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angot scandale

 

par antonin moeri

 

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Je n’avais jamais lu un livre d’Angot. On m’en avait parlé. Je ne fus donc pas surpris en lisant d’une traite, entre trois et quatre heures et demie du matin, ce récit fulgurant qui vient de sortir sous le titre «Une semaine de vacances». Je fus plutôt aspiré dans un tourbillon de phrases courtes au présent, autant de coups de fouet sur mon épiderme délicat. Expérience saisissante, unique dans la littérature actuelle de langue française. Mais comment parler de cette longue scène de sexe interrompue par des repas fins, l’achat du «Monde» dans un kiosque et d’un tube de vaseline dans une pharmacie? D’abord le point de vue. Un narrateur externe donne à voir ce huis-clos où un personnage domine l’autre en prétendant l’éduquer, le former, l’ouvrir au monde. Le lecteur assiste à un rite d’initiation pervers qui n’est pas sans rappeler «La philosophie dans le boudoir» du divin Marquis.

 

Ça débute comme ça: un type assis sur la lunettes des chiottes. Il place sur son sexe érigé une tranche de jambon. «Tu veux goûter?» qu’il demande à sa fille (environ 15 ans, elle lit Cesbron). Elle s’agenouille et croque dans la viande jusqu’à la garde. Le type donne des ordres qui devront être suivis à la lettre: lever les yeux, le regarder en serrant le goulot avec les lèvres, saisir les testicules par en-dessous, se retourner, présenter ses fesses. Il compare les seins de sa fille à ceux de sa femme, de sa maîtresse, d’anciennes amantes. Il en compare les qualités et les défauts. «Continue, ne t’arrête pas, c’est bon, mhhhh». La fille obtempère sans dire mot. Elle est sous la coupe de ce linguiste brillant qui considère avec mépris les masses incultes et blablateuses. Un homme qui n’est jamais décrit mais dont le lecteur connaîtra les vêtements et les grosses lunettes de myope. Un intellectuel qui maîtrise parfaitement la langue française, qui notait dans un carnet, dès l’enfance, les expressions des paysans, collabore à la revue Vie et Langage, écoute Albinoni et Mozart en voiture, condamne toute vulgarité, lit des livres en italien et en allemand, ne supporte pas les écarts de langage ni les prononciations fautives.

 

«Tu vas voir, c’est très bon, tu vas aimer. C’est pour toi. Pour ton plaisir», répète souvent le singulier pédagogue à sa fille au cours de cette semaine de vacances en Isère. Il lui apprend les différentes postures à adopter (comme celle du 69) après l’avoir emmenée dans une librairie à Grenoble et avoir attiré son attention sur un roman de Thomas Mann et un livre de Robbe-Grillet. Un accord est conclu entre elle et lui. Il ne la déflorera pas mais il lui demande de dire «Je t’aime papa» quand il fourre son nez, puis sa langue dans le vagin humide. La fille prend peur quand les exigences du père se précisent. C’est que son rêve, à lui, est d’enfoncer sa gaule dans l’anus étroit de l’adolescente. Elle lui dira qu’elle l’aime et l’admire quand il aura réalisé son rêve. Il le lui répète. Il ne veut que son bonheur, à elle. 

 

Toutes ces scènes, comme d’ailleurs les visites d’églises et les repas pris dans de bons restaurants, sont décrites au scalpel, sans la moindre complaisance ni la moindre intervention du narrateur ni la moindre explication psychologique. Le lecteur est sommé de coller son oeil au trou de serrure, si j’ose dire, et d’éprouver les frissons glacés d’une Eugénie soumise, obligée de consentir aux exigences d’un maître en érection quasi perpétuelle.


J’ai entendu une lectrice dire de Christine Angot «C’est une nymphomane qui gratte sa plaie». Je trouve la formulation un peu hâtive, car cet auteur nous confronte, en tout cas dans ce petit livre, à une violence courante, qui est celle de la domination d’un individu sur un autre. En l’occurrence celle d’un intellectuel qui avoue à sa fille qu’elle est la seule personne au monde en qui il ait confiance, la seule avec qui il ne joue pas un rôle, la seule qui méritât sa précieuse présence et sa non moins précieuse semence, un intellectuel qui, au moment où sa fille prend enfin l’initiative de parler d’elle-même en racontant un rêve qu’elle a fait la nuit précédente, s’emporte et conduit l’impertinente à la gare «pour qu’elle prenne un train et rentre chez elle». En osant raconter ce rêve, elle ouvre pour la première fois la bouche. Et elle parlera désormais. À son sac de voyage posé dans le hall de gare. Ce qui ouvre ce récit sidérant sur un espace possible, peut-être celui de l’écriture qui permettra de dire la violence infligée. Le profil de ce «papa» devrait intéresser les psychiatres. Angot en fait le personnage abject, monstrueux d’un compte-rendu clinique qui laisse le lecteur pantois, l’ayant fait chavirer, ce lecteur, dans sa dévoration des courtes phrases au présent.

 

 

Christine Angot: Une semaine de vacances, Flammarion, 2012


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Commentaires

  • Merci de ce compte-rendu.
    Cela dit, la question de la soumission d'une part, de la lecture de ce genre de texte, de l'autre, reste posée. L'obligation de subir semblables actes sexuels est-elle inéluctable? Et les lire?
    Ce n'est en rien dénier le talent de l'écrivain mais interroger le lecteur dont le plaisir lui appartient et ne relève sans doute d'aucune contrainte. On le lui souhaite du moins!
    Bien à vous.

  • ...(Je clique sur j'aime après la lecture de la critique de Moeri), je n'ai pas lu le livre. J'adore ce genre de roman à cause de la situation ambiguë dans laquelle il place le lecteur, qui s'exprime si elle s'exprime dans une hypocrisie plus ou moins hypocrite, surtout que, on ne peut pas lire le livre sans le faire exprès, enfin que, si on ne lit pas le livre mais qu'on en fait une critique, celle ci ne peut être que moral et je me régale toujours à lire la moral...

  • Le texte de Angot n'a rien d'un récit de vie qu'on présenterait au lecteur pour le faire mousser. C'est une écriture radicale qui pose des questions. En effet, quel rapport j'entretiens avec la lecture? Pourquoi la transgression éveille-t-elle la curiosité? Pourquoi j'éprouve un certain plaisir à coller mon oeil au trou de serrure quand je lis? Quel type de plaisir j'éprouve alors? Toutes ces questions restent ouvertes mais Angot a le mérite de les poser dans ce bref texte qu'on ne peut pas appeler récit. D'ailleurs La philosophie dans le boudoir n'est pas un récit non plus. Quant à l'obligation de subir, Madame Hélène, il faudrait interroger Christine Angot. Je n'ai, pour ma part, jamais subi d'assaut de ce genre de la part de feu mon père.

  • Jean Chauma, je ne vois pas en quoi ma critique relève de la morale. Vous êtes-vous déjà demandé quel genre de plaisir éprouvent chaque jour que Dieu nous donne les centaines de milliers, de millions de lecteurs extrêmement attentifs quand ils sont le nez collé sur le quotidien people qui regorge de faits divers autrement plus salaces que celui décrit par madame Angot? Un électricien qui viole une truie, une bourgeoise qui couche avec son rottweiler, un ado qui tue une ado pour une histoire d'i-phone, un gardien de zoo qui se fait dévorer par un caïman pour être descendu dans la fosse après qu'un touriste lui a demandé d'y descendre, dans la fosse, pour pouvoir prendre une inoubliable photo du gardien tirant la queue d'un caïman qui somnole. Cette pulsion scopique, c'est ce qu'interroge Christine A. dans son petit livre à l'acide. Il n'y a là rien de moral. Cela relève d'une observation aiguë des comportements de l'homo actuel. Alors dans ce sens oui. Dans le sens des grands moralistes français, de Vauvenargues à Saint Simon. Bonne journée à votre établi.

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