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génuflexibilité

antonin moeri

 

 

 

Comment ne pas tomber dans le mauvais roman-feuilleton quand on décide de raconter l’effondrement, la dévastation, la ruine, la démence des survivants? C’est la question que pose W.G.Sebald dans son essai «De la destruction comme élément de l’histoire naturelle». Pour tenter d’y répondre, il lit attentivement les livres d’auteurs allemands qui ont assisté aux terribles bombardements alliés sur l’Allemagne et qui ont pris l’initiative de mettre en fiction le thème de la ville détruite. L’idéal de vérité est rarement partagé. Un de ces auteurs par exemple, désirant raconter l’horreur sous ses aspects les plus crus, n’hésite pas à recourir aux clichés les plus éculés, aux ficelles des scénaristes hollywoodiens, au mélo le plus kitch.

Ce genre d’auteur ne se demande pas comment il pourrait ou devrait raconter «la vie à l’instant effroyable de la désintégration». Il serait préférable pour ce faire d’interroger «ceux qui administrent l’horreur, vaquant à leur tâche sans trop s’embarrasser d’états d’âme»: médecins ayant autopsié les cadavres sortis des décombres, pilotes américains ayant largué à la toute fin de la guerre des tonnes de bombes incendiaires sur les villes allemandes. Le lecteur pourrait mieux se représenter ce que les écrivains allemands ne voulaient ou ne pouvaient pas décrire: la dévastation des villes vécue par des milliers de personnes.

Pour la plupart des gendelettres restés en Allemagne sous le troisième Reich, il était difficile, après la guerre, de décrire cette réalité-là, car ces gendelettres étaient plus soucieux de «retoucher l’image qu’ils livreraient à la postérité». Un auteur comme Alfred Andersch qui, dans les années trente, passa son temps à «asseoir la gloire qu’il estimait lui revenir» et qui revendiquait pour lui «la liberté et la gratuité de l’esthétisme», cet auteur était incapable de rendre compte de ce qu’il avait vu.

Il suffit de s’attarder un instant sur ses évocations de visages féminins, évocations dignes d’une réclame pour shampooing; on sent aussitôt que le texte «affiche de grandes prétentions littéraires pour terminer dans les bas-fonds d’une collection Harlequin».

Essai magnifique d’un promeneur mélancolique qui enseigna dans une université anglaise et pour qui les livres de Kafka, Walser et Thomas Bernhard représentaient un idéal de beauté narrative.


 

W.G.Sebald: De la destruction comme élément de l’histoire naturelle. Actes Sud 2004

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