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Céline, Ramuz, l’école, mai 68 et les valets du pouvoir

Par Alain Bagnoud

Céline n’aimait pas l’école. Ramuz non plus. Pas plus Queneau, et Cendrars, et les anarcho-syndicalistes de l’époque. Ils se méfiaient parce qu’elle avait pour rôle, pensaient-ils, d’intégrer le peuple dans la République. Mais pas n’importe comment. En remplaçant la langue et la culture des enfants du peuple par celles de la bourgeoisie cultivée.

L’école, pour eux, c’était un « appareil idéologique d'Etat, voué à former et réformer les structures mentales du peuple, à travers notamment l'apprentissage d'un français national standard qui doit se substituer, dans les couches populaires principalement, aux premières expériences vécues de la langue familièrement parlée. » (Je sors cette citation de la thèse de Jérôme Meizoz sur Ramuz, qui parle notamment de ces questions : L'Âge du roman parlant 1919-1939, préface de Pierre Bourdieu, Librairie Droz, 2001.)

S’opposant à ça, Ramuz, Céline et autres chantres de l’oral voulaient représenter littérairement les gens de peu. Pour eux, l’écrivain avait comme mission profonde de se dépouiller de la grammaire et du vocabulaire scolaires, de transgresser les interdits, de renouer avec une langue vivante. D’accepter la langue de la rue ou des champs, de la valoriser et de travailler sur ses niveaux. Une manière de mettre le peuple dans le champ de la culture.

Ce qui m’amuse dans cette histoire, en fait, c’est qu’il y a le même débat aujourd’hui, mais à l’envers. Les pédagogies d’après mai 68 suivaient un chemin vaguement inspiré par les mêmes idées que celles de Ramuz ou Céline. Leur but : faire entrer dans l’école d’autres langages, d’autres cultures que celles de la bourgeoisie dominante incarnée dans l’Etat.

Mais cette époque est finie. Nous sommes maintenant en pleine réaction. Dans le retour à l’autorité, au savoir, à la culture bourgeoises, à la norme. Qui vise à imposer un seul modèle de comportement, une seule culture, une seule langue. Celle des maîtres. Celle qu’ils dominent mieux que tout le monde et qui leur assure un surcroît de pouvoir.

Pas étonnant que certains n’aiment pas l’école !

(Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

Commentaires

  • Vous visez qui? Ces valets du pouvoir, c'est qui? Des noms!

  • On a pensé sans doute juste à une époque de rendre l'école gratuite. Maintenant, c'est une de ses tares majeures, car les gens ne croient qu'en ce qu'ils paient. Pour preuve ces cancres de l'école publique, en réussite honorable peu après dans une école privée: " Maintenant mes parents paient, donc je dois bosser!"

  • Hello Alain! J'aime bien tes réflexions sur langue et école! Anecdote: pour moi, le mot "standard" est lié à une piste de ski: "La Standard", qui descend du Grand-Sommartel au bas de la Combe Jeanneret, au début de la Vallée de la Brévine. J'y allais avec mes cousins quand j'étais enfant. J'ai été très étonnée en commençant mes études de linguistique d'entendre parler "du" standard... (Le blog d'Alain Bagnoud)

  • Le plus embêtant c'est quand ces certains sont profs...

  • A l'époque où j'allais à l'école, la mode était aux "pédagogies d'après 68". Je me suis toujours ennuyée dans une école qui pratiquait ce que je ressentais déjà à l'époque, sans pouvoir le nommer, comme du "nivellement par le bas". Je n'ai pas aimé l'école. Je séchais souvent les cours pour aller lire dans la bibliothèque. Quant à ce que vous appelez réaction... Qui veut le retour de l'autorité? Souvent, ce sont les parents, quand ce ne sont pas les élèves eux-mêmes. On pourrait se demander pourquoi.

  • Tout à fait d'accord avec ce que tu dis, et le prolongement actuel.
    A Genève, tu vois de près la "réaction",.et derrière , tous ceux qui craignent de voir dévaluées les valeurs (culturelles) sur lesquelles
    se fondait leur domination sociale.

  • Il me semble que vous confondez plusieurs choses, Inma. Faire entrer dans l’école d’autres langages, d’autres cultures que celles de la bourgeoisie dominante, ce n’est pas un nivellement par le bas. Au contraire. Au lieu de valoriser uniquement le « bien parler », le « bien écrire » bourgeois, c’est-à-dire un discours figé dans les clichés et charriant des valeurs limitées, il s’agit de s’ouvrir à la richesse et à la saveur de la langue et de dire ainsi la complexité du monde. C’est tout simplement d’ailleurs ce que fait la littérature, et c’est par elle notamment qu’on arrive à cette ouverture..
    Quant à l’autorité, lisez-moi bien : j’ai parlé de retour de l’autorité bourgeoise. Le dictionnaire Robert définit deux autorités : le droit de commander, d'imposer l'obéissance. Et la « supériorité de mérite ou de séduction qui impose l’obéissance sans contrainte ». Je ne suis pas contre cette deuxième autorité, bien au contraire. J’attends des enseignants qu’ils en sachent plus que les élèves dans leur branche, qu’ils leur proposent des défis qui élèvent les niveaux de compétence et de savoir, qu’ils les fassent travailler.

  • Puisqu'il est question de redresser les jambes des chiens, je me permets cet aparté avec et contre mai!

    Suisse, Singapour... : eldorado de la candeur médiatique

    Les journalistes réunis en consortium tiennent à rappeler qu'ils ne sont pas des ouistitis qui enterrent le public sous des tonnes de cacahuètes. Ils décortiquent eux-mêmes les faits avant d'inviter tout le monde à l'apéro. Dont acte. Et donc surgit un fait que je suis contraint de qualifier d'extraordinaire, une sorte de sur-fait dégoté par un livreur de nouvelles à la criée : « un mai 68 à l'envers » ! Quelqu'un sans doute qui s'emmêle les crayons et prend peur dès qu'il s'aventure hors du royaume des faits et crie au populisme qui n'est qu'une forme institutionnelle d'au secours !

    (lire le texte entier sur lapetiteguerre.overblog.com)

  • Bonjour,
    Je ne suis pas certain de bien comprendre... qu'est-ce qui, concrètement, vous fait dire que "Nous sommes maintenant en pleine réaction. Dans le retour à l’autorité, au savoir, à la culture bourgeoises, à la norme".
    Où voyez-vous ça dans l'école genevoise?

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