtant, l’idéologie écologique peut être si aveuglante (et les profits qu’elle engendre si importants) qu’une bonne partie de la population ne voit pas d’un si mauvais œil l’implantation d’un parc éolien en un lieu naturel préservé.
Car il ne faut pas s’y tromper, l’implantation d’aérogénérateurs, une fois le vert de l’idéologie effacé, c’est ni plus ni moins l’industrialisation des campagnes et des montagnes: pollution du sol (par éolienne, 1500 tonnes de béton, des tonnes d’acier, de fonte, de cuivre et d’aluminium, présents dans la nacelle et le mât), pollution sonore (jusqu’à 40 dBA par éolienne), effets sur la santé des habitants (stress, maux de têtes et dépressions provoqués par les infrasons), des pales qu’on ne peut pas recycler, qu’il faudra enterrer en fin de vie, sur lesquelles se forment en hiver, lorsqu’elles sont à l’arrêt, des blocs de glace pouvant être projetés à trois cents mètres au moment de la remise en marche (gare aux promeneurs et aux skieurs de fond) – à ce sujet, il est prévu de chauffer les pales pour éviter ce risque; avec de l’électricité d’origine nucléaire?
Seulement voilà! Le plus souvent, l’idéologie verte ne fleurit pas dans nos montagnes et dans nos campagnes, mais dans nos villes, par une espèce communément surnommée bobo, des citadins qui ont parfois acheté un petit bout de terrain et qui s’opposeraient férocement à l’implantation d’éoliennes dans leur arrière cour ou sur les lacs dont ils dominent la vue. Mais du moment que ces grandes hélices tournent loin de leur regard… Qu’ils imaginent pourtant une cinquantaine d’éoliennes sur le Léman, de Cologny à Nyon. Ça vous aurait une de ces gueules!
Mais je m’égare. Revenons à nos moutons et à Sainte-Croix.
Ce qui provoque avant tout l’ire de Michel Bühler, c’est le jugement rendu par le Tribunal fédéral suisse (TF), le 18 mars 2021, par lequel le parc industriel éolien prévu sur les hauts de Sainte-croix se voit attribuer l’appellation d’intérêt national. En voici la justification:
«Les installations de production d’énergie éolienne offrent en effet de la flexibilité de production dans le temps et en fonction des besoins du marché et contribuent de manière significative à la sécurité de l’approvisionnement, en particulier en hiver où la consommation électrique est la plus élevée, en permettant de charger ou de décharger le réseau selon les besoins.» (Je souligne).
Ah bon! En somme, selon les juges fédéraux qui ont rendu publiques ces insanités – des juges dont le pouvoir est absolu et dont la parole ne peut être contestée – les éoliennes peuvent fournir du courant même lorsqu’il n’y a pas de vent, et fonctionner à volonté, dans les deux sens, comme si elles étaient dotées à leur base d’un petit robinet qu’on pourrait ouvrir et fermer au gré de nos besoins. A moins que, en fait de robinets qu’on ouvre, il ne faille voir là la magie des subventions fédérales qui font tourner les pales et qui assurent la rentabilité de ces engins plus sûrement que le vent. (Pour information, la Confédération assure aux promoteurs un rachat de chaque kilowattheure à un tarif bien supérieur au prix du marché, un cadeau aux actionnaires généreusement financé par vous et moi).
«Même les partisans les plus convaincus de l’industrie éolienne, même les lobbyistes les plus grassement payés et les plus acharnés n’oseraient pas publier des âneries comme celles qui sont proférées ci-dessus», s’écrie l’auteur. On le comprend. Tout le monde sait, même le plus ignorant, que l’énergie produite par des aérogénérateurs est une énergie dite intermittente, c’est-à-dire correspondant à des flux naturels qui ne sont pas utilisables en permanence et dont la disponibilité varie fortement sans possibilité de contrôle. Exactement le contraire des affirmations du TF dont les arrêts, aussi ineptes soient-ils, sont pourtant sans appel. «Qu’est-ce donc qui peut expliquer l’existence, ici, d’une telle faute professionnelle? L’incompétence, le manque d’information, le travail de sape des lobbies? Bien sûr, j’hésiterais à ajouter à cette liste de suppositions d’autres raisons...» se questionne légitimement Michel Bühler. (Selon des estimations, on devrait hérisser la Suisse d’au moins 4500 éoliennes pour espérer remplacer les centrales nucléaires, «en priant Dieu qu’il fît du vent» comme le chante Brassens.)
Sauf que, même incohérent, même mensonger, l’arrêt du TF est un oukase qui sonne le glas des résistants de Sainte-Croix. Quand il est question d’énergie renouvelable, la démocratie s’efface. Aux opposants, il reste la dérision. C’est en ce sens que Michel Bühler se propose de créer une nouvelle ONG répondant au sigle SSF (Souffleurs Sans Frontières), qui serait formée de volontaires ayant pour mission, les jours où Éole paresse ou fait grève, d’aller souffler sur les pales pour les faire tourner. Ainsi, le Tribunal suprême, qui ne peut pas avoir tort, ne sera pas pris en défaut. Car si la réalité se trouve en contradiction avec une affirmation d’une de nos institutions essentielles, dont les arrêts sont sans appel, c’est donc sur la réalité qu’il faut agir. CQFD. Dans les tragédies classiques, celles de Racine particulièrement, cette rédemption à l’envers est celle de Dieu par l’homme. À Sainte-Croix, plus modestement, ce sera celle des Institutions par les citoyens. Patriotes, à vos marques!
Michel Bühler précise que certains habitants des villes qui rêvent de polluer les crêtes, jurassiennes ou autres, pourraient être obligés, au vu de leurs opinions, de venir souffler solidairement avec lui. Mais que ceux-ci se réjouissent! Outre la bouche et le nez, les souffleurs, pour éviter au TF le ridicule, pourront mettre à contribution d’autres orifices naturels. Après un bon repas, quel joyeux défoulement! Et l’on verra bien, alors, qui sont vraiment les maîtres du vent! Dernière précision: les animaux sont admis (les vaches souhaitées), et tant pis pour les émissions de CO2!
Enfin, pour se mettre au diapason des usages en vigueur dans les milieux de l’éolien, il sera observé la même opacité: toute contribution financière à cette ONG salvatrice de nos institutions restera strictement confidentielle. Vous êtes donc tous invités à passer au domicile de Michel Bühler à Sainte-Croix pour glisser vos billets sous sa table.
Vive la Confédération! Vive le TF!
Michel Bühler, Les Maîtres du vent, camPoche, 2021
À écouter aussi la chanson Éoliennes sous ce lien: https://music.youtube.com/watch?v=wu4aHqTM3dI&list=RD...
17:34 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Tout cela confirme bien ce que je pensais. L'éolien est le moyen le plus rétrograde, inefficace, obscurantiste qui soit pour produire de l'énergie!
Écrit par : Jacques Davier | 08/01/2022