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essai sur Beckett paru en 2006

 

par antonin moeri

 

 

 

«Les vies silencieuses de Samuel Beckett». Non, ce n’est pas une biographie. Ce sont quelques séquences, «alternances de vides et de pleins», quelques détails ou incidents qui persistent sous forme d’images: les allées et venues entre Paris et Dublin (où vit sa mère sévère et jalouse, grande bourgeoise chic «le bibi vissé sur un oeil bleu qui luit dans l’ombre» et avec laquelle Sam eut les conflits les plus violents), les nombreuses séances chez le psychanalyste au cours desquelles Sam tressaille, pleure et claque des dents, sa tentative manquée de travailler avec Eisenstein qu’il aurait rencontré chez Joyce, ses tribulations à travers l’Allemagne nazie (1936-37) où il fréquente les zoos, les cimetières, les cabarets (Karl Valentin) et les musées (Sam était fou de peinture). 

Il y a aussi la fascination pour l’oeuvre et le personnage de Joyce et, bien sûr, le plus important: «la recherche de la misère de ses mots, de la matière de sa parole, la recherche de sa langue impossible, de sa langue de dépossédé», une recherche que Beckett mènera dans la langue française (non dans la langue anglaise), la langue de Descartes, de Flaubert et de Proust dans laquelle il écrira coup sur coup, au septième étage d’un immeuble parisien: Mercier et Camier, Molloy, Malone meurt, L’innommable, Godot, Textes pour rien.

Nathalie Léger évoque également la rencontre avec Jérôme Lindon, lequel deviendra, grâce à Beckett, le grand éditeur français qu’il est devenu. Est également évoquée la banale petite maison grise que Sam fit construire à Ussy, où il allait se réfugier pour jardiner, écrire, «regarder les herbes essayant de pousser entre les pierres», où il construisit un haut mur rébarbatif autour du cube anodin pour se protéger des intrus. Il allait également à Ussy pour lire Leopardi et Maître Eckhart, traquer les taupes dans le jardin. 

Le lecteur n’échappe pas aux séjours de Sam et Suzanne à Malte, à Tunis, à Tanger. Quelques mots sur Suzanne, cette professeur de piano qu’il a rencontrée sur un court de tennis, qui coud quand il écrit, qui achète de la nourriture bio, qui n’aime pas beaucoup les coquetèles, qui range la vaisselle quand il reste immobile dans le noir. Et puis, il y a la rencontre avec Roger Blin, leur collaboration, leur amitié indéfectible.

Ce petit essai est écrit avec beaucoup de tact et d’élégance. Style elliptique et clair pour essayer de cerner un éblouissement, ce qu’on pourrait appeler une conversion à l’écriture, pour essayer de comprendre comment ont pu naître des textes aussi parfaits que «Oh les beaux jours», «La dernière bande», «Premier amour» ou «L’innommable». Mais comment dire cet éblouissement? Sinon en rôdant inlassablement autour de l’essentiel, «comme si tourner autour d’une sorte de pot vous réservait des moments exquis». (R.Walser)

 

 

Nathalie Léger: Les vies silencieuses de Samuel Beckett, Allia, 2006

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