Que prolifèrent les sceptiques!
Par Pierre Béguin
Certains termes subissent régulièrement, selon les exigences de la doxa, des déformations de sens qui finissent par leur faire dire le contraire de leur signification.
Ainsi du mot «sceptique» qui, dorénavant amputé de sa définition originelle, est devenu tout à coup une insulte: un «climato sceptique, par exemple, n’est plus qu’un dangereux dogmatique borné qui refuse d’admettre les bouleversements climatiques que la météo et toutes sortes de catastrophes naturelles rendent pourtant évidents, sans qu’aucune interrogation ne soit permise. Et ne parlons même pas des euro sceptiques ou des «mondialo sceptiques» qu’une gauche complètement détraquée relègue d’un revers de main dédaigneux dans les rangs de l’extrême droite!
Quel que soit le terrain où s’exerce actuellement la moindre velléité de scepticisme – y compris le vaccin Covid (et c’est un vacciné qui vous le dit) ou toutes les pseudo vérités brandies par le politiquement correct ou la bien-pensance – le verdict qui lui est réservé ne varie guère: ignorance, stupidité, dangereuse élucubration d’extrême droite, dogmatisme et, bien entendu – la dernière trouvaille incontournable –, complotisme (aucune chance d’échapper à ce qualificatif qui, d’un seul mot, tranche la gorge de l’argument le plus élaboré).
Bref, le sceptique est devenu un affreux individu infréquentable, de ceux qui puent de la gueule, qu’il faut pendre au plus vite au grand cacatois de la bien-pensance et de la doxa dominante.
Et pourtant, l’histoire moderne de la pensée (je ne remonterai pas jusqu’à l’Antiquité) comprend de grands sceptiques, à commencer par Montaigne, Hume, Nietzsche et même, à sa manière, Wittgenstein…
Il serait donc urgent de rappeler aux stupides censeurs de tous bords:
1. - Que le scepticisme est d’abord une pensée non dogmatique (contrairement à celle qui la dénigre actuellement), dont le principe méthodologique consiste à opposer, à toute raison valable (je souligne), une raison contraire et tout aussi convaincante. L’objectif d’une telle démarche vise à détruire les fausses opinions que nous soutenons à tout propos, qui nous trompent sur la nature des choses et nous empêchent d’atteindre l’ataraxie.
Toute l’entreprise de Montaigne est contenue dans cette définition. Et comme Montaigne, le sceptique laisse toujours ouverte la possibilité d’une réfutation, car il sait que le vérité est par définition insaisissable. Il ne s’arrête pas à une conclusion, il poursuit sa réflexion, pousse plus en avant sa recherche de sens, quitte à rester dans l’ignorance en n’admettant rien qui ne soit douteux.
Dans les jugements à l’emporte-pièce des thuriféraires de la doxa dominante, c’est Montaigne qu’on assassine. Mais peu importe à ces nouveaux inquisiteurs, car ils ne l’ont pas lu. L’ignorance, la stupidité, le dogmatisme, ne sont pas forcément là où on les désigne.
2. - Que toute vérité qui se prétend intangible et qui, par là-même, ne supporte aucune contradiction, s'apparenterait à de la propagande. C’est même à cela qu’on pourrait reconnaître la propagande, une propagande d’autant plus dangereuse qu’elle tend à s’imposer à n’importe quel prix, si possible par la prétendue nécessité urgente d’une gouvernance mondiale par essence dictatoriale.
Notre époque n’a pas besoin de dogmes et de certitudes – il n’en est que trop – mais de doutes, de scepticisme. On ne le répétera jamais assez: rien n’est plus dangereux que nos certitudes, surtout si elles se réclament du Bien, fût-il de la planète.
Que prolifèrent un peu partout les sceptiques! Il en va de notre salut.