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  • portrait d'un extrémiste

     

     

    par antonin moeri

     

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    Qu’est-ce qui caractérise l’extrême-droite? Les propos démesurés, l’irrationalité, la haine de l’Autre, la liberté dans la folie, la nostalgie d’un monde où les valeurs traditionnelles ne sont pas piétinées, le rêve d’un renouveau que la bonne santé, la force, le respect de la famille et l’amour de la patrie rendront possible. Il n’est que d’allumer la télévision pour entendre les ritournelles de ces politiciens ou politiciennes aux assertions péremptoires. J’y songeais en lisant le portrait fictif d’Italo Schiaffino (1948-1982). Je me demandais qui était cet homme, issu de famille modeste, qui n’eut que deux passions: le football et la littérature. En 1968, il prend la tête d’un club de supporters de foot. Dans un manifeste au titre éloquent «L’Heure de la jeunesse argentine», Italo expose la situation du foot en Argentine, se plaint de la crise et désigne les coupables: la ploutocratie juive incapable de produire de bons joueurs et les intellos de gauche qui mènent le pays à la ruine. Avec ce pamphlet, Italo veut «tirer du sommeil les esprits les plus inquiets de la patrie».

    Dans «Les Chemins de la gloire», il examine la vie de quarante-cinq footballeurs du Club Boca. L’édition est financée par les membres de ce club que dirige Italo. Ce livre a droit à des comptes-rendus dans les journaux. Italo est invité à la radio. Dans «Comme les taureaux sauvages», il raconte les sorties des supporters en province. «C’est son oeuvre la plus réussie, la plus libre et spontanée, grâce à laquelle le lecteur peut se faire une idée juste du jeune poète et de la relation que celui-ci entretient avec les espaces virginaux de la patrie». En 1975, il fonde la revue «Con Boca» qui sera l’organe de diffusion de ses idées. Un de ses articles est intitulé «Juifs dehors» (hors du stade). En 1978, l’Argentine remporte la coupe du monde. Les supporters se déchaînent dans les rues de Buenos Aires. La radio propose à Italo un poste de commentateur. Un journal lui accorde une colonne hebdomadaire consacrée à la jeunesse. Mais sa plume violente entre en conflit avec tout le monde. De 1978 à 1982, il continue d’écrire pour «Con Boca» des articles qui s’attaquent aux maux dont souffrent le football et l’Argentine. Son prestige auprès des ultras ne s’est jamais démenti. Il meurt d’une crise cardiaque en 1982, pendant qu’il écoute à la radio un communiqué de la guerre des Malouines.

    L’auteur ne porte aucun jugement sur cet homme persévérant qui a quitté l’école obligatoire à treize ans pour devenir commissionnaire dans une quincaillerie. On l’imagine lisant les poètes sud-américains, l’Iliade, Cervantès et Clausewitz à ses heures perdues. On le voit à la tête d’un groupe de supporters violents qui se déplace en province pour assister à des matchs. On l’imagine discutant avec un colonel, avec le docteur Heredia ou avec les extrémistes qui hurlent dans les stades et on se dit que ce personnage inventé apparaît dans un texte ouvert qu’on ne peut pas réduire à quelques slogans réconfortants sur la banalité du mal.

     

     

    Roberto Bolaño: La littérature nazie en Amérique, Bourgois, 2011