A propos de démocratisation
par Anne Bottani-Zuber
Cher Antonin Moeri,
Quelle mouche vous a donc piqué ? Pourquoi, coup sur coup, deux papiers où vous fustigez ceux qui veulent démocratiser la lecture et l’écriture ? Je vous soupçonne de ne pas avoir la fibre pédagogique. Il se trouve que je l’ai.
Non, les enseignants ne prennent pas tous leurs élèves pour des Virginia Woolf en puissance … Oui, certains enseignants essaient de donner le goût de la lecture et de l’écriture à leurs élèves. C’est leur métier.
Et si, pour ce faire, ils participent à des événements qui sortent du cadre de leur classe, qu’avez-vous donc à redire ?
Le 18 avril de ce mois, j’ai organisé avec une amie, Cornélia de Preux, dans le cadre de la Nuit de la Lecture - un de ces festivals que vous pourfendez - un événement. Des élèves, suite à une étude des textes d’écrivains vaudois (Yasmine Char, Eugène, Olivier Sillig et Sabine Dormond), suite également à une rencontre avec ces écrivains, ont lu leurs productions et ont participé à un exercice d’écriture en direct. Les textes des élèves n’avaient pas à rougir face à ceux des écrivains, d’après ce que nous avons pu en juger.
Nous ne prétendons par pour autant que ces élèves seront plus tard des auteurs capables d’écrire un roman, puis de bâtir une œuvre. Telle n’était pas notre intention. Notre intention était double : que les élèves ouvrent des livres, s’y intéressent et qu’ils ne prennent pas les écrivains pour des extra-terrestres. Et si en plus, ils se mettent écrire, tant mieux. C’est leur droit. Et c’est notre devoir de les y encourager.
Un de vos amis, qui est éditeur, et qui écrit également dans Blogres, a dit, lors d’une soirée passablement arrosée où vous étiez présent, qu’il constatait que les écrivains étaient de plus en plus nombreux et les lecteurs de moins en moins. C’est cette tendance lourde, que la Nuit de la Lecture et d’autres festivals du genre combattons.
L’hyperdémocratisation n’existe pas. Elle est juste un concept. Et la démocratisation n’est pas synonyme de médiocrité. C’est faire injure aux écrivains qui ont bâti une œuvre et qui se prêtent au jeu de la démocratisation, que de l’affirmer. Eveiller les jeunes à la culture est une tâche ingrate mais passionnante. Et j’en suis sûre, elle porte ses fruits. En rien, elle ne diminue le génie des grands auteurs. Bien au contraire : elle contribue à les faire connaître.
Ce n’est pas parce que nous n’avons pas le talent de Federer que nous ne pouvons pas apprendre à jouer au tennis.
Yasmine Char, une grande dame, une grande écrivain, a dit, dans le cadre de cet événement, et je la cite de mémoire : « Les mots m’ont sauvée. C’est cela que je veux partager. »
Merci de ne pas confisquer les mots. Ils n’appartiennent pas qu’aux écrivains.
Bien à vous !