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  • Paul Thévenaz, étoile filante (Jean-Pierre Pastori)

    par Jean-Michel Olivier

    images.jpegIl existe, dans le domaine de l'art, des destins fracassés, lumineux et injustes. C'est le cas du peintre et décorateur genevois Paul, dit Paulet Thévenaz (1891-1921), foudroyé à Chicago par une péritonite à moins de 30 ans. Jean-Pierre Pastori, grand spécialiste de danse, nous en restitue le parcours singulier dans un petit livre épatant*, publié chez InFolio, dans la collection Presto.

    À l'origine, rien ne destinait Paulet Thévenaz à ce destin d'étoile filante. Père enseignant (à la fameuse et redoutée école du Grütli à Genève) ; notes scolaires assez médiocres ; manque d'application dans la vie quotidienne. Et pourtant, très tôt, des dons de dessinateur et de caricaturiste. Et une rencontre essentielle, déterminante, celle d'Émile Jacques-Dalcroze, qui lui inculque les bases de sa théorie du rythme et du mouvement.

    Très vite, Genève devient trop petite pour lui, il se rendra en Allemagne, où la rythmique intéresse beaucoup de monde. Puis à Paris où il rencontre la fine fleur de la création contemporaine, imagine un projet de ballet avec Cocteau et Stravinski, dessine, peint, danse.
    images-1.jpegJean-Pierre Pastori rend à merveille l'atmosphère effervescente du Paris des années 10, véritable fourmilière d'artistes géniaux. Thévenaz y trouve sa place grâce à ses talents de dessinateur et de peintre, mais aussi d'artiste complet qui place la musique et la danse au centre de l'acte de création.

    La dernière partie de sa trop courte vie, Thévenaz la passera aux États-Unis, soutenu par plusieurs mécènes, fréquentant la bonne société de la côté Est, les rich and famous, parmi lesquels le poète Witton Byner, qui lui dédie sa Ballad Of A Dancer. Débauche d'activité : à New York comme à Chicago ou à Miami, Thévenaz peint, dessine, danse, décore, expose.

    Mais la mort l'attend au contour : une péritonite le foudroiera à Chicago, laissant ses amis stupéfaits et bouleversés. « Jean Cocteau dira de ce garçon ardent, débordant de vie, épris de liberté, que c'était l'une des plus belles âmes qui soient. »

    * Jean-Pierre Pastori, Thévenat, Formes et rythmes, édition InFolio, collection Presto (dirigée par Patrick Amstutz et Frédéric Rossi).

  • Du sang, du sperme et des larmes (Jean-François Fournier)


    par Jean-Michel Olivier

    images-2.jpegCe qui frappe, tout d'abord, dans Les Démons du Pierrier* de Jean-François Fournier, c'est la force du style.  Une langue précise, musicale, truculente, si rare en Suisse romande. Dès la première phrase, le lecteur est happé et  ne lâche plus ce court roman de genre (« gore ») parfaitement construit et écrit.

    « La glace a l'intérieur des carreaux mesurait un demi-centimètre et le poêle aux faïences d'apôtres n'y pouvait rien. »

    D'emblée, donc, la patte de l'écrivain. Il faut dire que Fournier, journaliste, directeur de théâtre, ancien rédacteur en chef du Nouvelliste, a roulé sa bosse dans le monde entier et nous a donné, déjà, plusieurs livres remarquables. En plus d'un essai lumineux sur le peintre viennois Egon Schiele, il y a bien sûr les romans, dont les deux derniers en date, Le Chien** et Le Village aux trente cercueils***, hantent encore les mémoires. 

    images-1.jpegDans cette nouvelle collection, « Gore des Alpes », où il côtoie Philippe Battaglia et Gabriel Bender, Fournier s'en donne à cœur joie, sans retenue ni fausse pudeur. On patauge dans le Mal, l'animalité primitive, les instincts déchaînés. Comme dans son précédent roman, le cadre est un petit village sans histoire, perdu au fond d'une vallée qu'on imagine valaisanne, où la folie gronde en sourdine. Des histoires se racontent, en cachette, à propos du curé, du président de la Commune, de deux propriétaires terriens qui font la loi, mais sans jamais la respecter, aussi abjects et monstrueux l'un que l'autre. 

    images.jpegDes jeunes gens vont disparaître (de préférence vierges et innocents). On va incriminer le Diable, personnage principal  d'un complot bien pensé, des flots d'hémoglobine vont se répandre dans la vallée, une enquête va être menée par un certain Barthélémy Constantin (fils de), les jeunes de la commune vont aller consulter une sorcière, la bien-nommée Lucie des Fers, des actes contre-nature vont être commis, des larmes vont être versées. Fournier n'a peur de rien : il puise aux sources des grands polars américains, de la littérature gore et gothic, en laissant libre cours à sa truculence naturelle, à son goût de l'excès, à son plaisir presque enfantin de jouer avec les mots et leur musique. Il y a du Rabelais chez lui, mais aussi du Chessex et du Houellebecq : c'est dans l'excès et la folie que la vérité se fait jour. Et quelle vérité !

    Les Démons du Pierrier sont une grande réussite. C'est un livre de genre (comme on parle de « films de genre ») mais aussi un roman musical et puissant : l'intrigue est saisissante ; les personnages à peine sortis de l'animalité ; le style à lui seul une raison de dévorer ce livre.

    Un jour, il faudra bien rendre sa place à Jean-François Fournier : l'une des premières parmi les écrivains de ce pays.

    * Jean-François Fournier, Les Démons du Pierrier, éditions Gore des Alpes, 2020.

    ** Jean-François Fournier, Le Chien, roman, éditions Xénia, 2017.

    *** Jean-François Fournier, Le Village aux trente cercueils, roman, éditions Xénia, 2018.