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jubilations du désamour

 

par antonin moeri

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Pour scruter les moeurs de notre temps, rien de mieux que le décalage. Ne pas adhérer aux codes, aux normes et aux poncifs attendus dans le commerce avec nos semblables permet la distance et l’ironie. Selon Philippe Muray, ce serait la seule posture pour écrire un roman. Le narrateur de «La Ligne de courtoisie» maintient cette distance avec un brio fragile. «Cela se fait, de se donner un peu de mal pour ceux qu’on aime». Même si le fils, invité pour le repas d’adieu (le narrateur part en Inde pour renaître à la vie), arrive les écouteurs dans les oreilles et un sac bourré de linge sale. Même un pareil «petit con d’époque», il faut le recevoir, le mettre à l’aise, parler avec lui. Ainsi que sa copine qui tient un yorkshire dans les bras et ne supporte pas qu’on lave ses strings avec une lessive bourrée d’allergènes.

Quant à son père que le narrateur va voir avant son départ, il est entortillé dans les ondes télé. Rafael Nadal l’intéresse beaucoup plus que ce fils (qui se prétend écrivain) et dont on ne voit plus le nom dans les journaux ni sur la toile. «Et puis, il faut dire que ce n’est pas très gai non plus, ce que tu écris. Il faut les détendre les lecteurs, pas les déprimer. Regarde L’Alchimiste». C’est que le père aimerait bien que son fils renoue avec le succès, un succès qu’il a connu dix ans plus tôt, quand on lui réservait une suite dans un palace et que, chez un étoilé du Michelin, il mangeait des sarrans à la criste-marine et que son éditeur le prenait dans ses bras et que les sollicitations étaient incessantes: télé, radio, presse écrite, séances photos, librairies. C’est que les gens ont raison: «La légitimité d’un écrivain tient à son public et à rien d’autre».

Changement de lieu. Rien de plus agréable, pour un lecteur de ma sorte, que les longues descriptions désabusées du narrateur découvrant Pondichéry. En effet, je n’ai jamais compris pourquoi certains écrivains avaient des élans lyriques, fondaient avec un ravissement extatique devant le moindre visage, le moindre pied, la moindre odeur, la moindre saveur dès que ce visage ou ce pied leur apparaissait à des milliers de kilomètres de leur habituel lieu de résidence. Ces élans lyriques ressemblent beaucoup à ceux des touristes qui trouvent tout fantastique dès qu’ils foulent un sol étranger. C’est à quoi ne peut se résoudre le héros de Fargues, qui va entreprendre une radiographie des fameux expats (ceux qui gèrent des pensions citées par le Routard par exemple), ou de ceux qui traversent l’Inde en quête de je ne sais quelle spiritualité. Comme cette attachée commerciale en communication (anglaise) qui ne cesse de s’enflammer devant le festival des couleurs, le grand 8 des senteurs, les bijoux, les costumes sans oublier les temples et les paysages. Ou ce commercial retraité qui piaffe d’impatience dans une file de «candidats à une séance minutée de méditation».

C’est une mise en demeure qui accélère le retour au réel. Une ex réclame 200.000 euros à l’écrivain qui s’était vanté, sur la toile, d’avoir gagné le prix d’une Ferrari avec son livre à succès. A son retour en France, l’écrivain franchira la ligne de courtoisie dans un bureau de poste en assénant un coup de poing à un usager impertinent. Il y a, dans ce personnage d’écrivain «en voie d’anonymisation définitive», une force d’inertie qui n’est pas sans rappeler celle d’un certain Flaubert devant les reptations d’une bougresse orientale qui lui dit qu’il a de beaux yeux ou devant les flamboiements apaisés d’un crépuscule sur le Nil. Une force d’inertie qui déclenche une intense attention à d’infimes détails comme «cette blatte lucifuge en quête effrénée d’une fracture dans la discontinuité linéaire du trottoir». Et si c’était ça, écrire: rester assez longtemps devant une chose pour pouvoir le raconter comme personne ne l’a jamais raconté? Etonner le lecteur «en lui parlant d’un caillou, d’un tronc d’arbre, d’un rat, d’une vieille chaise», pour reprendre les termes de Maupassant?

Nicolas Fargues: La Ligne de courtoisie, POL, 2012

 

Commentaires

  • is great post

  • Cela a l'air un peu grincheux.

  • pas du tout bonhomme du haut style, s'il faut faire le sidéré touristique pour exprimer l'enthousiasme, chiottes, je préfère de loin la notation pleine d'ironie, vaut mieux lire en réalité, les grincheux ils sont au fond des vallées, à ressasser les mêmes chansons, Fargues c'est aigu, c'est cruel, c'est lucide, c'est bien envoyé en plein épigastre, amen

  • Moi, je trouve grincheux d'aller dans un pays éloigné pour regarder les autres touristes et les trouver ridicules, alors que dans les pays éloignés il y a mille choses merveilleuses à découvrir. Il y a le fond des vallées, et il y a les greniers obscurs des cités dans lesquels les grincheux regardent tous les enthousiasmes comme creux. Ce n'est pas vrai. L'Inde a réellement de magnifiques choses à dire, je suis allé l'autre jour à la fondation Baur voir une exposition sur les images des déesses de l'Inde, et c'était fascinant, et quant aux autres visiteurs, je ne les ai même pas regardés, et je me moque de savoir s'ils ont trouvé mon enthousiasme factice ou sincère.

  • c'est bien rémy tu es un authentique, mais le roman se fout de l'authenticité

  • Mais il y a aussi des romans qui découvrent et font découvrir la richesse culturelle des pays éloignés. Je ne l'ai pas lu, mais, comme on dit, j'ai vu le film, "Nocturne indien", ça se passait en Inde, c'était très beau. Je suis sûr qu'il y en a d'autres. Les touristes, on peut d'ailleurs les observer chez soi, il n'y a pas besoin d'aller en Inde, il y a plein de touristes, à Genève, à Paris, en Haute-Savoie. Si on se moque d'eux, on passe pour chauvin, peut-être, et puis on nuit au commerce local, c'est pour ça qu'il faut aller en Inde.

  • je crois que nous ne nous comprenons pas. J'ai senti chez Fargues cette posture que préconise Philippe Muray, qui est celle de la féroce critique au vitriol d'un monde insupportable de prétention et de semblant. Si les romanciers ne s'attaquent pas à cette féroce critique au vitriol, qui le fera? Ce ne sont pas les publicistes, les profs, les journalistes ni les hommes poilitiques, ni les gentilles mamans dans leur foyer douillet, ni les étudiants en économie qui croient (il faut bien sans quoi...) en un monde époustouflant. Conclusion: il n'y a pas un monde à décrire (on s'en fout) mais un monde à disséquer, à critiquer, un monde dont l'éloge perpétuel fait hurler de rire. Voilà à quoi je songe ce matin après avoir bu mon café sur une terrasse ensoleillée.

  • Eh bien, honnêtement, je ne sais pas qui dans le public a besoin de savoir que les bourgeoises qui vont en Inde peuvent être un peu bêtes, je ne saisis pas bien en quoi ça peut lui être utile. Il faudrait peut-être s'attaquer à des gens plus respectés et qui le sont illusoirement. Mais en venir à s'attaquer aux bourgeoises qui vont en Inde, c'est peut-être le signe qu'on veut tout voir en noir, même les choses pas très graves. D'ailleurs, c'est réel que le monde peut être beau, notamment par les temples en Inde, je ne comprends l'acharnement qu'on peut mettre à prouver qu'il est universellement répugnant. C'est un problème très personnel, à mon avis, qui en dit plus sur l'écrivain que sur ce dont il parle. Il faut simplement rester équilibré sur la part de bon et de mauvais dans le monde, c'est ce qui est raisonnable.

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