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  • Pourquoi des poètes en un temps de détresse ?

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    L’époque est cruelle aux poètes. On ne parle que chiffres, rigueur, profit, croissance, chômage, austérité. Le Sud (toujours le Sud…) est rongé par les dettes, les révoltes sanglantes, la corruption. Le Nord (toujours le Nord…) trime en silence, joue les fourmis avares et soigne son confort.

    Même au cœur de l’été, sous nos latitudes prospères, on dirait que l’otage menace…

    Le poète allemand Hölderlin (1770-1843) posait déjà cette question à son époque : à quoi bon des poètes en un temps de guerre, de pauvreté, de détresse intellectuelle ? Pourquoi écrire encore, contre vents et marées, dans le confort ou l’extrême dénuement, alors que seuls semblent régner l’individualisme, le profit à court terme, la recherche du bien-être matériel ?

    La réponse est simple, comme toujours. Elle appartient aux poètes. Prenez Patrick Amstutz par exemple. Né sur les bords du lac de Bienne, en 1967, il dirige Le Cippe, une collection unique d’études de grands textes francophones, publiée chez Infolio. Mais c’est d’abord un grand poète dont la langue claire et aérée vous donne l’envie des grands espaces. Au fil des livres, Amstutz éclaire l’absence, l’attente d’une présence au monde jamais donnée, jamais acquise, le long et périlleux combat pour dire la beauté du monde dans une langue à la fois souple et incarnée. Cette vision poétique passe tout naturellement par l’amour. Vois-tu le temps lever/ le cheveu que je noue/ à la roue de tes hanches ?

    Voilà pourquoi la poésie d’Amstutz, attachée à dire le monde, ses ombres et ses lumières, ses orages et ses silences lourds, nous touche tant. « Écrire, disait Jean-Pierre Monnier, c'est chercher à coïncider, c'est donner lieu. » La poésie nous donne ce lieu, loin du fracas moderne, où nous pouvons tout à la fois nous retrouver dans nos sensations essentielles et répondre aux énigmes de la vie. C'est la chair qui va/ et qui appelle/ comme fleur envolée/ au vent sans aile. Les mots charnels de la poésie d’Amstutz nous disent la grâce peu commune du poème écrit avec l’encre sacrée : le sang du monde.

    Comme l’air que nous respirons, la poésie est essentielle à nos poumons, à notre esprit. Elle dit, en peu de mots, la blessure essentielle, la douleur et la joie d’être au monde, la force de la Nature toujours recommencée : Sous le corail du ciel/ inverse pousse/ la campanule en bord de blé.

    Chérissez les poètes ! Ils sont rares et précieux. Patrick Amstutz, mais aussi Notre vie** de Germain Clavien, Poème de la méthode*** de Sylviane Dupuis ou encore Après la comète**** d’Olivier Beetschen. Ils nous aident à vivre. Dans un temps de détresse (économique), ils nous disent que l’essentiel est toujours ailleurs, en nous-mêmes et dans le monde. La beauté est fugace et silencieuse. Heureusement, la poésie l’incarne, parfois, et lui donne parole.


    * Patrick Amstutz, S’attendre, Prendre chair et Déprendre soi, éditions Empreintes.

    ** Germain Clavien, Notre vie, Poche Suisse, 2010.

    *** Sylviane Dupuis, Poème de la méthode, Empreintes, 2012.

    **** Olivier Beetschen, Après la comète, Empreintes, 2007.

     

  • Ô Banques indépendantes, répétons vos accents, vos libres chants!

    Par Pierre Béguin

    immobilier.PNGIl était temps d’intervenir!

    L’utilisation systématique du 2e pilier pour financer les fonds propres en vue d’une acquisition immobilière constituait un double danger: elle attisait la bulle et elle détournait le 2e pilier de sa fonction essentielle. Déjà sérieusement menacés dans leur fonctionnement même, les fonds de prévoyance ne pouvaient en plus servir à alimenter la spéculation.

    Mais la véritable hérésie a été d’autoriser ce «détournement de fonds». A l’origine de cette décision insensée, rappelons qu’on trouve les milieux immobiliers et bancaires, comme de bien entendu, soutenus par le parti libéral, comme de bien entendu.

    Début des années 90. La bulle immobilière vient d’exploser sous la gestion irresponsable des banques, comme de bien entendu. Avec, pour conséquence ultime sur le contribuable, les faillites des banques cantonales (presque trois milliards à Genève, on ne se lasse pas de le répéter à l’heure de l’amnistie générale). Pour se protéger dorénavant, les entreprises du bâtiment obtiennent du législateur ce qui va s’appeler l’hypothèque légale, et les banques imposent à l’acheteur un apport de 20% de fonds propres. Logiquement échaudé par le cataclysme immobilier de la fin des années 80, tout le monde se protège, construit ses garde-fous, comme de bien entendu. Sauf le futur propriétaire, plus que jamais livré sans défense aux appétits d’un milieu dont la voracité, elle, est sans limite. Problème: comment relancer l’immobilier tout en imposant des contraintes à l’achat d’un bien? Réponse des milieux concernés: en permettant l’utilisation légale, quasiment incontrôlée, du 2e pilier comme fonds propres. Ou comment soigner un mal qu’on a stupidement provoqué par un remède pire que le mal lui-même. Dans notre logique actuelle de l’inconscience et du sauve-qui-peut, voyez-vous beaucoup de gens prévoyants autour de vous? Moi pas. Oui, il était temps que la Confédération s’en inquiète, sous peine de devoir entretenir des hordes de démunis ayant perdu veaux, vaches, cochons et retraite dans l’aventure immobilière, à l’image de ces quartiers résidentiels américains dévastés par la crise des subprimes. N’en déplaise aux bons libéraux, toute déréglementation aboutit inévitablement à une catastrophe. C’est une règle. Quand les hommes vivront de sagesse, il n’y aura plus de problème. Mais nous nous serons morts, mon frère...

    Les prix ayant déjà explosé, il était donc temps d’intervenir avant que les taux hypothécaires ne remontent! Car ils finiront inévitablement par remonter (la décision du Conseil fédéral pourrait même l’annoncer par anticipation). Et pourtant... Cette décision, pour évidente qu’elle soit, aurait dû s’accompagner d’une seconde décision, aussi nécessaire que logique: la suppression de la valeur locative du bien immobilier et de tout abattement de la dette hypothécaire (du moins d’un montant limité de cette dette) à l’imposition. Comment lutter contre l’endettement insensé de certains individus si l’on maintient des dispositions fiscales qui encouragent l’endettement? Cette double opération fiscale (addition de la valeur locative aux revenus et soustraction de la dette hypothécaire) est aussi absurde que dangereuse et je m’étonne que cette disposition perdure. Renseignement pris, il paraît que la majorité des partis politiques penchaient pour sa suppression (à part peut-être Mme Thatcher... je veux dire le parti libéral), mais que cette volonté (?) s’est heurtée aux intérêts des Banques et des Assurances pour qui le marché hypothécaire constitue un agréable matelas. Dans ce pays, on n’y coupe: banques et assurances sont à la Suisse ce que JR Ewing est à Dallas. Un univers impitoyable dont la santé et les intérêts sont inversement proportionnels à ceux des citoyens.

    Il était donc temps d’intervenir. Et l’on peut par la même occasion se réjouir du bon sens populaire qui s’est récemment opposé dans les urnes à l’initiative épargne-logement, toujours issue des mêmes milieux (on enrichit banques et assurances, on appauvrit l’Etat, à l’image du 3e pilier). Mais je crains que la finalité n’en soit pas pour autant modifiée. «L’oligarchie bancaire» – comme dirait quelqu’un qui a surtout eu le tort d’avoir raison avant tout le monde – conserve sa toute puissance. Et l’on peut compter sur elle pour générer ses marasmes périodiques. Il en va de son fonctionnement, pour ne pas dire de sa santé.

    Je vois venir bon train les commentaires:

    Et ces pauvres milieux immobiliers déjà bien ébranlés par Franz Weber, que vont-ils devenir? Et ces pauvres citoyens condamnés à ne jamais accéder au statut enviable de propriétaire? Certes.

    Mais l’accession à la propriété doit-elle se faire au péril de la communauté? Peut-on même parler de propriété lorsque 80% du bien appartient à la banque? (A ce propos, on se souviendra que Mme Thatcher a muselé certains syndicats en soutenant leur accession à la propriété: dès qu’on a quelque chose à perdre, on s’la coince!) Et puis moins de demande agira aussi comme un frein raisonnable à la folie des prix immobiliers. Dans tous les cas, il faut se faire une raison: Genève, par son exiguïté même, ne sera jamais un canton de propriétaires. Et l’exil peut avoir ses charmes. Moi, je suis de plus en plus sensible à ceux de la Gruyère...