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  • Z'avez dit sexiste?

    Par Pierre Béguin

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    Je suis resté songeur face à cette publicité des CFF aperçue sur un quai de gare. Non pas que le sexisme affiché contre le fameux mâle blanc occidental hétérosexuel cinquantenaire ne me froisse. Ce sexisme-là s’inscrit dans l’air du temps - en certaines circonstances, il permet même aux hystéroféministes de communier dans la haine de l'oppresseur absolu. C’est d’ailleurs l'unique forme de sexisme qui ne suscite aucune réaction et pour lequel la généralisation est admise. En ce sens, je perçois parfaitement la dérision qui participe de cette publicité, et cette dérision est même de nature à me faire sourire.

    Non! Ce qui me laisse songeur, c’est que cette fameuse dérision – que les CFF feront passer comme du second degré – est totalement licite dans un sens alors qu’elle deviendrait totalement scandaleuse dans l’autre. Imaginons que la publicité des CFF soit orientée ainsi:

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    Je ne donne pas une minute à cette affiche pour déclencher son lynchage immédiat par la police de la pensée, aux CFF pour devenir la cible de tous ces tribunaux populaires que sont devenus les réseaux sociaux, aux instances juridiques pour infliger à la régie nationale une lourde amende au nom des lois anti sexistes, à la Suisse pour être montrée du doigts par tous les bien-pensants de l’univers qui se multiplient à une vitesse impressionnante dans l’immunité de leur anonymat. Invoquer la dérision, le second degré, ne serait alors d’aucun secours. Au contraire. On ne manquerait pas de démontrer la possibilité d’un dangereux continuum entre un tel slogan lourd dingue et le pire des violeurs.

    Oui, ce qui me laisse songeur, c’est bien cette logique parfaitement admise par le politiquement correct de deux poids deux mesures, de cette division binaire du monde entre victimes et bourreaux, dominés et dominants, où la perversité n’affecte qu’une moitié de l’humanité, celle du mâle blanc hétérosexuel – le cis-genre, comme la novlangue le désigne dorénavant -, justifiant ainsi des concepts aussi absurdes que la discrimination positive ou le victim blaming. Tant est devenu discriminatoire le simple constat de cette norme majoritaire.

    Je ne m’égare pas. Notre publicité, vue sous un certain angle, peut devenir exemplaire des dérives actuelles. Que l’on songe - comme je l'ai fait en la découvrant - à la chasse systématique aux comportements, aux expressions, aux publicités qui ne respectent pas l’idéologie ambiante! Je ne peux m’empêcher de citer dans cette optique un passage du dernier livre de Natasha Polony et Jean-Michel Quatrepoint Délivrez-nous du bien!, dont je recommande vivement la lecture:

    «Chaque année, l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) publie une charte déontologique, listant les termes et concepts prohibés. Ainsi, il y avait une pub de Calgon montrant une femme à genoux devant sa machine à laver, visiblement peu satisfaite du résultat: Ah! si elle avait connu Calgon, clame derrière elle un homme en blouse blanche. Ce type de pub est désormais interdit. Il ne faut pas montrer une femme dans une position où le sachant lui apparaît comme lui étant supérieur (...) McDo cherche à élever le niveau de ses pubs: l’une d’entre elles met en scène une femme qui joue de la harpe dans un de ses restaurants. Protestation du CSA qui affirme sans rire qu’une joueuse de harpe est passive et que la mettre en scène revient à maltraiter l’image de la femme».

    Ainsi donc mettre en scène une femme jouant de la harpe dans un McDo est dégradant pour l’image des femmes. Mais représenter le mari comme l’imbécile de service est pure dérision innocente.

    Tout est dit!

    Même si j’aimerais bien entendre les arguments – je dis bien les arguments – de celles (et même de ceux) qui ne voient rien d’irritant ou d’anormal dans cette discrimination à sens unique. Car de deux choses l’une: soit on interdit tout uniformément, soit on tolère tout dans un certain cadre défini. Personnellement, j’ai choisi. Je ne supporte plus cette dictature de la bien-pensance prête à envoyer toute déviance dans des camps de rééducation sous le regard pétrifiant de quelques Gorgones de service. Je veux un monde où la connerie des uns ne tenterait pas à tout prix de judiciariser celle des autres, où l'on aurait le droit, à l'occasion, d’être lourd, où la publicité (puisqu’elle existe) se permettrait de brocarder les hommes comme les femmes...

    C’est cela la tolérance… et l’égalité!

     Délivrez-nous du bien!  Natasha Polony, Jean-Michel Quatrepoint, Ed. de l’Observatoire, 2018

  • Ombres et lumières de l'amour absolu (Daniel Odier)

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown-1.jpegJ'avais (un peu) perdu la trace de Daniel Odier (né à Genève en 1945), écrivain protéiforme, romancier à succès, mais aussi spécialistes des mystiques orientales (l'amour tantrique). Il revient, pour notre grand bonheur, avec un roman singulier, Fédor & Miss Bliss*, qui est une fantaisie inspirée de L'Idiot de Dostoievski.

    Daniel Odier, rappelons-le, c'est à la fois le scénariste de Les Années-lumière (1981), peut-être le meilleur film d'Alain Tanner, et l'auteur de polars, sous le nom de Delacorda, dont le plus célèbre fut bien sûr Diva, adapté au cinéma par Jean-Jacques Beineix. Unknown-3.jpegC'est aussi l'auteur de plusieurs romans importants et d'ouvrages de référence sur les mystiques orientales et la pensée zen.

    Nous sommes à Vevey, non loin de la maison dans laquelle Dostoievski écrivit, vers 1868, quelques chapitres de L'Idiot. Ce patronage est essentiel, puisque ce roman va servir de toile de fond à Fédor & Miss Bliss. Très vite, l'héroïne, Miss Bliss (autrement dit : Mademoiselle Bonheur, ou Félicité, ou Extase) va se trouver entraînée dans un scénario directement inspiré de Dostoievski. Comme dans le roman russe, elle va tomber sous le charme de Nastassia, fascinante créature d'amour et de mort, elle-même promise à Luigi, un mafieux très épris de sa fiancée, et courtisée, comme il se doit, par Aglaia, un amoureux transi et malheureux. Le scénario dostoievskien, implacable et tortueux, va être parfaitement respecté, d'un bout à l'autre d'un roman qui mêle à merveille le réel et l'imaginaire, ou plutôt son hallucination.

    Pas trace, ici, de roman réaliste : l'imagination a définitivement pris le pouvoir ! Et c'est tant mieux.

    images-3.jpegDans cette fantaisie singulière, Odier développe les thèmes qui lui sont chers : la pureté, l'innocence (incarnées par la délicieuse Miss Bliss), la passion dévorante, la jalousie, etc. Mais au centre du livre, à la fois comme question et comme affirmation, il y a l'amour absolu. Qu'est-ce qu'aimer ? Comment aimer ? Et, bien sûr, quelles sont les conséquences de cet amour absolu ? 

    Je ne dévoilerai pas l'épilogue de ce roman où « tout est magnifié dans un espace-temps où s'expriment les pulsions les plus lumineuses et les plus sombres. » Odier nous montre que le réel n'existe pas — ou plutôt qu'il n'est qu'une hallucination de nos désirs secrets. Après avoir longtemps vécu aux États-Unis, puis à Paris, Genève, Barcelone, cet ami de William Burroughs et d'Anaïs Nin s'est installé sur la Riviera vaudoise, à Vevey, où vécurent Rousseau, Courbet et Dostoievski qui lui a inspiré un roman vif et profond. 

    Une réussite !

    * Daniel Odier, Fédor & Miss Bliss, roman, éditions de l'Aire, 2019.