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  • La voix de son maître

    Par Pierre Béguin

    Tribune de Genève, vendredi 24 mai :

    Genève à la pointe de la lutte contre le dumping salarial! Un dispositif paritaire unique en Suisse qui met à mal la sous-enchère! On croit rêver! Manchettes, gros titres, première page et deux autres pages pleines, tout le toutim! En matière de communication, le Conseil d’Etat a sorti la grosse artillerie. Pourquoi ce ramdam autour d’un tel sujet, tout à coup? Fallait-il qu’il eût quelque chose à justifier pour convoquer l’arsenal médiatique? «Avec le conseiller d’Etat Mauro Poggia en maître de cérémonie de la présentation» précise le journaliste. 

    Bon! Vous me direz: c’est sûrement vrai puisque c’est le Conseil d’Etat lui-même qui l’affirme. Rien de mieux que l’autocongratulation, à plus forte raison que, ces derniers mois, nos politiciens ne peuvent pas vraiment compter sur les autres pour leur tresser des louanges. Et pour une fois que Genève ne serait pas à la traîne helvétique, autant le clamer haut et fort. Cela dit, la Suisse étant, en matière de dumping salarial, classée parmi les cancres, être le meilleur des cancres ne signifie pas qu’on ait obtenu une bonne note. (On se demande bien d'ailleurs où sont les premiers de classe dans cette histoire.)

    Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, que Genève soit à l’avant-garde de la lutte contre le dumping salarial, je n’avais rien remarqué. Mais alors là, absolument rien! Et à voir tous les témoignages et récits prouvant le contraire qu’on m’a envoyés après mon post sur le scandale des tours des CFF (cf. Gotham City), je peux vous assurer que les principaux concernés, autant les syndicats ouvriers que patronaux, eux non plus n’ont rien remarqué.

    Ce qu’ils ont remarqué, en revanche, c’est le profond silence des instances idoines pourtant dûment interpellées à plusieurs reprises: silence de la fameuse Ocirt (Office cantonal de l’inspection et des relations du travail) dont l’efficacité est pourtant vantée dans l’article de la Julie, silence des commissions paritaires, silence des députés, silence des conseillers d’Etat eux-mêmes. Il est vrai que les milieux professionnels pourraient considérer le plaidoyer pro domo du Conseil d’Etat dans la presse comme une réponse aux doléances qui leur ont été adressées. Une sorte de réponse officielle comme les annonces au tambour d’autrefois sur la place publique, en quelque sorte. Oyez braves gens! Sauf que ce n’est pas cette réponse que les braves gens attendaient…

    Ce que je remarque, de mon côté, c’est la crainte de tous les chefs d’entreprises prétérités par le dumping salarial de s’avancer à visage découvert, autant dans les témoignages reçus après Gotham City que dans les nombreux commentaires qui ont suivi ce post. La raison en est simple: tous craignent – à tort je pense – de perdre des adjudications et de se voir exclus des mandats publics nécessaires à la bonne marche de leur entreprise. Dans tous les cas, on est loin de l’état des lieux idyllique dressé par le conseil d’Etat.

    Cela dit, n’étant personnellement ni entrepreneur ni employé – même si je reste outré en tant que citoyen que ces pratiques se passent chez moi –, je ne suis pas directement concerné et je ne vais pas en faire mon combat. Je laisserai cette mission aux personnes impliquées. Mais je ne peux m’empêcher de relever, une fois de plus, qu’en la circonstance la Tribune de Genève a parfaitement rempli son rôle de paillasson approbateur de la politique genevoise: faire passer la parole divine en utilisant tous les amplificateurs possibles et sans la moindre distance critique. Rappelons cette évidence trop souvent oubliée: que la presse doit exercer, dans une démocratie bien pensée, la fonction essentielle du troisième pouvoir pour autant qu’elle soit au service des gouvernés et non des gouvernants. En son temps, le Washington Post était cité en exemple pour avoir appliqué ce principe au risque même de son existence.

    D’accord! La Julie n’est pas exactement le Washington Post et elle ne le sera jamais. Ce vendredi, elle semblait même plus proche de La Pravda que du célèbre quotidien américain. Et quand la presse devient la voix de son maître, quand elle ne peut plus se permettre financièrement aucun travail d’investigation, quand la parole d’Etat peut se faire entendre sans la moindre distance critique, quand les principaux lésés rampent devant l’autorité, quand tout le monde s’en fout, on peut se demander où vont se terrer les principes de base d’une démocratie.

    Qu’un gouvernement s'octroie trois pages dans un quotidien pour louer les mérites de sa politique en matière de lutte contre le dumping salarial, c’est surtout utile… en vue des prochaines élections. Mais c’est l’économie locale qu’il faudrait sauver, pas nos élus! Dans cette perspective, secouer l’inertie des instances administratives chargées de ces questions semblerait plus pertinent que de vouloir dresser l’opinion publique en sa faveur. Il y a encore tant de failles dans le beau dispositif genevois unique en Suisse, etc. etc. (rhubarb! rhubarb! diraient les Anglais.)

    Pour commencer, il serait temps d’appliquer, voire de renforcer, l’article 5 de la loi fédérale sur les travailleurs[1] qui permet de faire remonter la responsabilité juridique au maître d’ouvrage ou à toute entreprise qui mandaterait une sous-traitance. Malheureusement, cette loi n’est visiblement pas appliquée, ou très peu. Et aussi longtemps que ce sera le cas, le merveilleux dispositif genevois censé mettre à mal le dumping salarial n’atteindra jamais le niveau d’efficacité souhaitable et souhaité ailleurs que dans les colonnes de la Tribune. L’affaire des tours des CFF aux Acacias racontée dans Gotham City en est une parfaite illustration: ni Implenia, ni les CFF, ni la Confédération, censés pourtant, selon l’article 5, «répondre civilement du non-respect par les sous-traitants des salaires minimaux nets et des conditions de travail», n’ont été mis en cause une seconde. Comme le faisait remarquer un commentaire: ailleurs qu'en Suisse, les CFF seraient dans un sacré pétrin!

    Les dizaines de témoignages analogues qu’on m’a fait parvenir depuis, dont les plus édifiants mériteraient de figurer prochainement dans Blogres, ne font que s’ajouter au malaise. Oyez, braves gens!

    Affaire à suivre?

    [1] Si des travaux sont exécutés dans les secteurs de la construction, du génie civil et du second-œuvre par des sous-traitants, l'entrepreneur contractant (entrepreneur total, général ou principal) répond civilement du non-respect par les sous-traitants des salaires minimaux nets et des conditions de travail.

    L'entrepreneur contractant répond solidairement de tous les sous-traitants lui succédant dans la chaîne contractuelle.

    (…)

     

  • Feria del libro, Bogota

    Los imperdibles de la FILBo 2019 según Laterales Magazine

    Felipe Sánchez Hincapié 
    29 / 04 / 2019

    Joselito carnaval, por Pierre Béguin

    Joselito1.jpgImagínese esta escena: mientras Barranquilla es un mar de color, baile, ron y frenesí por cuenta del carnaval; en la morgue de una prestante universidad se despierta un indigente rodeado de cadáveres. Su llegada fue conducida a través de engaños, e incluso sobrevive al intento de asesinato perpetrado por los guardas de seguridad, quienes pretendían traficar con sus órganos y su cadáver para estudios de anatomía. La historia, aunque espeluznante y delirante, fue real. Y si bien su protagonista se salvó de milagro, otros colegas recicladores, o “cartoneros” como los llamaban con desdén, no corrieron con la misma suerte. Tras conocerse su testimonio, empezó a revelarse una intriga que involucró a altas personalidades de la política, pero que el aparato judicial se encargó de ocultar, quedando primero relegada al escándalo momentáneo y luego al eterno olvido. El escritor suizo Pierre Béguin narra un capítulo de nuestra historia de infamias que a los ojos del presente resulta difícil de concebir, pero que no es más que la constatación de esa eterna violencia que, entre el carnaval y el martirio, nos sigue como la sombra.

    Pierre Béguin, Joselito Carnaval, Sílaba Editores, 2019

  • Des fleurs pour Michel Tournier (Serge Koster)

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown-3.jpegSi tous les écrivains ne rêvent pas d'écrire des best-sellers, tous, en revanche, rêvent d'avoir de bons lecteurs. Michel Tournier a eu cette chance : il a non seulement rencontré le succès avec ses livres (Le Roi des Aulnes, Prix Goncourt 1970), un succès mérité, mais il a eu la chance de trouver un excellent lecteur, subtil et acharné, en la personne de Serge Koster, critique littéraire, romancier, professeur de lettres féru de figures de style. images.jpegOn ne compte plus les textes que Koster a consacrés à l'auteur de Vendredi ou les Limbes du Pacifique, dont il fut un intime : en particulier, le magistral Michel Tournier, paru en 1986 chez Henri Veyrier, et réédité plusieurs fois depuis.

    Quand Koster apprend la mort de Tournier, en janvier 2016, c'est le choc : les deux amis ne s'étaient pas revus, ni parlés depuis longtemps. Et Tournier, mort à 91 ans, ignorait tout de la maladie pernicieuse qui rongeait Koster — la même qui a touché François Nourissier et tant d'autres écrivains : la maladie de Parkinson, baptisée Miss P.

    Depuis plusieurs années, Koster n'écrit plus. Son combat contre la maladie l'épuise. Il va reprendre la plume à la mort de Tournier, à la fois pour lui rendre hommage (quelques fleurs de rhétorique en guise de couronne) et pour lui dire, aussi, peut-être, tout ce qu'il a tu pendant si longtemps, ses cauchemars, le mal qui ronge ses nuits et bientôt ses journées.

    Unknown-4.jpegCela donne un extraordinaire petit livre, Tournier parti*, un livre bifide, à deux faces, presque à deux voix : le récit d'une amitié profonde et fidèle avec l'ermite de Choisel (c'est le côté solaire) et l'avancée subreptice de la maladie, qui provoque des visions terrifiantes et des hallucinations (c'est le côté nocturne). 

    Pour évoquer ainsi le jour et la nuit, l'amitié solaire et les démons nocturnes, Koster retrouve le ton de ses romans « autofictifs ». Lui qui n'arrive qu'« à parler de lui », creuse encore la blessure qui le déchire : le silence, voire le sentiment d'abandon après une amitié de 30 ans avec l'écrivain des Météores et cette lente descente aux abîmes qu'il a l'impression de vivre chaque jour — et surtout chaque nuit — depuis qu'on lui a annoncé sa maladie, en 2011. 

    Une fois de plus, ce grand amateur de littérature (il a écrit sur Racine, sur Ponge), obsédé par le style, trouve dans l'écriture une consolation ardente aux maux qui le dévorent. « La salope lâchée par mon organisme pompe mon énergie mentale et physique, elle m'obsède au point de m'empêcher d'écrire, elle ne me permet d'écrire qu'à partir d'elle obsédante, impossible d'échapper au piège. » Pourtant, l'étau se desserre le soir, vers 11 heures, quand il se glisse entre les draps, « s'allonge contre le flanc de la reine de ses années, savoure la paix de tout son souffle, sur la vague de l'accalmie qui l'accueille, l'enveloppe, le sauve. »

    images-2.jpegS'il a, parfois, des accents d'oraison funèbre (on y croise tout un peuple de fantômes), le livre de Koster est aussi une célébration de l'amitié et de la littérature, à travers cette recherche sans fin du style (Koster apprécie Léautaud, Chateaubriand, Racine, tous les grands stylistes) — qui était un sujet de controverse entre les deux amis. Pour Koster, Tournier était sans doute une figure de l'amitié, par son goût pour la métaphore et l'allégorie, mais aussi par sa générosité et sa simplicité. 

    En grand amateur de tropes, dans son petit livre éclairant, Serge Koster lui rend admirablement justice.

    * Serge Koster, Tournier parti, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2019.