Vous reprendrez bien un peu de sexisme?
Par Pierre Béguin
«Les doctorants hommes sont bannis d’un atelier universitaire» titre la Tribune de Genève du 7 décembre sous la plume de Marianne Grosjean. Où l’on apprend que des doctorantes de l’IHEID (Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement) organisent un «workshop sur les discriminations basées sur le genre à l’encontre des femmes et des personnes non binaires», tout en interdisant aux étudiants cisgenres de s’y inscrire.
Une discrimination, un sexisme anti-homme qui, finalement, n’a rien de surprenant dans une époque ayant désigné l’homme blanc hétéro comme le prédateur avéré ou potentiel: dès lors qu’on a à priori criminalisé le mâle, tout acte discriminatoire (ou autre) contre lui se trouve justifié en tant qu’acte de légitime défense, pour ne pas dire de légitime vengeance. C’est la position que semble adopter Brigitte Mantilleri, directrice du service égalité de l’Université de Genève, qui, interrogée par la journaliste, ne voit là aucun problème de discrimination basée sur le genre: «Je pense qu’un groupe a parfaitement le droit de choisir d’être entre soi pour mieux discuter, approfondir certaines questions en toute quiétude, sachant que les rapports homme-femme sont ce qu’ils sont » (je souligne, chacun pouvant interpréter le sous-entendu). Sauf que nous ne sommes pas dans la logique d’une association privée mais d’un espace universitaire inscrit dans le cadre de la loi suisse sur l’égalité des sexes et stipulant on ne peut plus clairement «qu’il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement.» Et notre directrice du Service de l’égalité de poursuivre: «Je m’étonne quand même que l’on s’offusque haut et fort qu’un homme est exclu alors que nous sommes exclues à journée continue des clubs, conférences ou postes à responsabilités sans que cela ne semble choquer». Nous y voilà! L’incontournable victimisation qui légitime tout, sexisme ou vengeance. Mais comme grossière et indigne généralisation pour une représentante de l’Université (qui, par ailleurs, exerce un poste à responsabilités), on ne fait pas mieux! Que Mme Mantilleri nous explique l’implication des doctorants cisgenres de l’IHEID dans ce soi-disant ostracisme systématique dont toutes les femmes seraient victimes? Un doctorant, même cisgenre, représenterait-il un tel danger que ce «workshop» (atelier de travail) ait besoin d’un «safe space» (espace protégé) pour garantir la sécurité des participantes? N’y a-t-il pas là, davantage qu’une incohérence ou qu’une justification ubuesque, quelque chose de fondamentalement inadmissible dans cet anathème universitaire fondé sur l’appartenance à un sexe et défendu par sa directrice du Service de l’égalité même? «Car vous ne m’épargnez guère, / Vous, vos bergers et vos chiens./ On me l’a dit: il faut que je me venge». Voilà plus de trois siècles que des générations de lecteurs et de lectrices se moquent avec La Fontaine de la débilité des arguments du loup qui camoufle ses instincts sous un absurde couvert de justice. Jusqu’à ce qu’une certaine Brigitte Mantilleri, directrice du Service de l’égalité de l’Université de Genève, nous ressorte ces arguties avec le plus grand sérieux…
Surprenant aussi le silence des instances concernées. Selon la journaliste de la Tribune, ni les organisatrices du workshop ni le Bureau de promotion de l’égalité et de prévention des violences du canton de Genève n’ont voulu s’exprimer. Qu’on imagine le tollé si une telle décision sexiste eût été le fait de doctorants cisgenres…
Mais pourquoi se justifier quand on s’est autoproclamé chantre du Bien? On se contente de dénoncer les malfaisances, voire les menaces supposées, fondées sur la puissance inventée de prétendus ennemis. Car le Bien s’alimente au sentiment de persécution dont il agite sans cesse l’épouvantail. Ainsi fortifié de simulacres d’adversaires – comme le sont devenus malgré eux nos pauvres étudiants cisgenres, et avec eux tous les hommes cisgenres – il réduira l’opposition au silence assourdissant de la lâcheté ou de l’abrutissement. Et c’est ainsi qu’agité continuellement, l’étendard du Bien s’est transformé ces dernières années en une formidable machine à criminaliser tout ce qui n’a pas eu l’habileté de se présenter à temps comme victime séculaire. En première ligne, les hommes cisgenres…
J’ai fait les cent pas dans ce bas monde, j’ai passé huit ans à l’Université à cheval entre les 70’s et les 80’s, j’ai voyagé sur les cinq continents, j’ai baigné dans l’idée de l’égalité des sexes, jamais dans mon pays je n’aurais pensé voir, entendre ou même affronter les délires de cette dictature du Bien en croisade qui distribue les anathèmes sous des airs de justice, d’équité ou de vérités intangibles. Quand je compare mes lointaines années universitaires avec celles des étudiants d’aujourd’hui, cette phrase de Bernanos, prononcée au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, tourne et retourne dans ma tête: «Ce que vos ancêtres appelaient des libertés, vous l’appelez déjà des désordres».