Littérature et salon de thé
par Jean-Michel Olivier
Depuis mercredi, comme tout le monde, je vis dans la sidération. Impossible de penser à autre chose qu'au massacre des artistes géniaux qu'étaient Cabu, Wolinski, Charb, Honoré et Tignous ! Et depuis, à chaque instant, radio, télévision, journaux ravivent la plaie si douloureuse qui ne se refermera pas…
Pour faire diversion, j'écoutais Vertigo, sur La Première, qui recevais ce jour-là Metin Arditi. Je retrouvai le même Arditi, d'ailleurs, lundi dernier au Journal du Matin, invité de Simon Matthey-Doret (ici). Il y parlait de son dernier roman, Juliette au bain.*
D'un coup, d'un seul, on quittait l'abominable tuerie parisienne pour entrer dans un salon de thé de Champel, entre deux douairières aux cheveux bleus et un vieil avocat à la retraite. On était entre gens de bonne compagnie. On mangeait son mille-feuilles sans faire de miettes, en sirotant une tasse de thé à la bergamote. On était loin du monde, loin des larmes et du sang. Personne ne disait du mal de personne. On avait oublié Zemmour, Houellebecq, et même Finkielkraut.
On était à Genève, sur la planète Suisse, et on était bien.
Jamais la littérature (qui est un attachement vital au monde des hommes et des femmes) ne m'a paru si détachée de tout. Si vaine, si dispensable. Et la morale, bordel ? Elle régnait en maîtresse absolue. Bons sentiments, espoir œcuménique, fraternité béate. Dans ce salon cosy, on était loin de tout : du monde, des guerres de religion, des jeunes paumés des banlieue, de la modernité…
Si la littérature existe, elle est en prise directe avec le monde — ou elle n'est pas.
* Metin Arditi, Juliette au bain, Grasset.