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  • Le Pap's d'Antonin Moeri

    Par Alain Bagnoud

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    Antonin Moeri raconte l'histoire d'un homme qui se cherche. C'est son père. Pap's. Un récit construit à partir des cahiers que tenait ce dernier, qui écrivait une sorte de journal. Il les a remis à son fils juste avant de mourir. « Je te les donnes tu en feras ce que tu voudras. » Ce qu'Antonin Moeri en a fait, c'est un livre, en même temps tombeau, enquête et engendrement passionnant.

     

    Qui était Emile ? Un adolescent, fils d'un facteur des postes, qui rêvait d'être peintre, mais qui a promis à sa mère de devenir médecin, qui a fait des études brillantes, qui est devenu le premier cardiologue de Vevey. Un « docteur compétent, bienveillant, souriant et généreux ». Un « homme élégant et enjoué ». Un « pater familias attentif et parfois sarcastique ». Tout ça mais encore autre chose que vont révéler les carnets remis dans une valise en cuir, avec d'autres documents, dont certains très intimes : des photos, des lettres d'amour.

     

    Le fils aura attendu quinze ans pour ouvrir la mallette et se consacrer à la recherche de cet homme, intéressé par les arts et les artistes, qui fut l'ami de Georges Borgeaud, Philippe Jacottet, Gustave Roud, Lélo Fiaux, Carlo Coccioli. Qui a beaucoup fréquenté Charles-Albert Cingria, avec qui il nageait dans le lac et se baladait, écoutant avec délices les improvisations de cet extraordinaire conteur.

     

    Les documents de la valise en cuir sont complétés par des récits de la mère, des souvenirs. Tout ça dresse un portrait du cardiologue et révèle une surprise. Derrière le futur notable s'impatiente un homme sensible, agité, nerveux, inquiet, et livré à l'indicible. Ce que découvre Antonin Moeri, c'est que dans les années de jeunesse, la médecine ennuyait Emile. Il rêvait de la quitter et de devenir écrivain.

     

    Hélas pour lui, s'il y a l'aspiration, il y a aussi l'impuissance. Emile n'aura écrit aucun livre. Dans les carnets même qu'Antonin Moeri cite abondamment, on perçoit de la sensibilité mais les phrases sont souvent creuses et emphatiques, solennelles et vides.

     

    Cependant l'appel persiste, et la souffrance de ne pas pouvoir se réaliser en tant qu'artiste aussi, qui durera des années, à travers des errances dans le sud, un séjour au Mexique, jusqu'à ce que le médecin se résolve à s'installer au bord du lac qu'il aime tant, à ouvrir un cabinet. Il faut dire qu'Emile a connaissance des stratégies de Cingria pour survivre, et a surpris cet autre écrivain, à genoux devant une vieille aristocrate qu'il doit se concilier pour pouvoir manger. Ces exemples n'incitent pas notre homme à idéaliser la vie de bohème.

     

    « En vérité, écrit Antonin Moeri, ce qui me touche dans ces cahiers, c'est l'enthousiasme, l'inquiétude, le besoin de grandeur. » En partant de cette instabilité intérieure d'Emile, de cette recherche de profondeur, de sens, le fils réinvente son père, un père qui lui ressemble sûrement, et dont il finit par réaliser le destin rêvé.

     

    On sent par moments, sous le récit, un peu de fantasme. Le père, par exemple, visite l'Acropole et se dit fasciné par un Américain avec qui il se lie. Antonin Moeri écrit: « Le fils du facteur des postes aurait-il passé la nuit dans les bras du Texan déterminé, ultraprécis dans sa minutieuse exploration du monde ? » Autre exemple un peu littéraire à propos d'une jeune fille nubienne que le médecin a photographiée : « L'étonnant voyageur l'aurait-il « baisée » sur une natte de paille... » Suit une citation de Flaubert lors de son voyage en orient, référence et modèle de l'écrivain en voyage exotique.

     

    Si Antonin Moeri cherche à comprendre la nature énigmatique de son père, il la nourrit donc aussi par la même occasion. Sans doute y a-t-il en Emile beaucoup plus ou beaucoup moins que ce que le fils imagine, fantasme et palpe. Les êtres connus de tout près, examinés si proches, sont plus mystérieux que vus de loin, le point de vue fasciné et en gros plan aveugle, la proximité est un miroir.

     

    C'est ce qui fait l'intérêt de Pap's. Cet entremêlement de vérité, d'imaginaire, ces interrogations ambiguës, cette relation entre les écrits du père et les commentaires du fils, cette attraction pour une figure dont les mystères pourraient être anodins s'ils n'étaient pas ceux du géniteur, de la grande fonction fascinante, de la référence monolithique de l'enfance, de la statue qui, vue sous d'autres aspects, révèle des profils et des angles insoupçonnés.

     

    Pap's prend place dans la veine « familiale » de Moeri. Il y avait eu la trilogie initiale, Le fils à maman, Les yeux safran, L’île intérieure, qui traitaient peut-être du même matériel mais sous un autre angle. Il y a eu Juste un jour, plus calé sur la famille du fils.

     

    Pap's continue l'entreprise, servi par une maturité fertile. Dans ce récit bien composé, la langue d'Antonin charme, souple et inventive, encore mise en relief par les citations de son père. Ce père dont il a finalement réalisé la vocation.

     



     

    Antonin Moeri, Pap's, Editions Bernard Campiche

     

  • fable au paradis fiscal

     

     

    par antonin moeri

     

     

     

     

    Savoir joyeusement et habilement ficeler un bon roman n’est pas donné à tout le monde. Marie-Jeanne Urech (Prix Bibliomédia 2010 et Prix Rambert 2013) réussit, dans son dernier opus, à prendre la main (si j’ose dire) du lecteur et à l’emmener dans un sympathique paradis fiscal helvétique. On se croit dans un fabliau avec ses monstres (promoteurs, élus, entrepreneurs, religieux) et ses personnages purs (Modeste l’Etranger qui vivra avec Elytre, fille muette qui confond, à l’écrit, compte et conte..., Yapaklou et sa soeur Zibeline).

    Dans une petite ville de la Suisse centrale débarque donc l’Etranger qui va s’installer dans un appartement vide où il pourra développer ses talents. Pour fabriquer les meubles, il utilisera des planches: «Modeste sublimait à travers ses meubles les palissades volées sur les chantiers»... Ce qui compte à Z c’est la convivialité, la joie, la fête. Des fêtes organisées pour des habitants qui, malgré le vent de méfiance et de repli qui souffle sur la Suisse, acceptent l’établissement de l’Etranger et de sa compagne Elytre (elle ne se lasse pas de contempler les montgolfières montant à l’horizon..., elle tient du papillon un sens de l’espace très développé).

    Or l’Etranger n’a qu’à bien se tenir et, pour être totalement intégré, il devra accepter un contrat avec le Mairesse (sic) qui veut se débarrasser de la Mère Supérieure, car les promoteurs doivent étendre leur emprise sur les terrains de l’Eglise. Contrat que Modeste va accepter en égorgeant la Mère Supérieure... Mais attention!... nous sommes dans un conte et tout finira bien. Elytre et son désormais mari s’envoleront dans une montgolfière pour aller découvrir ailleurs le paradis qu’ils portent dans leur coeur.

    Ce fabliau fonctionne à merveille grâce à une belle langue inventive et grâce à cette distance ironique que la narratrice établit avec son lecteur. Les «n’allez pas croire que...», «ouvrons une parenthèse» ou «n’imaginez pas que...» nous donnent l’impression d’assister à un spectacle de rue ou de marionnettes... Quant à la langue, Marie-Jeanne Urech excelle dans la savoureuse création de mots-valises tels «les craquelurlements du glacier», «tentoculaire», «un vin solennatieux», «la calorpitude», «une robe froissonnée», «une ville de frappadingues» ou «une nuit entresommeillée».

    A une époque où l’Etranger (l’Autre) est stigmatisé, où les différentes habitudes de vie au sein d’une population sont montrées du doigt, le roman de Marie-Jeanne Urech est certes porteur d’un message d’ouverture, de conviction, mais il pose également (et avec humour) une question brûlante: La Suisse est-elle capable de vivre à la hauteur de ses idéaux?

     

    Marie-Jeanne Urech: L’ordonnance respectueuse du vide, L’Aire, 2015

  • Daniel Maggetti, La Veuve à l'enfant

    Par Alain Bagnoud

     

    Daniel Maggetti, La Veuve à l'enfantL'image de couverture de La Veuve à l'enfant, qu'on retrouvera décrite dans le livre, montre sainte Agathe et ses seins coupés. C'est, comprend-on ensuite, une allusion à l'héroïne du livre, dont les tortures rappellent le sainte, comme cette ablation des seins évoque le lien du sang coupé entre elle et Pierino, le petit garçon qu'elle élève comme son petit-fils.

     

    La veuve à l'enfant. La vierge à l'enfant. Mais Anna Maria n'est pas vierge. Elle a été mère. Son fils a disparu. Pierino est le fils adultérin de sa belle-fille. Anna Maria l'a recueilli alors que sa mère allait l'abandonner à la porte d'une église.

     

    Anna Maria, explique l'auteur, a existé. Elle sort « d'un arbre généalogique aux branches aussi touffues que celles d'un coudrier jamais taillé ». La chronique dont elle est le sujet, évocation d'un lieu et d'une époque, a la saveur âpre d'un passé qu'on sent habiter l'auteur de manière organique. Rien d'anecdotique dans son rapport avec ses personnages : ils font partie de son histoire ou de ses légendes.

     

    Pour animer ce passé personnel, Daniel Maggetti invente un prêtre piémontais, théologien et joueur de violon, Don Tommaso. Tombé en distrâce, celui-ci est expédié dans le village perdu. Son arrivée permet de transformer la chronique en roman. C'est à travers Don Tommaso qu'on découvre les histoires et les secrets d'Anna Maria, qu'il a prise comme servante. La suite des révélations qu'il obtient sert de moteur au livre

     

    Daniel Maggetti, La Veuve à l'enfantEt des secrets, il y en a. Celui du fis disparu en Australie, mort ou ayant refait sa vie dans les jupes d'une fermière. Celui des beaux-parents d'Anna Maria et de leur auberge. Celui de son mari, surtout, dont on découvre l'étonnante vérité tout à la fin du livre.

     

    Fait de longs paragraphes denses en harmonie avec l'intensité du récit, La Veuve à l'enfant compose une fresque sombre aux destinées tragiques, imbriquées, sans oubli ni pardon. Le texte décrit une vallée qui n'oublie jamais les manquements et les entorses aux conduites et à la morale commune. Une vallée dont le seule espoir semble le départ : en ville, en Australie, à Paris, ou dans la musique du violon et la littérature qui transcende.

     

     

     

    Daniel Maggetti, La Veuve à l'enfant, Zoé

     

  • dédicace

    Bonjour,

    Vendredi 11 septembre de 17h à 19h

        Antonin Moeri et Marie-Jeanne Urech

    seront à la Librairie La Fontaine à Vevey pour y dédicacer leurs livres nouveaux et partager le verre de l'amitié et quelques broutilles gustatives.

    Au plaisir de vous y voir

    L'équipe de la
    Librairie La Fontaine
    Rue du Lac 47 - 1800 Vevey
    021 921 79 02 - vevey@llf.ch

    Antonin MOERI - Pap's - Bernard Campiche Editeur 2015


    Marie-Jeanne URECH - L'Ordonnance respectueuse du vide - L'Aire 2015

  • Vivarium de Thomas Kryzaniac

    Par Alain Bagnoud

     

     Vivarium de Thomas Kryzaniac Dans une écriture tenue, Vivarium de Thomas Kryzaniac décrit le séjour dans une île d'un écrivain, de sa compagne, et d'un ancien admirateur venu sur place pour faire un documentaire sur l'auteur. Tout ça pourrait être paradisiaque : l'endroit exotique, le pittoresque, la découverte. Tout ça, au contraire est cauchemardesque.

    L'île, les premiers jours, se découvre être une sorte de labyrinthe aux dimensions vagues, noyée dans un mauvais temps déprimant. Le soleil n'améliorera pas les choses, qui imprimera un changement de réalité des images. Joseph Rivière, l'écrivain désabusé, bavard, n'est plus que l'ombre de ce qu'il a été quand il avait du succès. Sa compagne, elle, se fait attendre.

    Léon, le narrateur, venu pour la voir est laissé à lui-même chez un indigène qui, heureusement, possède une collection impressionnante de films, aubaine pour un cinéaste. Mais ce sont exclusivement des films pornographiques - dont la fonction se révélera à la fin du livre.

    Quand, enfin, Joseph Rivière raconte à Léon l'histoire de sa compagne, il découvre qu'elle est malade, fragile psychiquement.

    Du moins est-ce le point de vue de Rivière. Il décrit une femme décharnée, puante, cadavérique. Mais Léon voit une jeune femme ravissante, dont il tombe amoureux. Il n'y aura pas d'histoire entre les deux, mais un jeu de triangle pervers et tendu.

    Rivière et Mathilda se frottent à Léon, l'utilisent comme une « cuvette pour leurs états d'âme. » reflétant le roman qu'écrit Rivière et qui parle de trois personnages. « Une relation étrange prend forme; ils ne sont que trois mais leur combinaison donne naissance à une forme étrangère - comme un triangle avec un quatrième côté. »

    Quelque chose dans Vivarium tient du cauchemar. Le décor, les états de la maladie, l'état psychique des personnages donnent  Vivarium de Thomas Kryzaniac l'occasion à Thomas Kryzaniac de puiser dans son répertoire d'images cauchemardesques pour dépeindre une réalité sans espoir. Même la rémission finale semble condamnée à un nouveau cycle d'ombre, de transformation, de terreur.

    La langue précise, tenue, minutieuse, propose une construction serrée qui retient le lecteur dans ses filets. Celui-ci attend le dévoilement des différents mystères du roman (les raisons d'agir ainsi du personnage principal, l'apparition de Mathilda, l'explication de son comportement, l'élucidation de ses rapports avec Rivière...), dont la révélation progressive crée une véritable tension romanesque.

     

    Thomas Kryzaniac, Vivarium, L'Age d'Homme

     

  • colère moteur

    par antonin moeri

     

    Imre Kertesz et Thomas Bernhard ont un point commun: une haine viscérale et infinie pour le pays dans lequel ils vivent: La Hongrie pour Imre, l’Autriche pour Thomas. Y aurait-il un équivalent en Suisse? Peut-être bien, mais il ne s’agit pas d’un écrivain de race: je veux parler de Ziegler, ce sociologue qui s’écoute parler et à qui poussent des ailes dès qu’il peut vilipender les banquiers et signaler le présence de millards de dollars dormant dans les banques helvétiques. Mais honnêtement, pourrait-on s’enflammer contre ce petit pays nommé la Suisse? 

    Ce que Imre dénonce dans la Hongrie actuelle, c’est la brutalité des gens qu’il observe dans le tramway, leur lâcheté, leur bêtise grégaire, leur méchanceté envers l’individuel, la soif de sang qui réagit au moindre signe de faiblesse, toujours prête à tuer... Thomas, lui, attaquait avec virulence les responsables politiques socialistes bedonnants et chauves de son pays, il attaquait également les institutions culturelles, son chef d’oeuvre étant peut-être Holzfällen, livre dans lequel TB dresse un portrait au vitriol du marigot cuculturel viennois... 

    Il fait défiler devant nous une galerie de gendelettres, chacune et chacun se prenant pour une diva ou un grantécrivain parce qu’il a reçu un jour un prix régional, obtenu une articulet dans un quotidien régional ou une bourse d’un quelconque institut... La charge la plus violente est dirigée contre une femme qui se prend pour Virginia Woolf, une femme à l’égo surdimensionné qui tire sur sa cigarette avec fureur, les yeux plissés par l’envie et le ressentiment...

    La question que je me pose en lisant les livres de Kertesz et ceux de Thomas Bernhard: Pourquoi les plus pessimistes, ceux pour qui «le monde est tombé au niveau des animaux et que rien ne pourra freiner dans sa chute», pourquoi ce sont ces écrivains-là qui ont le plus de vitalité, le souffle le plus ample, le style le plus raffiné, l’observation la plus aiguë, le geste le plus précis et l’énergie la plus farouche...??????

     

    Imre Kertesz: Sauvegarde, Actes Sud 2012

    Thomas Bernhard: Des arbres à abattre, Folio 1997