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La fabrique de l'exemplarité

 

par antonin moeri

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On a assez dit de Céline qu’il était le pire cochon salaud vendu antisémite «collaborateur» traître voleur massacriste. Idée que Céline lui-même se faisait un plaisir de répercuter dans ses derniers romans. Mais qu’en est-il de celui que Boris Vian appelle Jean Sol Partre et que Céline, dans un petit «chef-d’oeuvre du genre», nomme Jean-Baptiste Sartre, l’agité du bocal, haineux, étouffant, foireux, demi-sangsue, demi-ténia, damné pourri croupion, petit bousier, petite saloperie gavée de merde?

Le talent de Céline fascinait Sartre, grand bourgeois parisien issu de Normal Sup qui savait par coeur de  nombreux passages du «Voyage au bout de la nuit». Et dans un livre de David Alliot «Céilne, idées reçues sur un auteur sulfureux», le lecteur apprend que Sartre, en 1941, écrivit et fit jouer une pièce de théâtre antisémite devant un panel d’officiers allemands, que ce même Sartre publia des éditoriaux dans un journal très collaborationniste, qu’il se démena pour faire jouer une de ses pièce dans un théâtre aryanisé. Dès 1944, l’archétype du grand résistant «qui occupe alors une place prépondérante dans le monde des lettres», ce membre influent du Comité national des écrivains va prendre sa revanche sur celui qu’il avait tant admiré, sur celui qui lui faisait de l’ombre en des temps troublés. En 1946, Céline est réfugié au Danemak et risque la peine de mort, s’il est extradé. C’est le moment que choisit Sartre pour écrire dans la revue des Temps modernes: «Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c’est qu’il était payé». David Alliot se demande pourquoi le pape de l’existentialisme voulut, à ce moment-là, causer à Céline des torts irréparables. Il avance l’hypothèse d’une jalousie littéraire.

Le petit livre d’Alliot publié au «Cavalier bleu» a le mérite de nuancer les jugements définitifs et de pulvériser certains poncifs. Il donne surtout envie de relire les romans d’un auteur qui, après un long purgatoire, «est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands auteurs du XX e siècle». Ce qui, à mon humble avis, n’est pas tout à fait le cas de l’auteur des «Mouches».

David Alliot: Céline, idées reçues sur un auteur sulfureux», éditions «Le Cavalier Bleu», 2011

 

Commentaires

  • A mon avis, globalement, si, on trouve Céline et Sartre dans les manuels de littérature, on trouve les deux. "Les Mots", c'est toujours une référence, Annie Ernaux en a proposé mille variations plus ou moins avouées, à mon avis.

  • Je suis bien d'accord avec vous cher Rémi Les mots c'est excellent mais aucune commune mesure avec la verve la musique l'invention verbale de Céline chaque jour plus tonique La prose de Partre reste très convenue D'ailleurs il a gardé son inconditionnelle admiration pour le Voyage jusqu'à la fin

  • Céline considérait qu'il y avait deux grands écrivains de langue française au XXème siècle : lui, bien sûr, et Ramuz.

  • Oh, attention, Antonin, je parlais objectivement de ce qu'on trouve dans les manuels de littérature, mais ensuite, chacun est libre d'être d'accord ou pas avec les choix des auteurs de ces manuels, ce n'est pas parole d'Evangile. Personnellement, pour cette époque, je suis surtout un admirateur de Blaise Cendrars, Sartre et Céline, ils ne m'enthousiasment pas franchement. Même quand j'étais jeune et lycéen, pour cette génération, j'aimais surtout Boris Vian et son "Ecume des jours". J'aime le genre fabuleux et poétique. Sartre est trop sardonique, il passe son temps à ruiner les élans de poésie, et Céline, dans la mesure où je peux en juger d'après la lecture que j'ai faite il y a très longtemps du "Voyage au bout de la nuit", il s'adonne à la fantaisie avec un ton cynique, ce n'est pas si différent, mais c'est plus envolé. Cependant, j'aime quand on laisse les images se construire, se déployer, quand on est à leur égard comme un jardinier. Céline et Sartre me donnent souvent le sentiment de tourner en dérision les vieux jardins, pendant que justement le bourgeois capitaliste s'emploie à construire des bureaux, à leur place. Ils ne s'en aperçoivent pas, mais au bout du compte, leur action est inefficace.

  • Tout ça n'a pas l'air très sérieux. La pièce antisémite de JPS ? Est-ce Les Mouches ? Huis clos ? On fait pire comme antisémitisme. Quel journal collabo ? Et pourquoi donc JPS aurait-il été jaloux de Céline ? Il lui reconnaissait un talent fou. Il a maintes et maintes fois dit son admiration. N'oubliez pas que dans ce domaine JPS a été le premier à louer les grands américains (Hemingway, Steinbeck, Faulkner, Dos Passos, etc). Il les a fait lire en France. Alors la jalousie… Cela paraît insignifiant. Comment un écrivain a ce point lu et admiré pourrait-il être jaloux d'un antisémite condamné à mort ?!

  • Vous mélangez tout cher Fedor. Il y a d'un côté l'idéologie, les prises de position bonnes ou mauvaises, l'opportunisme et les dérives. Et de l'autre, le travail d'écriture, le travail à la table. La chose en soi. Celle de Céline, incontournable aujourd'hui, n'a rien à voir avec les laborieux devoirs de Tartre.

  • Vous mélangez tout cher Fedor. Il y a d'un côté l'idéologie, les prises de position bonnes ou mauvaises, l'opportunisme et les dérives. Et de l'autre, le travail d'écriture, le travail à la table. La chose en soi. Celle de Céline, incontournable aujourd'hui, n'a rien à voir avec les laborieux devoirs de Tartre.

  • Honnêtement, Antonin, on a le droit d'adorer Céline, mais personne n'est incontournable, en fait.

  • Lisez Les Mots, Antonin, et le Baudelaire, et le Mallarmé, et le Flaubert, au lieu d'écrire des âneries! Sartre peut être léger aussi, et question intelligence, il en connaît un bout! Et il n'a pas écrit de torchon antisémite, lui!

  • J'ai un très bon souvenir du Flaubert. Le Genet moins. Quant aux Mots j'ai toujours apprécié ce texte. Mais le plaisir que j'éprouve à lire cette prose n'a strictement rien à voir avec le plaisir que fait naître en moi le texte célinien, surtout Nord et D'un château l'autre. Vous semblez adopter un point de vue d'idéologue. Ce qui empêche toute approche du délire verbal célinien. Mais je ne vous en veux pas, mon cher monsieur, vous avez raison de préférer "La nausée" dont l'exergue est une phrase de LFC. Vous pointez l'intelligence. Sans doute Jean-baptiste est-il supérieurement intelligent. Mais cela suffit-il à faire de lui un romancier?

  • Si je puis me permettre, Antonin, les qualités de style ne font pas non plus un bon romancier, en soi, car le roman est une composition d'ensemble, et le style est dans le particulier, et le fait est que ma réticence vis à vis du "Voyage au bout de la nuit" vient en partie justement de ce qu'il m'a semblé que le roman n'était pas spécialement bien composé, qu'il n'y avait pas de construction dramatique particulière. Il m'a semblé que la narration y était un prétexte pour déployer un style et aussi une pensée. Il ne m'a même pas semblé déceler de progression particulière. Cela me paraissait fondé plutôt sur l'accumulation. Mais je ne pense pas que les romans de Sartre soient mieux composés, il s'agit également d'illustrer un phénomène, une idée. "L'Or", de Blaise Cendrars, c'est un roman à part entière, mais Céline est plus, à mon avis, un orateur qui fait des romans qu'un romancier à proprement parler.

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