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  • en mémoire de Georges Haldas

    Au début des années quatre-vingts, je mange un couscous avec Georges Haldas. Il me dit que le cinéma traverse la même crise que la littérature à une certaine époque. Belles descriptions de paysages parce qu’il n’y a plus rien à dire sur l’homme, ses espérances, ses illusions, ses appétits, ses drames, ses souffrances. Ne sachant donner à voir l’homme, tel cinéaste change de lunettes à chaque film. Lunettes roses pour tel film. N’étant pas satisfait des lunettes roses, il chausse des lunettes noires pour le suivant. Et le tour est joué.

     

    Haldas me dit au milieu du repas: «J’aime les femmes, leurs cheveux, leur voix, leur peau, c’est un mystère, c’est la sensibilité, alors que l’homme est buté, volontaire. Quand une femme me regarde, c’est autre chose».


     

    Haldas m’apprend que Giorgio Strehler était à Genève pendant la guerre, qu’il montait des pièces à la Comédie, qu’il vivait avec une femme qui l’a beaucoup aidé, financièrement et moralement. Puis il dit je ne sais plus à quel propos: «On ne se tue pas par amour pour une femme. On se tue parce qu’un amour, n’importe quel amour, nous révèle dans notre nudité, dans notre misère, dans notre état désarmé, dans notre néant» - «L’acceptation des faiblesses humaines est le seul témoignage de vraie force» 

     


     

    Il parle de l’enthousiasme et de ceux qui ne sont pas ou plus capables d’enthousiasme. «Ce sont ceux qui n’acceptent pas la souffrance qui n’ont pas d’enthousiasme. Celui qui est capable d’enthousiasme est prêt à endurer la souffrance, la déception, la désillusion. Les timorés ne sont pas capables d’enthousiasme. Les égoïstes non plus».


     

    Il dit que, chez un grand artiste, il y a les deux composantes de la vie: l’atrocité, les camps de concentration, l’innommable d’un côté et, de l’autre côté la transparence, l’aube, l’arbre qui fleurit, la mère qui caresse son enfant, l’homme qui mange des filets de perches avec son fils, celui qui boit une bière dans la pénombre, la jeune mendiante qui sourit. Il prend Baudelaire comme exemple du grand artiste. «Celui qui impose sa vision ennuyée et morne de l’existence est un menteur, un imposteur. Le vrai poète sait transfigurer le monde, il sait entendre les mélodies, il sait voir les détails boulversants. Il danse et jongle avec les mots, exemple Robert Walser».

     

     


    antonin moeri