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Musique après lecture

Par Pierre Béguin

 

 

 

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«Assez de mots, assez de phrases! Ô vie réelle, / Sans art et sans métaphores, sois à moi!» Souvent, au cours de mes études, dans mon travail ou simplement dans mes loisirs de lecteur, j’ai pensé à ce poème de Valéry Larbaud (Musique après lecture, in Poésies de A.O. Barnabooth, 1908) où s’exprime avec force une lassitude, un dégoût de la littérature autoréférentielle, présentée comme un assemblage artificiel de mots et de phrases, jeu sec et vain de savantes recherches formelles. Rejet probable du symbolisme et de Mallarmé qu’on croit deviner dans cette description d’une poésie stérile tournant résolument le dos à la vie: «De creuser par veillée une fosse nouvelle / Dans le terrain avare et froid de ma cervelle / Fossoyeur sans pitié pour la stérilité…» (Las de l’amer repos). A l’inverse, Larbaud appelle de ses vœux une poésie de la vie: «Viens dans mon cœur, viens dans mes vers, ma vie!». Il a parcouru l’Europe et les Amériques. Sa vie ressemble à un long voyage, comme dans ce poème où il la compare à une rue du sud («Le sud béni») et où il recourt allégrement aux mots espagnols. S’agit-il de l’Espagne? De l’Amérique latine? Le lieu importe moins que l’atmosphère. Il est avant tout symbole d’ouverture. Le voyage devient acte poétique, le cosmopolitisme envahit la littérature.

Valéry Larbaud n’est ni un Ténébreux ni un Inconsolé. Héritier des eaux Saint-Yorre (ça va fort!), milliardaire, s’il ressent fortement l’appel des profondeurs – il pressent comme tout le monde que la vérité est toujours au fond des Ténèbres (et son œuvre regorge de références aux profondeurs) –, il sait pourtant que son statut social, sa richesse, son éducation, sa culture, sa finesse ne le prédisposent guère aux sacrifices, aux renoncements qu’exigent l’entrée dans le souterrain et la descente dans le gouffre. Partagé, comme le fut Gide, entre l’esprit dilettante et l’esprit métaphysique, il décidera que son absolu ne sera pas le fruit d’une quête verticale mais horizontale: la quête du monde. Il libère la poésie du cadre étroit et livresque dans lequel le symbolisme la maintenait prisonnière, il l’ouvre au monde, lui confère sincérité et authenticité, la pare des prestiges du voyage et la transforme en musique: «Mais, ma vie, c’est toujours cette rue à la veille / Du jour de Saint-Joseph, quand des musiciens / Des guitares sous leurs capes, donnent des sérénades / On entendra, jusqu’au sommeil très doux, le bruit / Plus doux encore que le sommeil, des cordes et du bois, / Si tremblant, si joyeux, si attendrissant et si timide, / Que si seulement je chante / Toutes les Pepitas vont danser dans leurs lits.»

Valéry Larbaud ouvre la voie à Blaise Cendrars. Il a contribué à m’ouvrir les portes du voyage, de l’Amérique latine et de sa littérature. Des portes que je n’ai plus jamais refermées.

Commentaires

  • Larbaud est passé à Genève et à Annecy. J'ai publié sur lui un article, dans la presse locale, pour ce genre d'extraits de son "Journal" : "De 3 heures à 4 h 1/2, tour de la ville : (...) Nous avons été attentifs à ce qu’a pu connaître mon grand-père Valéry. Ma mère m’avait souvent parlé de l’île des Cygnes, et j’en avais une vague image, et aussi du jardin où elle a dû jouer avec ma tante Jane. Mon grand-père se promenait là avec ‘Monsieur Sue’. Il n’a pas dû demeurer dans la même maison pendant les années de son exil passées ici. (...) Toute la journée, pensé à ma mère, à mon grand-père Valéry (et à ‘Monsieur Sue’) ; beaucoup plus que lorsque je suis à Genève. Cela tient aux dimensions de la ville : ‘Ils ont sûrement vu cela’. (...) A Valbois, ma tante, près de sa fenêtre, dans son fauteuil, devait souvent revoir le lac, l’île des Cygnes. C’était son enfance ; celle de ma mère. Quelquefois elle me parlait d’Annecy, brusquement, au milieu de sa surdité. Ma mère y était revenue, avec mon père (et moi) quand j’avais deux ans, continuant en voiture vers Genève par le pont de la Caille... [Il se rend ensuite à Menthon] “arrivés à 1 h p.m. Déjeuné... Embarqués à 4 h 30 p.m. et arrivés à Annecy (sur le ‘France’) à 5 h p.m. Au débarcadère, une voiture à cheval, et le plus brave homme de cocher qu’on puisse imaginer. Mais, comme beaucoup de gens ici, trop pressé de dire : ‘Je sais, la Tour’ ; il a compris celle de l’ancienne église d’Annecy-le-Vieux, dont je lui ai parlé avant de lui indiquer le second point de notre itinéraire : la Tour, la maison d’Eugène Sue. (...) Montée de la côte à pied, pour épargner le cheval. (...) La flore des talus, très variée et d’une belle venue ; terre excellente, plantes potagères. Route en pente vers la roche dite ‘Maltournée’. Parc et maison d’Eugène Sue à deux cents mètres après l’hôtel Mavéria. Probablement peu de changements depuis 1857."

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