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  • Le prix Edouard Rod à Yvette Z'Graggen

     

    yvette z'graggen

    Créé par Jacques Chessex en 1996 en l'honneur de l'écrivain Édouard Rod et décerné tous les deux ans, le prix Edouard Rod sera remis ce samedi 15 septembre 2012 à L'Estrée, Ropraz, à 11h, à Yvette Z'Graggen (1920-2012) à titre posthume pour son livre Juste avant la pluie (Vevey, Édtions de l'Aire, 2011).

    C'est une bonne occasion pour tous les admirateurs de cet auteur de se réunir autour de son dernier livre.

  • millet - breivik

     

     

    par antonin moeri

     

     

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    Avant de se retirer du monde et de passer à l’acte, le tueur norvégien Anders Breivik était du genre optimiste, pragmatique, déterminé, ambitieux, motivé, performant, créatif. Il travaillait dur. Jeune homme brillant et d’une intelligence exceptionnelle, il avait, selon une source proche du dossier, une capacité d’analyse hors norme. D’une grande curiosité, il a voyagé dans vingt-et-un pays. Enfant de divorcés et parfaitement intégré socialement, Breivik avait tout, écrit Richard Millet dans son ironique «Eloge littéraire de Breivik», du petit bourgeois américanisé. «L’air d’un gendre idéal, il ne porte pas de piercing, de tatouages, de dreadlocks. Hétérosexuel, il aime le snowboard, la bière Budweiser, les parfums Chanel, les chemises Lacoste». Ce «gendre idéal» a lu Hobbes, Burke, Orwell.

     

    Millet nous présente Breivik comme «un enfant de la ruine familiale autant que de la fracture idéologico-raciale que l’immigration extra-européenne a introduite en Europe depuis une vingtaine d’années». La dérive du tueur d’Oslo s’inscrirait «dans une grande perte d’innocence et d’espoir caractérisant l’Occident». Dans un univers chamboulé, mondialisé, métissé, multipolaire, multiculturel et multiracial, il aurait sombré dans un abîme identitaire et ce naufrage l’aurait poussé à massacrer des jeunes Norvégiens travaillant, selon le tueur, «à la dénaturation de la nation norvégienne». Selon les experts et les journalistes, Breivik aurait pris les armes pour défendre des valeurs qui seraient celles de l’extrême-droite européenne. Il serait le «parangon du ‘facho’ passé à l’action terroriste après avoir ‘pété les plombs’».


    Millet inscrit la tuerie d’Oslo dans une suite de massacres de masse perpétrés ces quinze dernières années en Angleterre, en Suisse, en France, en Allemagne, en Finlande et nous rappelle que ce genre d’horreur ne se produit pas que sur le sol américain. Jamais l’auteur de cet essai ironique ne justifie ou ne défend les actes de Breivik (s’il l’avait fait, aucun éditeur sensé n’aurait accepté de l’éditer) mais il cherche à comprendre les motivations, le délire de ce «gendre idéal». Ce qui gêne le lecteur, c’est que Millet compare la préparation sophistiquée, méticuleuse de cet acte injustifiable au geste littéraire et considère Breivik comme un «écrivain par défaut». Ce rapprochement me met mal à l’aise. Mais qu’un romancier puisse se dire interpellé par le naufrage de ce petit bourgeois désorienté, perdu, amer, haineux et sans doute psychotique, ne surprend pas. 


    D’aucuns pensent que Breivik n’a pas agi seul pour monter cette entreprise terroriste et qu’il n’a pas écrit seul son manifeste de 1500 pages. Ce qui remettrait en cause la version de Millet, pour qui ne compte que l’abîme identitaire de l’individu Breivik. Ce serait aux enquêteurs norvégiens de répondre à cette question. En attendant, on pourrait imaginer un Norman Mailer, une Patricia Highsmith, un Dostoïevski ou un Truman Capote interrogeant ce naufrage dans un roman, seule forme rêvée sans doute pour pointer chez le lecteur cette prédisposition à l’horreur qui pourrait être la sienne, pour rendre compte d’une expérience ayant à voir avec ce que Georges Bataille nommait «le mal»?

     

     

     

    Richard Millet: 

     

    «Langue fantôme, suivi de Eloge littéraire d’Anders Breivik», Edition Pierre Guillaume de Roux.


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  • Un scandaleux transfert de propriété

    Par Pierre Béguin

     

    On aura tout entendu!

    transfert.PNGDe la proposition la plus cyniquement stupide, celle de l’UDC qui veut rendre l’assurance maladie facultative, à la plus inutilement lancinante, celle des socialistes et leur incontournable caisse unique, en passant par la suppression des hautes franchises, l’interdiction de modifier une franchise pendant trois ans, l’établissement de réseaux de soins (qui aboutiraient inévitablement à un rationnement desdits soins et à une médecine à plusieurs vitesse), chacun y va de sa solution. La plupart du temps au seul bénéfice des compagnies d’assurance.

    Le peuple, lui, reste sceptique. Il a raison. Il a mis au rancart les réseaux de soins. Seuls quelques illuminés soutiennent la proposition udécéiste, et moins de 40% des sondés penchent pour la solution socialiste. Dont on ne voit pas par quel tour de magie elle pourrait contribuer à régler le problème essentiel de l’assurance maladie: empêcher les primes de grimper (on voit très bien en revanche comment elle pourrait contribuer à les faire exploser). Les deux solutions tiennent d’ailleurs davantage du dogme que du pragmatisme (les socialistes, sous couvert de caisse unique, espèrent en réalité étatiser le système). Et c’est bien pour cette raison qu’elles ne séduisent pas. Les gens veulent des soins et des primes qui ne grèvent pas leur budget en peau de chagrin. On n’est pas sorti de l’auberge! Malgré toutes ces incantations lénifiantes, les primes vont continuer d’augmenter. Bientôt, la moitié de la population sera subventionnée. Totale schizophrénie d’un système qui prévoit une assurance sociale à but non lucratif gérée par des entreprises privées, avec actionnaires et dividendes, et qui confie l’offre (générant la demande) à des médecins dont on ne voit pas pourquoi l’éthique serait supérieure à celle d’un garagiste (il faut bien faire tourner la baraque, non!)

    Oui, on aura tout entendu. Sauf (à ma connaissance du moins) une proposition pourtant évidente qui, certes, ne règlera pas à elle seule le problème, mais qui pourrait donner un cadre plus stable à la Lamal: unifier les fonds de réserve, confier leur gestion à la Confédération et lier leur répartition en fonction du nombre d’affiliés à chaque caisse maladie. Actuellement, la gestion des fonds de réserve reste floue, et au seul pouvoir des assurances. La polémique sur les réserves des caisses maladie dure pourtant depuis des années. Rien ne bouge. On n’ose imaginer ce qui se trame dans ce puits à milliards. Et on craint le scandale national qui pourrait éclater un jour...

    Dans tous les cas, leur gestion est absurde. Il est facile de démontrer comment elle contribue à l’augmentation des primes. Logique: plus une caisse maladie comprend d’adhérents, plus elle augmente ses fonds de réserve. Illogique: en cas d’exode vers une autre caisse maladie, la première conserve ses fonds de réserve, la seconde se voit dans l’obligation de les augmenter et, donc, d’augmenter ses primes. De là à en conclure que la première aurait intérêt à des exodes successifs, aussi massifs que ponctuels... C’est du moins la question que je me posais lorsque Mme Ruth Dreifuss, par ailleurs femme intelligente, sage et respectable, expliquait l’augmentation des primes d’assurance maladie par l’immobilisme des assurés qui, selon elle, ne jouaient pas le jeu de la concurrence. Et d’encourager le peuple dans cette voie qui ne peut qu’aggraver le problème. Nous prenait-elle pour des idiots? A titre d’exemple, en 2010, Assura, le vent en poupe grâce à des primes compétitives, craignait un rush de nouveaux clients, estimant que son taux de réserve de 35% pourrait alors fondre à moins de 12% et entraîner d’importantes hausses de primes menaçant sa compétitivité.

    Car, en plus des frais administratifs engendrés par tout changement d’assurance, les fonds de réserve ajoutent aux dépenses à chaque mouvement. J’ai payé des primes depuis trente ans à l’assurance X. Qu’on m’explique pourquoi la part de fond de réserve que mes primes ont accumulé ne me suit pas automatiquement en cas de changement de caisse! Allez donc! Cadeau à l’assurance! Pire. Formidable – et inadmissible – transfert de propriété qu’on peut sans autre assimiler au vol légalisé d’un bien qui devrait de facto appartenir aux citoyens assurés.

    Dans certains cantons – c’est le cas à Genève – des assurances ont transféré le surplus des fonds de réserve dans d’autres cantons pour éviter des augmentations de primes. La solidarité, d’accord! Mais tout de même, faudrait voir à ne pas exagérer! Si les primes sont calculées au niveau cantonal, pourquoi les réserves le sont-elles au niveau national? Seul le parti radical genevois, avant de devenir libéral, avait déposé une résolution demandant au canton de Genève d’exiger la transmissibilité des réserves accumulées par un assuré lorsqu’il change de caisse maladie. On a même pensé à prendre des mesures d’urgence consistant à faire introduire par le législateur fédéral une disposition dans la Lamal prévoyant l’appartenance strictement cantonale des fonds de réserve et l’interdiction de tout transfert dans d’autres cantons (qu’est-il advenu de tout cela?) Mais d’unification des fonds de réserve, il n’en fut jamais fait mention. On n’en veut pas, tout simplement. La véritable question est de savoir pourquoi.

    Non pas une caisse unique donc, mais un fond de réserve unique, propriété des assurés et géré par la Confédération. Si la disparité des caisses maladie, et la concurrence qui s’ensuit, reste un garde-fou à l’explosion des primes, la gestion des fonds de réserve doit leur être retirée de toute urgence. Qu’on commence par là! On verra ensuite quel autre pas il convient de faire.

    A moins que, privées de la manne des fonds de réserve, les compagnies d’assurance ne tiennent plus vraiment aux caisses maladie, si coûteuses et peu rentables, paraît-il...

    Tiens, j’y pense! Moi qui croyais encore que les compagnies tenaient mordicus à conserver les primes d’assurance maladie de base pour servir d’appel d’offre aux assurances complémentaires, j’en viens à me poser cette question: la gestion privée des fonds de réserve, absurde pour le citoyen mais si profitable aux caisses, ne serait-elle pas pour quelque chose dans cette volonté de conserver, par tous les relais politiques possibles, la main mise sur les assurances maladie? Un scandaleux transfert de propriété? Non!? No me digas...

     

  • Le Livre sur les quais à Morges

     par Jean-Michel OlivierDownloadedFile.jpeg

    Heureux pays, décidément, que la Suisse romande ! Je ne parle pas ici de ses vins, qui chaque année s’améliorent, au point de rivaliser avec les grands crus français ou italiens. Non. Je parle ici de la cuvée littéraire 2012. Abondante. Diverse. Profonde. Gouleyante…

    Il n’y a pas que la France, désormais, pour connaître une rentrée littéraire. Ses coups de cœur et de sang. Ses découvertes. Ses controverses passionnées. La Suisse romande aussi, et c’est une nouveauté, vibre au rythme des nouvelles parutions. Comme si, enfin, dans ce pays, la littérature devenait un objet de passion, d’échanges et de débats. Après des années de somnolence.

    Que s’est-il donc passé ?

    On sait qu’en France la rentrée littéraire est un enjeu non seulement éditorial, mais aussi médiatique et économique. Chaque éditeur se doit de présenter un ou plusieurs ouvrages susceptibles d’entrer dans la grande course aux Prix. C’est une grande empoignade. On dispute, on se bat, on joue des coudes. À ce jeu-là, bien sûr, ce sont souvent les plus puissants (Gallimard, Grasset, Le Seuil, Albin Michel) qui gagnent. Mais, parfois, un éditeur indépendant, à force de ténacité, arrive à décrocher la timbale. Ce fut le cas de mon éditeur, Bernard de Fallois, ami de Simenon et de Marcel Pagnol, lorsque mon roman Amour nègre, déjouant tous les pronostics, reçut en 2010 le Prix Interallié.

    En Suisse, donc, pas de Prix, pas de rentrée littéraire, pas d’empoignade ? Et bien, non, même en Suisse, les choses changent…

    Depuis deux ans, une manifestation marque véritablement le début des festivités littéraires. Cela s’appelle Le Livre sur les Quais. On doit cette initiative à la Municipalité de Morges et à la géniale libraire Sylviane Friederich qui n’a pas ménagé son énergie pour mettre sur pied une sorte de salon littéraire qui n’est ni un salon, ni une foire. Mais un lieu de rencontre et d’échange entre auteurs et lecteurs.

    Cette année, Le Livre sur les quais se tiendra du vendredi 7 au dimanche 9 septembre. Sous une immense tente. À deux pas du lac éblouissant. À cette occasion, plus de 200 écrivains, jeunes et moins jeunes, connus ou inconnus, signeront leurs nouveaux livres. Parmi les écrivains français : Jean-François Kahn, Marc Lévy, Philippe Besson et images.jpegDavid Foenkinos (avec qui j’aurai le plaisir de dialoguer samedi 8 à 15 heures dans la grande salle du Casino). Et parmi les auteurs indigènes, il faut relever l’impressionnante cohorte des jeunes loups talentueux, tels qu’Antonio Albanese, Joël Dicker (dont l'épatant dernier roman* fait partie de la première liste du Goncourt), Sabine Dormond, Anne-Sylvie Sprenger ou encore Quentin Mouron. Quelle fougue ! Il y a bien longtemps que la littérature romande n’avait été aussi vivace et prometteuse !

    images-1.jpegCette année, l’invité d’honneur est la Wallonie-Bruxelles, qui enverra quelques-uns de ses meilleurs écrivains (dont Patrick Roegiers). Et la présidente d’honneur sera Nancy Huston, Canadienne installée à Paris, dont le dernier livre, Reflets dans un œil d’homme*, fait verser beaucoup d’encre et grincer bien des dents chez les féministes nostalgiques.

     

    Ne manquez pas ce rendez-vous !

    * Joël Dicker, La Vérité sur l'affaire Harry Québert, de Fallois/l'Âge d'Homme, 2012.

    ** Nancy Huston, Reflets dans un œil d’homme, Actes Sud, 2012.

  • incipit

     

     

    par antonin moeri

     

     

     

    Les scènes d’ouverture dans les romans ont plus d’une fois retenu mon attention. Souvenez-vous des premières pages du roman «Sanctuaire» de William Faulkner, sans doute une des scènes d’ouverture les plus impressionnantes de la littérature occidentale. Une source jaillit à la racine d’un hêtre et s’écoule sur un fond de sable ridé par l’empreinte des remous. Un homme accroupi boit. Au milieu de son propre reflet, cet homme découvre l’image déformée du canotier de Popeye, une espèce de gringalet, cigarette au bec, visage blême. Un oiseau chante. «C’est un revolver que tu as dans cette poche?» - «Non, c’est un livre». Scène inoubliable que me racontait mon père avec une joie évidente quand nous marchions sur les cailloux tranchants d’un chemin alpestre.

    Je songeais à cette scène d’ouverture en lisant le début de «L’après-midi de monsieur Andesmas» de Marguerite Duras. Cette fois, le lecteur est troublé. Le IL de celui qui débouche sur un chemin ne désigne pas un homme mais un petit chien roux qui «venait sans doute des agglomérations qui se trouvaient à une dizaine de kilomètres de là». Et c’est le point de vue du chien qu’adopte l’auteur pour lancer son récit. Le petit chien longe un précipice et, soudain flâneur, «hume la lumière grise qui recouvre la plaine». Il ne voit pas aussitôt le vieil homme assis dans un fauteuil en osier et qui, comme le chien, regarde l’espace vide illuminé devant lui. Ce sont les légers grincements du fauteuil sur lequel est assis le vieil homme qui attire l’attention du chien. Il dresse l’oreille et, alors seulement, il découvre la présence de Monsieur Andesmas.

    C’est sans doute la première fois que l’animal voit cet homme, à cet endroit. Raison pour laquelle il regarde l’homme «de cette façon contemplativement fixe». Il s’en approche en remuant la queue. Alors Monsieur Andesmas imagine la vie de ce chien errant. «Il devait venir chaque jour dans cette colline, à la recherche de chiennes et de nourriture (...) Il faudra faciliter son existence difficile en lui donnant à boire». Le chien quittera discrètement la scène en effleurant de ses ongles les roches de grès.

    On songe naturellement au magnifique roman de Virginia Woolf «Flush» que Duras devait avoir lu, et où la bio fictive d’une poétesse est racontée dans la perspective de son cocker. Mais ce que Duras réussit avec son redoutable talent de romancière, c’est de nous faire entendre le froissement des arbustes et des buissons, le halètement du petit chien, les légers grincements du fauteuil en osier, la respiration difficile du vieil homme. C’est de nous faire entrer, si j’ose dire, dans la peau de l’animal pour que le lecteur connaisse la surprise canine en découvrant que lui, le chien, n’est pas seul sur cette terrasse. Intimidé, il baisse les oreilles, remue la queue. Nous ne sommes pas dans l’univers de Kafka, de Darrieussecq, de Jon McGregor ou de Virginia Woolf qui placent le lecteur dans le foyer de perception de l’animal pour conter toute l’histoire, du début à la fin, mais les premières pages de «L’après-midi de Monsieur Andesmas» ont provoqué chez moi un plaisir de lecture que je n’oublierai pas de sitôt.

     

     

     

    Marguerite Duras: L’après-midi de Monsieur Andesmas, Pléiade, 2012