Le 8e jour, Dieu créa l'écriture inclusive
Par Frédéric Wandelère
(Poète, essayiste, traducteur, Frédéric Wandelère est né et vit à Fribourg. Il a publié à ce jour huit recueils de poésie et traduit des textes de lieder de Schumann, Wolf, Mahler et Schubert. Son goût pour le lied et la voix l'a conduit à réhabiliter en conférence, au Grand Théâtre de Genève, la plus célèbre cantatrice du XXe siècle, Bianca Castafiore. Je suis heureux de l'accueillir dans Blogres.)
Je me suis demandé si la vogue des mots-valises – démocrature : démocratie-dictature – qui a très longtemps sévi, notamment dans les journaux et les hebdomadaires, ne préparait pas le terrain à l’écriture inclusive qui associe en un seul mot, moyennant l’insertion d’un point médian, le masculin au féminin : écrivain.e, étudiant.e.s, vert.e.s avec quelques situations problématiques sur la place du point, les marques du pluriel, et sur la prononciation du mot en contexte. Faut-il prononcer le député vert.e.s Laurent Dupont, ou le député vert, mais dans ce cas, les vert.e.s au féminin ne vont-elles pas se sentir exclues ? Comment lire les rect.eur.rice.s de Suisse ? Faut-il, quand on écrit, mettre le point après rect, ou après recteur et ajouter rice puis le point, puis le s ? Même problème pour l’adjectif cher, au féminin chère ? C’est l’accent qui pose un problème ! Faut-il noter ch suivi du point, puis er pour le masculin, suivi du point, puis ère, ainsi : ch.er.ère.s ? il le faudrait car l’accent grave, dans ce cas, fait légitimement partie du féminin. Donc infirmi.er.ère.s. Des étudiant.e.s étrang.er.ère.s, fi.er.ère.s de leurs origines. Les tableaux et sculptures impéri.aux.ales. Les aili.er.ère.s latér.aux.ales, atout.e.s des Servettes masculin.féminin. Faut-il mettre le s du pluriel après masculin.féminin puisqu’il y a deux Servettes, ou faut-il garder le singulier puisqu’il n’y a qu’un Servette masculin et qu’une Servette féminine ? En outre on peut féminiser masculin.e, et masculiniser féminin.e, mais on ne peut pas vraiment conserver masculin.e pour nommer une joueuse, même si le club est composé de joueu.r.se.s des deux sexes.
L’orthographe inclusive est loin d’être régularisée et il faut s’attendre à une pluie de règles assorties d’exceptions variées.
En outre, les débats sur l’écriture inclusive sont en plein essor, et sur ce point il me faut donner tort à Alain Rey, peu prophète, qui disait dans une interviou du Figaro du 23 novembre 2017 que « l'affaire de l'écriture inclusive [était] une tempête dans un verre d'eau ; que dans six mois, plus personne n'en [parlerait]... » Les six mois ont passé, rallongés même de plus de quatre ans, et on en parle toujours !
On n’a pas encore envisagé, en poésie, toutes les virtualités de l’écriture inclusive. L’insertion du fameux point médian permet non seulement d’agglutiner le masculin et le féminin – avec cette petite pointe d’obscénité qu’on a peu remarquée, alors qu’ils fricotent ouvertement sous nos yeux et ceux des calvinistes – mais aussi d’associer, par la vertu des genres masculin et féminin, des mots orthographiquement proches bien que sémantiquement éloignés : petits points, petites pointes : petit.e.s point.e.s. Le boulot et la boulotte ouvrent des perspectives intéressantes : boulot.te ; le bout et la boue aussi, mais le placement du point est problématique; on résoudra le problème en plaçant d’abord le féminin, ainsi: bou.e.t ; bluet et bluette c’est de la poésie d’autrefois, modernisée par l’inclusivité : bluet.te ; basilic et basilique sont fait.e.s pour s’entendre: basili.c.que ; gogo et goguette aussi, beau syntagme métaphorique de l’inclusivisme : go.go.guette ; îlot et ilote posent un problème d’accent circonflexe, mais on fera, pour la circonstance, une exception : îlot.e ; le joug et la joue posent également un problème particulier, les débutants liront « *jouge » au féminin: jou.g.e . On poursuivra nos explorations langagières avec le non et la nonne : non.ne ; lani.er.ère ; lias.se ; lieu.e ou lieu.se; li.n.gne... Que de perspectives, de possibilités! Un vrai sabbat sémantique s’annonce. Ce serait le huitième jour!
Evidemment cela devient un peu cérébral, mais on a vu pire en poésie; quant aux souffrances de l’écriture inclusive, elles auront peut-être le mérite de nous faire aimer le baume de la toute simple orthographe française!
Commentaires
Je pense que le truc de l'écriture inclusive est un complot pour nous imposer le schwyzterdütch ou le web-english.
Il y aurait pourtant des sujets plus dignes et importants à discuter si notre temps n'était de plus en plus occupé par le tentatives de rejeter des idioties que proposent ceux qui prétendent redresser les torts de nos civilisations. Ainsi l'écriture inclusives ne fait qu'exclure un usage intelligent de notre temps et de nos efforts.
Très juste observation.
D'ailleurs, bien qu'étant un fervent soutien du combat féministe, j'ai décidé depuis longtemps de ne simplement plus poursuivre la lecture d'un texte, quel qu'il soit, usant du point médian. Economie de temps et d'énergie.
Cette impasse tactique du point médian affaiblit la lutte des femmes pour l'égalité des droits, et offre à leurs adversaires une cible qui met bien trop de rieurs et d'indifférents du côté de ces mêmes adversaires.
Excellent texte, bien vu.
Avec le woke/inclusif on abouti tout de suite à la chasse aux sorcières de tous ....................sexes! L'un de vos collègue blogeur qualifiait à raison, l'inclusif de dernier combat du communisme! Le problème est qu'il est plus contagieux et beaucoup plus destructeur que omicron!