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Une bonne plume, des couilles et une bitte

Par Pierre Béguin

Bitte.PNGQu’est-ce que le champ littéraire par rapport à la production livresque? Une goutte d’eau. Qu’est-ce qui distingue cette goutte d’eau dans la mer? Peut-on définir des critères pour accorder à un texte le label «littéraire»? Ou plutôt, quelles caractéristiques doit-il revendiquer pour prétendre à ce statut? En d’autres termes, comment séparer le bon grain littéraire de l’ivraie scribouillarde dans la masse des productions contemporaines?

Ces questions ont surgi au détour d’un repas avec mes compagnons de Blogres. Heureusement remplacées aussitôt par d’autres sujets mieux en rapport avec la légèreté des circonstances. J’avais pourtant promis d’y réfléchir. Promesse hâtive. Je m’aperçois que je n’ai pas de réponse, à part la qualité toute subjective que j’accorde au style essentiellement.

Mais d’autres ont tenté d’objectiver le débat. Des doctes professeurs de Lettres dont Molière, probablement, n’aurait pas manqué de se moquer. Si je me réfère à ce que certains de ces messieurs ont essayé de m’apprendre à la faculté, et plus tard au travers d’écrits savants sur la question, il semble qu’un texte doit remplir cinq critères précis pour obtenir de l’Université son OC, pour autant bien entendu qu’il soit caressé par le souffle du génie, voire du talent, eux-mêmes pas vraiment codifiables:

1. Une certaine résistance à la lecture qui doit différencier la littérature de récréation (celle dont le plaisir réside dans la reconnaissance) de celle de création (qui dérange nos habitudes). «Texte de plaisir: celui qui contente, emplit, donne de l’euphorie; celui qui vient de la culture, ne rompt pas avec elle, est lié à une pratique confortable de la lecture. Texte de jouissance: celui qui met en état de perte, celui qui déconforte, fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques du lecteur (…) met en crise son rapport au langage» écrivait l’incontournable Roland Barthes, aussitôt repris en chœur par tous les étudiants qui prétendaient appartenir à l’élite. Haro sur le texte de plaisir!

2. Une mise en jeu d’un rapport au genre littéraire. L’œuvre ne doit pas s’inscrire confortablement dans un genre mais dans un fléchissement du genre, pour le moins dans une histoire du genre qu’elle met en perspective (et non pas dans un simulacre au genre, comme dans certains livres de Christine Angot, par exemple, où cet aspect – dans son cas les transgressions salaces du genre autobiographique – relève davantage de l’opportunisme éditorial).

3. Une énonciation consciente d’elle-même qui suppose une réflexion sur le dispositif énonciatif. La prise de parole n’est jamais une évidence, elle demande à être questionnée, voire légitimée. Pas de littérature donc sans cette conscience minimale de son dispositif énonciatif.

4. Un jeu d’ancrage et de «désancrage» temporel qui l’inscrit dans une temporalité plus large. Un énoncé littéraire doit survivre au-delà du référent historique dans lequel il est proféré. Il ne doit pas s‘épuiser hors de son cadre d’énonciation mais dépasser les circonstances de sa production.

5. Un travail sur le langage qui garantit une hétérogénéité stylistique. «Le style est vision» disait Proust. En ce sens, le rapport à la langue ne doit pas rester purement instrumental, mais être à lui-même sa propre finalité.

Bon! Heureusement que je me suis sorti de là indemne! Quoique… Je ne saurais évaluer ce que l’Alma Mater m’a apporté, mais je sais ce qu’elle m’a fait perdre. Et pour soulager celles ou ceux qui m’ont suivi jusque là, je citerai Amélie Nothomb (que d’aucuns aiment détester) répondant à la question: «Comment repère-t-on un bon écrivain?» «Il ne suffit pas d’avoir une bonne plume pour être écrivain. D’abord, il faut des couilles. C’est l’organe le plus important de l’écrivain. Et les couilles dont je parle se situent au-delà des sexes; la preuve, c’est que certaines femmes en ont; je pense à Patricia Highsmith (…) Les couilles sont la capacité de résistance d’un individu à la mauvaise foi ambiante. La proportion de gens qui ont à la fois une bonne plume et ces couilles-là est infinitésimale. C’est pourquoi il y a si peu d’écrivains sur terre. Ensuite, il faut une bitte. La bitte, c’est la capacité de création. Rares sont les gens qui sont capables de créer réellement. La plupart se contente de copier les prédécesseurs avec plus ou moins de talent. Il peut arriver qu’une bonne plume soit pourvue d’une bitte mais pas de couilles; Victor Hugo par exemple

Une bonne plume, des couilles et une bitte! Tels sont entre autres (j’ai quelque peu raccourci la définition) les attributs du bon écrivain dans l’évangile selon Amélie. Entre cette définition et celle de la Faculté, choisissez, les «Blogres» et les autres! Reste à savoir si notre auteure belge s’inclue dans cette définition. Moi, je lui conteste au moins un point: Victor Hugo avait des couilles! Quand il était jeune, du moins; plus vieux, il en faisait un autre usage. Mais il n’y avait personne, en ces temps-là, pour le dénoncer à la justice…

 

Commentaires

  • Victor Hugo avait plus de couilles dans sa vieillesse que dans sa jeunesse: car reprendre les figures du christianisme ordinaire, comme le préconisait Chateaubriand, c'était faire preuve de moins de courage que de créer des figures nouvelles, comme il l'a fait plus tard. Il est de bon ton de critiquer Hugo parce qu'il avait un génie que non seulement on n'a pas, mais qui fait peur, on a peur d'oser chevaucher des chimères de feu, comme Amiel disait que faisait Hugo. On préfère rester sur des motifs banals, à la mode, en affirmant qu'ils sont révolutionnaires, ou qu'ils sont le sel de l'intelligence. Amélie Nothomb critiquer Hugo, c'est, je dirais, le contraire de la littérature: c'est de la communication publique.

  • À RM,

    Bon! Je veux bien, mais Amélie a une excuse pour n'avoir ni couilles, ni bitte.

  • Les femmes ont toutes les excuses, à la beauté, on accorde tous les privilèges, disait Brantôme. Et toutes les femmes sont belles. Amélie, elle est pas mal. Et elle n'a pas peur d'avoir des chapeaux incroyables.

  • Certains journalistes en manquent cruellement de nos jours pour ne pas dire à allier avec votre titre.....

  • Méfiez-vous écrivains du fond de la toile, quand Amélie a le béguin, son con plisse.

  • Bonne analyse, Béguin. Mais qui lit encore RB aujourd'hui? Tout cela n'est il pas obsolète? Quanta Amélie, c'est un phénomène de foire. Pas un grand écrivain. Lisez son dernier livre et vous verrez. C très mauvais. Les plus intéressants ce sont les écrivains qui plongent dans l'époque et dans la langue. Comme Houellebecq, Ellis ou Carrere. D'ailleurs en Suisse vous avez un bouquin tout a fait étonnant. L'Amour negre. Qui a réussi a me faire sourire.

  • s'agit-il de la borne d'amarrage sur un quai?

  • Votre article est en train de soulever la polémique!

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