Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

millet - breivik

 

 

par antonin moeri

 

 

images-1.jpeg

 

 

Avant de se retirer du monde et de passer à l’acte, le tueur norvégien Anders Breivik était du genre optimiste, pragmatique, déterminé, ambitieux, motivé, performant, créatif. Il travaillait dur. Jeune homme brillant et d’une intelligence exceptionnelle, il avait, selon une source proche du dossier, une capacité d’analyse hors norme. D’une grande curiosité, il a voyagé dans vingt-et-un pays. Enfant de divorcés et parfaitement intégré socialement, Breivik avait tout, écrit Richard Millet dans son ironique «Eloge littéraire de Breivik», du petit bourgeois américanisé. «L’air d’un gendre idéal, il ne porte pas de piercing, de tatouages, de dreadlocks. Hétérosexuel, il aime le snowboard, la bière Budweiser, les parfums Chanel, les chemises Lacoste». Ce «gendre idéal» a lu Hobbes, Burke, Orwell.

 

Millet nous présente Breivik comme «un enfant de la ruine familiale autant que de la fracture idéologico-raciale que l’immigration extra-européenne a introduite en Europe depuis une vingtaine d’années». La dérive du tueur d’Oslo s’inscrirait «dans une grande perte d’innocence et d’espoir caractérisant l’Occident». Dans un univers chamboulé, mondialisé, métissé, multipolaire, multiculturel et multiracial, il aurait sombré dans un abîme identitaire et ce naufrage l’aurait poussé à massacrer des jeunes Norvégiens travaillant, selon le tueur, «à la dénaturation de la nation norvégienne». Selon les experts et les journalistes, Breivik aurait pris les armes pour défendre des valeurs qui seraient celles de l’extrême-droite européenne. Il serait le «parangon du ‘facho’ passé à l’action terroriste après avoir ‘pété les plombs’».


Millet inscrit la tuerie d’Oslo dans une suite de massacres de masse perpétrés ces quinze dernières années en Angleterre, en Suisse, en France, en Allemagne, en Finlande et nous rappelle que ce genre d’horreur ne se produit pas que sur le sol américain. Jamais l’auteur de cet essai ironique ne justifie ou ne défend les actes de Breivik (s’il l’avait fait, aucun éditeur sensé n’aurait accepté de l’éditer) mais il cherche à comprendre les motivations, le délire de ce «gendre idéal». Ce qui gêne le lecteur, c’est que Millet compare la préparation sophistiquée, méticuleuse de cet acte injustifiable au geste littéraire et considère Breivik comme un «écrivain par défaut». Ce rapprochement me met mal à l’aise. Mais qu’un romancier puisse se dire interpellé par le naufrage de ce petit bourgeois désorienté, perdu, amer, haineux et sans doute psychotique, ne surprend pas. 


D’aucuns pensent que Breivik n’a pas agi seul pour monter cette entreprise terroriste et qu’il n’a pas écrit seul son manifeste de 1500 pages. Ce qui remettrait en cause la version de Millet, pour qui ne compte que l’abîme identitaire de l’individu Breivik. Ce serait aux enquêteurs norvégiens de répondre à cette question. En attendant, on pourrait imaginer un Norman Mailer, une Patricia Highsmith, un Dostoïevski ou un Truman Capote interrogeant ce naufrage dans un roman, seule forme rêvée sans doute pour pointer chez le lecteur cette prédisposition à l’horreur qui pourrait être la sienne, pour rendre compte d’une expérience ayant à voir avec ce que Georges Bataille nommait «le mal»?

 

 

 

Richard Millet: 

 

«Langue fantôme, suivi de Eloge littéraire d’Anders Breivik», Edition Pierre Guillaume de Roux.


breivik.jpeg


Commentaires

  • Bien vu bien lu, cher Antonin, et c'est vrai qu'on attend la suite des Démons par un auteur contemporain. Tu me feras signe quand le début de l'ombre de l'oiseau rare se signalera tandis qu'on papote et qu'on jabote sur la Toile et dans les salons gemanopratins ou d'environs lémaniques...

  • Mais c'est quoi le début de l'ombre de l'oiseau rare? Tu sais faut me parler clairement, les images floues, j'y capte quedal. Et puis, la suite des Démons, c'est franchement pas possible, on n'écrit pas au 21 e comme on écrivait au 19 e. Papotage et jabotage, c'est excellent, ça fait passer le temps, ça tue le temps. Ce qui est devenu extrême, c'est l'époque je crois. Pour capter tout ça, faut du flair, de la colère et un peu de mélancolie peut-être vielleicht, nicht sicher. Et puis du style sans doute. Ou bien la chose est-elle obsolète, vieille comme l'est l'Europe, aux dires du ministre de la guerre de Bush. Me souviens plus de son nom, un partisan des solutions musclées.

Les commentaires sont fermés.