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Les temps modernes ne cessent de l'être

 

Par Olivier Chiacchiari

 

Je m'étais promis de ne pas le faire. Et pourtant je l'ai fait. C'est vrai. Mais si je ne me reconnais aucune excuse valable, j'invoque une circonstance atténuante: c'est l'avenir qui m'a forcé la main.
Samedi dernier, j'entre dans une librairie avec un but bien précis. Je me dirige vers le rayon concerné, j'identifie mon objectif dans toute son imposante richesse et m'en empare sans hésiter, lorsque mon regard croise un autre objectif. Son alter ego. Moins encombrant. Plus complet. Au même tarif ? Allons donc !
J'empoigne le concurrent déloyal. Soupèse, retourne, lis la notice. Dilemme cornélien: l'original volumineux dans une main et son prolongement électronique dans l'autre…
A partir de là tout devient confus, je crois que je viens à bout du dilemme, je crois que je me dirige vers la caisse le regard fuyant, je crois que j'arrive chez moi la goutte au front et l'objet de la trahison à la main.
J'allume mon ordinateur, déballe le CD-ROM, le glisse dans le lecteur, ça y est: la nouvelle édition du Petit Robert s'illumine devant mes yeux !
Pour la première fois en 20 ans de compagnonnage, aux 2,1 kilos de cellulose et quelques 3000 pages de la version papier, j'ai préféré un disque polycarbonate de 16 grammes. Est-il possible que 60 000 mots y cohabitent ? Et quand bien même, quel intérêt d'informatiser le dictionnaire ?
Je compulse le mode d'emploi. Clic. J'obtiens la définition souhaitée. Bon. Compulse encore. Clic clic. Chaque mot est interactif. Pas mal. Clic clic clic, étymologies, synonymes, citations en cascades, incroyable, le tout en liens hypertexte, vertigineux, je navigue à clics perdus dans les abysses de mon Robert numérique, comment ai-je pu vivre sans lui !
Au paroxysme de mon exaltation, je me fige. Et lance un regard embarrassé en direction de l'ancienne version qui trône encore sur mon bureau. Little Bob, mon vieil ami cellulosique... qu'en est-il ? Finie l'odeur du papier, la texture du papier, le bruit du papier ? Peut-on tourner cette page d'un simple coup de clic ?
Je m'étais promis de ne pas le faire. Et pourtant je l'ai fait. Mais qu'on se le dise: c'est l'avenir qui m'a forcé la main… clic !

Commentaires

  • Je te l'avais dit, Olivier: un jour ou l'autre, tu seras séduit par l'électron et tu snoberas la cellulose. Il t'a quand même fallu plus d'une dizaine d'années: personne ne t'en voudra.

  • Quand vous entrâtes dans cette librairie, Olivier, je pensais que votre "but bien précis" était cette petite vendeuse brune au beau regard vert qui s'occupe du rayon psychologie et ésotérisme. Mais oui, vous savez très bien de qui je parle...

  • En librairie, j'ai toujours eu pour habitude de ne me laisser séduire que par des livres, désormais je ferai quelques exceptions pour des CD-ROM, certes, mais tout cela doit rester littéraire, même au rayon érotisme.

  • Cela dit, le grand garçon barbu qui s'occupe des CD-ROM n'est pas mal non plus. Pour ma part, réticent à toute conversion, je m'obstinerai à soulever le lourd pavé de mon dictionnaire pour, dans un même élan, me muscler le corps et l'esprit...

  • Ah tiens, Zorg, voilà une réflexion qui nous éclaire sur vos relations avec Thierry Meury. Vous les aimez en cuir avec un fouet, en gros ?
    Puisque vous intervenez sur le blog de J.Estèbe, vous vous intéressez à la gastronomie ? Seriez-vous d'accord d'y renoncer quelques temps et fréquenter disons un mois un mauvais chinois (riche en glutamate) et nous dire ce que vous éprouvez à la vue de ce garçon après ce traitement ?

  • vous ne m'avez pas dit si vous avez commencé votre cure de glutamates, Zorg ? Savez-vous que le Temps a eu la même idée que moi ? vous pourriez devenir célèbre...

  • Géo, vous avez tout compris: entre Thierry Meury et moi, c'est uniquement sexuel. Avec ou sans glutamate, d'ailleurs...

  • Ah, qu'en savez-vous ? C'est effrayant de constater à quel point nous ne sommes que des entités biochimiques : testostérone, adrénaline, sérotonine, dopamine et maintenant glutamates.
    On est bien peu de choses, M.Zorg...
    (dites à votre copain Th. Meury de diminuer le gros rouge : c'est plein de sulfites qui rendent très agressif...)

  • C'est une ex chimiste qui m'a appris cela. Le blanc, c'est vrai que c'est pas terrible non plus. Tous les abus sont néfastes, n'est-il pas ?
    A propos de Th.Meury, je ne sais pas pourquoi, il me vient l'image d'un hippopotame volant de fleur en fleur dans le fleuve Sénégal. Le problème avec votre ami, c'est que le fleuve n'est pas constitué de H2O...

  • Dans un monde de requins, un hippo, ça repose.

  • Et les images de hippo voletant de fleur en fleur, c'est tout-à-fait charmant ! Manquerait plus qu'un tutu rose pour être parfait.

  • Géo: j'ai déjà vu Thierry Meury en tutu. Plus jamais.

  • De nos jours, on vous enverrait une escouade de psychologues pour essayer d'atténuer le traumatisme. Je regrette d'avoir inconsidèrement réveillé un tel souvenir...

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