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parler de la mort

 

 

par antonin moeri

 

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Si on parle beaucoup dans les nouvelles de Carver, souvent pour ne rien dire ou pour laisser libre cours à un besoin compulsif de s’exprimer, certains discours sont marqués par la peur de mourir. Ainsi Jack (dans la nouvelle intitulée « Débranchés ») vit-il avec Iris, une femme qui fait des rêves agités et qui grince des dents en dormant. Ces deux personnages fument cigarette sur cigarette et craignent l’attaque cérébrale ou la crise cardiaque.

Une femme saoule les réveille à trois heures du matin : « Bud ? Parle-moi, je t’en prie », ne cesse-t-elle de répéter en rappelant plusieurs fois. Iris, excédée, demande à son mari de débrancher le téléphone. Ces nombreux appels communiquent une angoisse lancinante au couple de fumeurs. Iris parle de la veine qui palpite sur son front. Elle imagine les pires scénarios, puisque sa grand-mère, sa mère et sa tante ont succombé à un AVC. Jack évoque pour la première fois les tachycardies dont il est victime.

Iris lui demande s’il a entendu parler du type qui est entré dans un hôpital avec un fusil pour obliger les infirmières à débrancher la machine qui maintenait son père en vie. À la pointe du jour, Jack dit qu’il lui arrive d’éprouver de violents élancements au flanc droit. Et quand Iris évoque son grand-père devenu un légume, elle fond en larmes. « Je veux que tu me débranches si jamais ça devient nécessaire ».

Iris et Jack n’auront pas dormi cette nuit-là. Quelque chose était en train de leur arriver, mais quoi ? Ils ne le savaient pas exactement. Jack a l’impression d’avoir franchi une frontière invisible, d’avoir pénétré dans un lieu nouveau. « Nous nous aimons, c’est l’essentiel ». Jack ira au travail où il se sentira vulnérable. En rentrant chez lui, il répondra à la demande d’Iris. « Je te débrancherai, si ça devient inévitable ». Mais le téléphone, entre-temps rebranché, sonnera. La femme, qui n’est plus saoule, priera Jack de lui passer Bud.

J’avais le sentiment, lisant cette nouvelle, que les seules vraies conversations, dans l’univers carvérien, étaient celles qui tournent autour de la mort. La nôtre ou celle des autres. Due à la maladie, accidentelle, naturelle ou voulue. En vérité, je me demande si les visions de mort et d’anéantissement n’offrent pas un sujet dont il vaut la peine de parler. En tout cas, cette conversation nocturne a soulagé Iris d’un grand poids. « Je suis heureuse qu’on en ait parlé », dit-elle avant de poser la tête sur l’épaule de son homme.

 

R.Carver : Les trois roses jaunes, Payot, 1988

 

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