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Jérome Meizoz, La Fabrique des singularités

Par Alain Bagnoud

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C’est plein d’idées, La Fabrique des singularités, dont on a dit ici qu’on reparlerait.

Meizoz y traite des postures d’écrivains.

La posture, c’est le fait pour les artistes de se composer une image promotionnelle, mais c’est aussi un moyen de légitimer une prise de parole. Un exemple intéressant, dont parle Meizoz, est celui de Céline.

Céline n’est pas Destouches. Destouches est le personnage réel, Céline la posture. Mais Meizoz montre comment, à travers une construction qui tend vers l’autofiction, Céline a validé et assumé les histoires sur l’enfance qu’il a racontées dans Mort à crédit.

Si on se base en effet sur l’autobiographie réelle de Destouches, Mort à crédit n’est pas une autobiographie. La misère, les faillites, les problèmes d’argent, le père raté, la mère écrasée de travail, les baffes, etc. tout ça est faux, ou au moins extrêmement exagéré, tiré profondément vers la noirceur.

Pourtant, Céline va ensuite assumer ces données comme si elles étaient biographiques, les proclamer dans des entretiens journalistiques. Il y aura une contamination de la fiction dans le réel. Notre auteur va assumer ce que Meizoz appelle un « script prolétarien typique des années 1930, version radicalisée de l’idéal de la IIIème République, celui de l’enfant pauvre qui réussit ». Il sera le médecin des nécessiteux, le mutilé de guerre, le gosse ayant dû travailler dès 12 ans.

20s_celine.jpgTout ceci colle à l’école populiste du moment, dont Hôtel du Nord d’Eugène Dabit est le plus grand succès, publié l’année où Céline commence à rédiger le Voyage.

Anecdote amusante et éclairante: Destouches a fait promettre à sa mère de ne jamais lire Mort à crédit. Il ne voulait pas qu’elle se choque du portrait qu’il a fait d’elle ni qu’elle conteste les faits qu’il présente désormais comme ceux qu’il a réellement vécus.

Et autre chose intéressante que relève Meizoz: Céline prend le pas sur Destouches dans la correspondance du Voyage jusqu’en 51, c’est-à-dire au procès. Durant cette période, il signe principalement ses lettres avec son pseudonyme. Après, encombré peut-être par ce personnage qu’il a créé et auquel il a été complètement identifié (celui des pamphlets notamment), il se remet à signer Destouches. Mais le personnage, ou, comme dirait Meizoz, la posture de Céline est celle qui restera.

 

Jérome Meizoz, La Fabrique des singularités, Postures littéraires II, Slatkine Erudition, Genève 2011

Commentaires

  • Je ne pense pas, Alain. Pour moi, Céline était un mystificateur, il inventait dans le sens attendu par les idées ambiantes, et naturellement, les idées ambiantes sont le modèle du sentiment de réalité, parce que, pour créer une image de la vérité, on se fie souvent plus à la société et à ce qu'elle veut, à ce qu'elle ressent - à son démon -, qu'au sentiment individuel et profond de la vérité et à son intelligence. Mais il n'est pas vrai que la société puisse imposer durablement ses fictions, même à une époque où l'Etat, grâce à un quasi monopole de l'éducation (je parle de la France) et aux moyens modernes de communication, parvient à imposer son point de vue: car il n'y parvient que le temps de la génération qui est au pouvoir. L'Etat n'a pas de réelle continuité. Sarkozy essaye de démonter une partie de la culture "laïcarde" du XXe siècle, et il serait illusoire de croire qu'il n'y parviendra pas. Il viendra un temps où les idées toutes faites auxquelles Céline s'assujettissait pour créer le sentiment de "réalité" apparaîtront elles aussi comme arbitraires et absurdes. D'ailleurs, est-ce que Jérôme Meizoz est un tel génie, lui, pour être parvenu à sortir de cette illusion? Il peut toujours le croire. Mais c'est peut-être plus simplement une question de génération. En démontant le mythe de Céline, il prouve qu'il n'est pas vrai que la posture de Céline est celle qui restera. De fait, il se contredit lui-même.

  • Quelle est la posture de Meizoz ? Un prof ? Un écrivain ? Un critique impuissant ? Un imposteur ? Quel charabia! Et surtout quel rapport avec les textes ? Qu'apprend-on sur Le Voyage ou Mort à crédit ? Rien. Slatkine est bien gentil de publier ça…

  • Je précise, cher RM, que c'est MOI qui affirme que la posture de Céline est celle qui restera. Meizoz se contente de la définir.

  • Eh bien je ne ne pense pas, cher Alain. Car après avoir lu votre article, justement, moi, je n'y crois plus, et le fait est que pour Céline, je ne suis pas vraiment spécialiste, j'ai de lui l'image que ceux qui parlent de lui veulent bien lui donner! Cela dit, il ne m'a jamais fasciné, de toute façon. J'ai toujours trouvé qu'il prenait la pose, qu'il jouait au nihiliste qui avait tout compris parce qu'il avait compris que tout était néant, et qu'on trouvait ça formidable parce qu'on voulait croire comme lui, on se disait que cette pose, c'était l'axe auquel l'âme devait se plier pour recevoir le don de prophétie! Mais justement, quand on n'aura plus spécialement envie de croire que tout est néant, Céline sera relativisé, on verra qu'il a pris la pose. Et c'est une question de génération: tous les trente ans environ, on a envie d'être idéaliste ou nihiliste. C'est comme le jour et le nuit, c'est naturel, ça se succède, ça ne veut rien dire.

  • C'est vrai, Fédor, que Meizoz est à la croisée de beaucoup de choses: la création, la recherche, la critique, la sociologie, la littérature. Moi, je trouve intéressante cette position. Et même si c'est du langage universitaire, l'écriture dans La Fabrique des singularités ne fait pas tellement charabia, il me semble - sinon, peut-être, dans la troisième partie: "Littérature et sciences sociales", avec ces notions de sociocritique, ethnocritique, etc.

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