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Là-haut sur la montagne

 Par Pierre Béguin

 

 

Bagnoud_Giroud.jpgIl s’en est bien tiré, Alain Bagnoud. Car le sujet ne manquait ni de pièges ni de crevasses. Aller nous fabriquer un texte plus vite que tous les autres concurrents déjà dans les starting-blocs sur une affaire en cours, aux multiples rebondissements et loin d’être jugée, ça pouvait sentir la compilation d’articles de presse ou le livre opportuniste, ficelé à la hâte. Rien de tout cela…

Oui, il s’en est bien tiré, Alain Bagnoud. Car son Affaire Giroud et le Valais, excellemment documentée, ramasse les morceaux de puzzle pour les assembler à la manière d’un roman feuilleton. Une succession de courts chapitres sans fioritures – mais dont la précision touche la cible à chaque coup – qui prend le lecteur dans ses méandres et qui aliène son libre choix. A minuit, pressé par la perspective d’un réveil matinal, vous vous décidez à poser le livre: «Allez, je me fais un dernier chapitre, c’est l’histoire de cinq minutes!» Et à une heure du matin, une douzaine de chapitres plus loin, vous refaites le même raisonnement pernicieux. Un conseil: commencez ce livre avec du temps devant vous!

Mais le plus intéressant, comme l’auteur l’avait déjà mis en scène avec son Saint Farinet, réside dans le fait que les ressorts et rebondissements de cette affaire Giroud font apparaître en négatif un portrait impitoyable d’un canton encore solidement ancré dans des schémas passéistes, voire moyenâgeux, où politique et religion sont inséparables, où domine l’esprit clanique, le clientélisme et le protectionnisme le plus étroit, où une minorité d’hommes politique, de notables et de possédants se cooptent, s’arrangent entre eux et se défendent mutuellement quand ils sont pris la main dans le sac, au mépris de tout fonctionnement démocratique…

Bon! rétorquerez-vous, à Neuchâtel ou, surtout, à Genève (capitale du Valais certes, mais ne le répétez pas!) en grattant bien, on y retrouverait la même logique. Oui. Sauf qu’ici, depuis une trentaine d’années – c’est-à-dire après l’affaire des tours de Plan-les-Ouates et l’affaire Medenica – un conseiller d’Etat saute pour une bagarre dans un night-club. Allez demander à Maurice Tornay de démissionner! Une nuance qui a toute son importance…

Car, contrairement à Genève et ses légendaires Genferei, le Valais a son propre système de défense fait d’images d’Épinal solidement ancrées dans une soi-disant identité valaisanne. Comme l’écrit judicieusement l’auteur: «Elle (l’identité) est composée de clichés mal cousus: la vache d’Hérens; la raclette; le fendant et la petite arvine; le FC Sion; le stéréotype du Valaisan montagnard maître chez lui, jovial, individualiste et têtu; la prééminence de l’imagerie des vallées latérales; le mythe d’un paradis aux paysages sublimes et aux valeurs authentiques, envié par tous…» Et bien entendu, s’attaquer aux puissants de la vallée nourris aux dogmes d’Ecône, c’est s’attaquer à cette identité sublimée que la Suisse entière jalouse. Comme s’il y avait deux Valais, le vrai, celui du montagnard authentique «shooté» à la fière indépendance, à l’air libre des cimes, au lait d’Hérens ou de Salquenen, et le faux, celui des Maurice Tornay et des Dominique Giroud. Au même titre qu’il y aurait deux islam…

Si Alain Bagnoud n’est pas dupe de cette stratégie, s’il en démonte parfaitement les mécanismes, il est d’autant plus regrettable qu’il s’y soit laissé enfermer dans le reportage que la TSR a consacré récemment à ce livre. On y voit notre auteur déambuler parmi tous les clichés de cette soi-disant identité valaisanne qu’il dénonce comme une supercherie: la montagne, les petits arpents de vigne ne pouvant produire que du vin pur, naturel à souhait, si éloigné du coupage de tous les Giroud traîtres aux valeurs du canton (pensez donc! mélanger du valaisan avec du vaudois, le sacrilège ultime!) le petit carnotzet où l’on vient déguster, jovial, entre gens si admirablement simples, la petite arvine célébrant la convivialité et la fraternité universelle, et j’en passe et des meilleurs. Alain Bagnoud semblait tout à coup investi de toutes ces images d’Épinal d’un prétendu vrai Valais que, nouveau Robin du bois de Finges, défenseur des petits producteurs si authentiquement et si merveilleusement valaisans, il allait reconstruire là-haut sur la montagne, à coups de plume, plus beau qu’avant. Preuve que les réalisateurs de la TSR, à l’instar de leurs commentateurs sportifs béatement admiratifs d’un FC Sion imaginaire, ne parviennent pas à s’extraire des clichés que l’auteur même qu’ils devaient présenter s’était pourtant efforcé de démonter.

Alors, Alain, à quand un livre sur le FC Sion? Non pas le vrai FC Sion bien entendu, celui des commentateurs sportifs, mais l’autre… Chiard que tu n’oseras pas!

 

 Alain Bagnoud, L’Affaire Giroud et le Valais, éd. de l’Aire, 2015

Alain Bagnoud, Saint Farinet, éd. de l’Aire, 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires

  • En fait, cher Pierre, le reportage RTS montre un contexte tout personnel : le carnotzet est celui de mon père, la maison celle de mon enfance, la vigne où je déambule est la mienne, héritée, etc. Ceci dit, c'est vrai que je prône les vignerons-encaveurs, qui font un travail artisanal, consciencieux et souvent remarquable.

  • Cher Alain,
    Je me doutais bien qu'il s'agissait d'un contexte familial. Il n'en reste pas moins que le cadre du reportage cumule beaucoup de clichés que tu dénonces dans ton livre. Cette collusion m'a d'autant plus frappé que je venais de terminer le livre quand j'ai vu le reportage. Sans cette concomitance purement fortuite, je n'aurais probablement pas relevé l'illogisme fond forme. Il aurait mieux valu prendre pour cadre les lieux même (les grandes caves par exemple)qui font l'objet des critiques, voire des condamnations.

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