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Le double de Jean Romain


decimg20050314_5601050_0.jpgPar Antonin Moeri



« Voir la mort comme une réalité à l’œuvre en nous » fait partie d’un projet que nombre d’écrivains ont caressé, si j’ose dire. Je me souviens des derniers livres d’Hervé Guibert, du Mars de Fritz Zorn, pour qui la maladie n’a pas « fait rayonner les êtres et les choses d’un éclat nouveau ». Ce qui me touche dans le dernier livre de Jean Romain « Rejoindre l’horizon », c’est le changement de ton qu’il s’autorise ici et là. L’assurance, la certitude, l’esprit de géométrie laissent la place à la vulnérabilité, au doute, à une émotion toute particulière. La ligne se brise. Le sol vacille. « Écrire c’est mettre à distance ce qui nous assaille, y compris sa propre identité ». Ce que l’auteur raconte, c’est l’apparition de son double que le travail du crabe a provoquée : apparition d’un être désarmé qui, au bord des larmes, revoit le visage pâle de sa mère ;  « ses mains, belles et nues ».
Mais les références littéraires reprennent vite le dessus : Pessoa, Nerval, Sartre, Camus, Rimbaud, Cendrars, Montaigne, Primo Lévi, Mandiargues, Montherlant, Péguy, Finkielkraut, Philippe Muray. La culture livresque de Jean Romain est immense. Et pour un garçon qui a grandi dans la religion des livres, le spectacle d’un monde qui « prospère contre toute culture » est affligeant. Ce constat, nous le connaissons. Heureusement, il y a dans ce « récit » des retours en arrière, des souvenirs, des évocations : celle de l’internat à Saint-Maurice, celle des vacances en altitude « sous le ciel bleu du Valais… dans la lumière des jours sans fin », celle du petit sanctuaire où le narrateur se rendait parfois « pour y rêver, et peut-être pour y prier », où il découvrit sa fascination pour le mystère.
L’évocation du double désarmé, au bord des larmes, qui éprouve « le frisson devant la grandeur d’un autre monde », cette évocation me touche plus que les considérations sur la fin de l’Histoire et du monde littéraire, sur le triomphe des hâbleurs et des cuistres. Quand le double désarmé, au bord des larmes, entre en scène, Jean Romain découvre les accents d’un lyrisme que je ne lui connaissais pas. La langue qu’il crée n’est plus celle de l’explication ou de l’argumentation. Chaque mot trouve alors sa place dans une phrase ample, inspirée.



Jean Romain : « Rejoindre l’horizon », éd. L’Age d’Homme, 2008.

 

N'oubliez pas de visiter le site    www.jeanromain.net 

Commentaires

  • "Ô moi misérable homme ! qui me délivrera du corps de cette mort ?" s'exclamait saint Paul.

  • J'ai lu ce très beau livre. M. Romain a non seulement une magnifique culture mais il y montre son extrême sensibilité.
    Je ne partage pas le reproche que fait M. Moeri. C'est ici un savant mélange de plusieurs axes qui donne à l'ensemble une beauté singulière !
    Merci M. Romain de ces belles pages !

  • l'écriture est aux yeux ce que la parole est à l'oreille, le transmetteur de l'âme de l'auteur lorsque celui-ci nous en offre l'accès.

    L'écriture comme la parole sont viles lorsqu'elles ne transportent que des intérêts bassement matériels.

    L'écriture et la paroles n'ont d'intérêt que lorsqu'elles invitent à une communion de l'esprit.

    Romme à inventer la structure de l'Etat moderne, il normal qu'un Romain nous offre âme et structure!

    Merci à Jean pour son oeuvre et son esprit ouvert et curieux.

    cordialement

  • Mais l'Etat romain n'avait-il pas souvent aussi des préoccupations bassement matérielles ? Il ne suffit pas à un Etat d'être puissant - parce que structuré - pour être divin. Les fourmis aussi ont une société structurée, cela ne leur donne pas une âme forcément plus élevée que des espèces n'ayant aucune forme d'organisation sociale. L'Etat est censé être utile, on le bâtit pour qu'il le soit ; mais chez les Romains mêmes, il s'est souvent avéré nuisible.

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  • Merci, Antonin. J'ai lu cette nuit, d'un trait, ce n'est pas très long, le livre de J. Romain. C'est un petit diamant qui scintille d'intelligence, de finesse et d'émotions.

  • Jean Romain a du talent et il écrit extrêmement bien. Ce livre est merveilleux !

  • "Considérations sur le triomphe des hâbleurs et des cuistres."
    Vous y êtes, M. Moeri, en plein dedans.

  • Grâce à vous j'ai lu ce beau livre qui va jusqu'au bout de l'expérience intérieure. La fin, comme une fable orientale, est formidable. Merci d'avoir mis le doigt sur cet intense ouvrage.
    Antoine

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