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Le silence de la mer

Par Pierre Béguin

 

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J’ai pensé à ces deux caricatures, datant certes de 1993 mais dont la pertinence reste plus que jamais d’actualité, en apprenant que le projet de Charles Beer de nommer 100 directeurs à l’école primaire (plus 100 secrétaires!) allait devenir effectif dès la rentrée de septembre. Cette décision s’inscrit dans la regrettable tradition des mesures essentiellement structurelles plutôt que pédagogiques, plus politiques qu’efficientes, et dont le principal effet, en fin de compte, est d’augmenter la (sur)charge pondérale administrative et d’alimenter la graisse souvent inutile d’une hiérarchie pléthorique croulant sous le travail que, parfois, elle s’invente (l’administration créant ses propres besoins aussi sûrement que n’importe quel réflexe consumériste). Surcharge nourrie également par tous les «déchargés de cours» venant grossir des commissions alibis ou des pseudo groupes de recherche. Autant de calories superflues dont ne souffrent pas les autres cantons. Car il n’est nul besoin d’être expert en la matière pour comprendre que 100 instituteurs (trices) supplémentaires eussent davantage contribué à améliorer l’enseignement primaire en diminuant les effectifs de classe et en soulageant, par là-même, des enseignants qui, eux, croulent sous le travail qu’ils ne s’inventent pas. Mais nos politiciens, par paresse, incompétence, naïveté ou opportunisme, continuent de penser que des réformes structurelles vont, par enchantement, modifier de facto le fond des choses.
Bizarrement (une libérale étant normalement plus prompte à «dégraisser le mammouth», voire à le rendre exsangue, qu’à l’engraisser), c’est à Martine Brunschwick-Graf que nous devons ce gonflement de la hiérarchie en proportion inverse des coupes effectuées sur le terrain (car les restrictions budgétaires impliquent qu’on taille dans les muscles ce qu’on ajoute à la graisse, de préférence dans ceux du Collège, cette «filière de privilégiés»). Mais il s’agissait alors de surmonter le traumatisme des grèves et manifestations, qui avaient émaillé les premières restrictions budgétaires à l’automne 1992 et au printemps 1993, en «domptant les enseignants» (l’expression, politiquement très incorrecte et relayée sur les manchettes des journaux, est de Martine Brunschwick-Graf elle-même) par une armée de généraux aux fouets vifs et acérés, édictant des mesures propres à étouffer toutes velléités revendicatrices (par exemple, encouragement à la retraite anticipée – les jeunes enseignants étant plus soumis car non nommés ou en cours de nomination – systématisation des maîtres voltigeurs pour détruire la culture d’établissement, commissions alibis, etc.). Avec succès, il faut bien l’admettre. Battus, traités de paresseux, voire de parasites honteux par une presse agressive et, alors, entièrement aux mains des annonceurs des milieux immobiliers, les enseignants ont appris à se taire et à cultiver leur jardin pédagogique à la plus grande satisfaction des autorités qui se réjouissent d’une mer calme sans se demander ce qui pourrait gronder dans ses profondeurs (merci à Vercors pour cette métaphore). Que les enseignants et les directions d’établissement se taisent et se contentent de fonctionner! (Il est curieux que ceux-là même qui reprochent aux employés de la fonction publique de seulement «fonctionner» soient les premiers à tout faire pour en instaurer ou en perpétuer les conditions.) La plus grande surdité de Charles Beer est de n’avoir pas entendu – ou d’avoir fait semblant d’entendre – cette demande de dialogue de la part des enseignants. Cette erreur pourrait lui coûter cher lors des élections de l’année prochaine. Quoi qu’il en soit, les dégâts en termes de démission, d’asphyxie ou de grogne furent – et sont encore – énormes. Les départs en retraite anticipée sont de plus en plus nombreux sous l’œil d’une hiérarchie et de politiciens qui semblent se contenter d’observer cet exode massif vers la terre promise, le cas échéant de prendre des mesures pour enrayer le phénomène en supprimant toute aide à la retraite anticipée, sans jamais se poser la seule question intelligente: les raisons de cette subite désaffection.
Une hiérarchie devenue, avec le temps, aussi hautaine qu’autiste et qui, si elle a perdu tout contact avec sa base, n’en pas pour autant perdu ses réflexes autoritaires. Ainsi, à la suite de l’article d’Alain Jaquemoud, publié dans ce blog mercredi dernier, elle s’est très rapidement manifestée en s’interrogeant sur le devoir de réserve, aux contours très flous – et dont on se demande s’il n’est pas qu'une manière élégante d'éviter le mot «censure» –, et les limites d’expression attendues des enseignants. Une intervention suffisante pour semer le doute dans l’esprit des professeurs, auteurs des deux articles parus récemment dans ce blog. En ce sens, réagissant vendredi dernier sur Léman bleu, dans «Genève à chaud», à ces prises de position, Pascal Décaillet expliquait l’absence de Claude Duverney par l’innocente formule «qui n’est pas disponible aujourd’hui». Personne n’est dupe, à commencer par le journaliste qui le fait savoir clairement aujourd’hui dans la Tribune. Cette absence est en réalité motivée par la crainte de transgresser ce fameux devoir de réserve par lequel la parole de l’enseignant est systématiquement confisquée (Alain Jaquemoud, contacté deux jours plus tôt par le même Pascal Décaillet, a lui aussi décliné l’offre pour les mêmes raisons). Et voilà comment Jean Romain, dont la parole, elle, s’autorise de son statut de Président de l’ARLE, est venu à leur place. Il est tout de même regrettable que la voix des hommes de terrain, ceux qui connaissent le mieux les problèmes pour les affronter quotidiennement, ne puisse s’exprimer – toute sensibilité et opinion confondues – qu’au travers des canaux politiques, syndicaux ou associatifs, pour nécessaires qu’ils soient par ailleurs. Regrettable également que leurs velléités «d’insoumission» soient immédiatement récupérées, comme pour mieux y mettre fin, par le traditionnel débat entre Charles Beer et le représentant de l’ARLE. Un débat dont il ne faudra pas attendre grand-chose. A moins que Pascal Décaillet évite de se laisser entraîner dans la géométrie des courbes si chères au chef de l’Instruction Publique, dans la langue de bois, voire dans les platitudes préélectorales, le culte de l’image ou l’étalage des ego.
Pour notre part, persuadé que ce n’est pas la boîte de Pandore que les autorités libéreraient en donnant enfin la parole aux professeurs – et en les écoutant vraiment –, mais les énergies indispensables au bon fonctionnement de l’Institution, nous persistons dans l’idée que le 450ème anniversaire du Collège de Genève, pour qu’il  fasse vraiment sens au-delà des festivités attendues, des plates-formes officielles ou des opportunismes politiques (2009 est année électorale), doit être l’occasion d’un véritable débat citoyen sur l’enseignement. Modestement, ce blog, entre autres intentions, a aussi pour projet d’y contribuer. Cette conclusion tient lieu d’avis…

Commentaires

  • Bravo et merci pour vos précisions et vos rectifications. J’avais été surpris, dans les commentaires sur « Quel avenir pour le collège de Genève, », de voir un M. Rappaz venir tenter de récupérer l’article de M. Jacquemoud au profit d’ARLE et du MCG, puis, en suivant le Genève à chaud de M. Décailler, de voir M. Jean Romain tenter la même opération avec l’article de M. Duverney que vous avez également publié. Je suis heureux de voir qu’il y a dans les professionnels de l’enseignement d’autres voies et d’autres voix critiques que l’ARLE, cette association à l’idéologie réactionnaire qui s’est auto-proclamée porte-voix des enseignants.

  • Je lis avec intérêt ces lignes. Sachez que je ne demande qu'à laisser la parole à ceux qui ont écrit les articles sur ce blog ! Car on peut toujours braver l’interdit ! Après tout, c’est ce que j’ai fait depuis 1991, bien avant que l’ARLE soit créée. Un peu de caractère que diable !

    Par ailleurs, ce n'est pas moi qui me suis imposé, mais on est venu me chercher par un mail adressé à l'ARLE de la part justement d'un des signataires de ces analyses, courriel suggérant d’unir nos efforts. Ensuite comme il n’y avait personne de disponible (je reconnais l’euphémisme), je suis allé à Léman Bleu.

    On réclame d’entendre la voix des hommes de terrain ! Je rêve ! J’enseigne au collège Rousseau depuis 1978, et pour ce qui est du terrain j’en ai une connaissance nuancée. Je me suis battu contre cette ORM depuis le tout début, c'est-à-dire depuis 18 ans, en agitant les mêmes arguments que ceux qu’on avance dans ce blog. Où étiez-vous alors ? Que ne parliez-vous de concert avec nous ? Avec l’Union ? Que ne veniez-vous ajouter votre voix à la nôtre ?

    Je déplore comme vous que vous ne puissiez pas dire à haute voix ce que vous pensez mais peut-être faudra-t-il faire un pas de plus. Vous avez déjà fait le premier.

  • Mon affirmation n'a aucun caractère symétrique: prétendre que les enseignants ne peuvent s'exprimer en dehors des canaux agréés (entre autres associatifs) ne signifie pas que ces mêmes canaux confisquent ou phagocytent leur parole. Au contraire. Souvent, ils la représentent dans leurs sensiblités diverses
    En revanche, je le concède, il manque une précision importante à mon article que je rectifie volontiers : Jean Romain est un homme de terrain au bénéfice d'une longue expérience depuis son entrée dans l'enseignement en 1977 (sauf erreur de ma part) et nos débuts communs au Cycle des Grandes-Communes. Dont acte.

  • Salut Pierre,
    Superbes caricatures...

    tu te rappelles de moi (Collège de Candolle, entre 1986 et 1995).
    J'ai été un membre fondateur de l'Arle et pour prendre les coups et se faire traîner dans la boue (maintenant, on aime ça), l'Arle a toujours été en première ligne, alors que beaucoup d'autres sont restés bien à l'abri.

    En conséquence, il est bon de voir que d'autres profs, enfin, se mettent à bouger.
    On sait que la DGPO a secoué les puces de ton dirlo à cause de ton blog.
    C'est une manoeuvre minable d'intimidation.
    Continue... et les autres avec toi.
    A+
    patrice

  • Merci Pierre pour ces lignes! je te rejoins sur toute la ligne.
    ISabelle Stroun

  • Bonjour à tous,

    C'est avec émotion et amertume que je lis le texte ci dessus et le précédent aussi. ( C.Beer sacrifie l'ascenceur social) Je suis soulagée de constater que je ne suis plus seule à penser de la sorte !
    Depuis tant d'années qu'Ils essayent de me faire porter le chapeau face à "l'échec" scolaire de mes enfants en me disant que je suis trop soucieuse, trop exigeante lorsque j'osais poser des questions qui dérangent...
    Ahh, la fameuse relation de confiance parents-école !!! Seulement dans un sens, le leur, et sans remettre en question quoi que se soit !!

    Votre enfant rencontre des difficultés, son parent pose des questions embarassantes, allez, zou ! chez le psy !! ( résumé rapidement ici, mais totalement véridique !)

    Je suis simplement parent d'élève et pourtant, depuis quelques années, j'ai, moi aussi, resenti un malaise grandissant face à la scolarité de mes enfants.
    Au début, j'ai pensé que mon ainée avait "simplement " de la peine, qu'elle n'était pas scolaire.
    Ensuite, le second, puis le troisième rencontraient aussi des difficultés !!

    Pour les maitenir à niveau, depuis la 1P, il m'a fallut tout reprendre à la maison, car l'enseignement donné en classe ne suffisait pas...

    Je précise que nous sommes suisse, que j'ai fait mes études à Genève et donc, par exemple, les groupes de couleur pour analyser les phrases ne m'étaient pas inconnus, j'avais encore quelques notions de math et d'allemand, je ne travaille pas à l'extérieur, ce qui m'a permis de suivre de près leurs scolarités et je ne fais pas confiance aveuglément à un système lorsque j'ai des doutes !!!

    Heureusement, pour nous ! Mais quel travail de titan, combien de pages recopiées, tirées à l'ordi, de crises aussi lorsqu'ils ne voulaient pas s'y mettre avec moi...

    Je me suis toujours demandée comment réussissent les enfants non francophones ou ceux dont les parents ne pouvaient pas les soutenir à la maison ...J'ai compris plus tard qu'ils ne s'en sortaient pas ou très peu... " l'égalité des chances" une notion politiquement correcte à la surface, mais qui sonne tellement creux sur le terrain !

    Comme je l'ai dit dans mon message précédent, l'ainée est en privé pour le cycle et, miracle !, elle n'est plus en échec du tout !!!!????!!!!????
    J'en ai donc "plus que " deux à m'occuper, mais cette fois-ci, je ne dit plus rien aux enseignants et je fais ma petite "cuisine" dans mon coin...
    Par contre, lorsque j'en parle autour de moi, je constate que bien d'autres parents sont dans mon cas. Soit ils paient des répétiteurs, soit ils paient une école privées...Soit, ils ne voient rien....

    Pour terminer, je vous adresse, M. Béguin, toute ma sympathie et vous remercie de mettre en lumière ce qu'un système névrosé essaye, non sans mal, de cacher à la population. C'est risqué et courageux de votre part à cause de ce fameux "devoir de réserve" qui n'est rien d'autre que de la censure masquée.
    Bravo et bonne suite !
    Puisse un jour, l'école genevoise retrouver sa crédibilté et sa qualité...Sincérement, je l'espère...

  • Merci de vos commentaires dont vous assumez, bien entendu, la responsabilité. Il me faut, par souci d'honnêteté, revenir sur un point de crainte que la rumeur ne le déforme totalement: s'il y a bien eu un téléphone de la DGPO à la suite de l'article de mon invité M. Jaquemoud, l'expression "secoué les puces du dirlo" ne semble pas vraiment appropriée. Restons dans la formulation que j'ai utilisée dans mon article ci-dessus. Certes, le téléphone a semé le doute, et c'était peut-être là son objectif, mais il n'avait rien d'un oukase. Il reste bien quelques commissaires du peuple disséminés dans le DIP mais la DGPO, tout de même, si elle a perdu tout contact avec sa base, n'en est pas pour autant une réminiscence du stalinisme. Sachons raison garder dans nos critiques. Il en va de notre crédibilité. Dans tous les cas, je vous remercie de votre intérêt

  • si kelkun pouvait m'aider en me donant trois vrais argument sur ce livre "le silence de la mer" je luii serai trés reconnaissante mecii de votre aide d'avancee svp c'est pr un devoir de francais

  • okai je vais t'en donner 3

    1 - le silence

    2 - la mer

    3 - pourquoi je suis allé skier au lieu de lire le livre et de faire mon dévoir ...

    ça devrait le faire pour remplir trois pages..sourtout la dernière..

  • En anticipation de la lecture j’ai eu une pensée dans ma tête « Merci à M. Vercors pour cette métaphore ». Et voilà, je viens de lire la même chose dans le corps de ce billet. Les choses évidentes sont bien évidentes !

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