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Bob Dylan dans le souffle du vent

Par Pierre Béguin

 

Dylan.PNGEn été 1963, le trio folk Peter Paul & Mary enregistre une chanson – écrite en 1962 par une jeune chanteur de 21 ans alors inconnu, un nommé Bob Dylan – qui se révélera d’emblée un tube phénoménal. Lorsqu’à son tour, Dylan entonne Blowin’ In the Wind de sa voix nasillarde, la cause est déjà entendue. La nouvelle génération nord-américaine s’empare immédiatement de la chanson pour en faire l’hymne de toute une jeunesse en révolte luttant pour les droits civiques (le Civil Rights Movement, alors en plein essor). Dans la foulée, la chanson est reprise par quasiment toutes les stars de la musique dans les registres les plus variés, du jazz au music hall en passant par le rock, et pour toutes les générations: Duke Ellington, Janis Joplin, Joan Baez, Elvis Presley, Marlene Dietrich, etc. Sans compter que Blowin’ In the Wind va devenir très rapidement, et pour longtemps, le thème favori d’une jeunesse gratouillant la guitare au coin du feu en refaisant le monde sous la bannière du Peace and love. Quels éléments – à la fois intrinsèques aux paroles même de la chanson et dépendants de son contexte socio historique – pourraient contribuer à expliquer la subite métamorphose de ces trois couplets et de son refrain en un hymne mondialement connu épousant l’air du temps et tout ce qui «souffle dans le vent» des 60’s?

Tel fut l’un des sujets soumis à la sagacité de mes collégiens et collégiennes de maturité lors de la dernière session d’épreuves semestrielles. Bien entendu, le sujet n’était pas catapulté ex nihilo, ni les étudiant(e)s livrés à leurs seules neurones. Il s’inscrivait dans l’étude de l’excellent livre de François Bon Bob Dylan une biographie (Albin Michel, 2007) et, plus largement, dans l’étude du renouveau du genre biographique. François Bon, d’ailleurs, parle abondamment de la genèse de Blowin’ In the Wind et avance un certain nombre de raisons susceptibles de répondre à cette question, que ce soit par l’étude de l’art de l’écriture chez Dylan ou par une analyse approfondie du contexte socio politique du début des 60`s aux Etats-Unis.

Voici une liste (presque) exhaustive des arguments que j’ai relevés dans les dissertations correspondant à ce sujet, arguments que je me contenterai de retranscrire à ma manière sans les commenter ni les développer:

La chanson s’inscrit dans un contexte raciste, tendu, qui va lui servir de caisse de résonnance. Comme, par exemple, l’assassinat de Medgar Evers, le 12 juin 1963, par un membre du Ku-Klux-Klan au Mississipi (Dylan écrira une chanson sur ce fait divers tristement célèbre – Only a Pawn in Their Game – et Alan Parker en fera un film – Mississipi Burning). Et surtout, elle est chantée la première fois lors de la marche pour les droits civiques, devenue fameuse entre autres par les mots de Martin Luther King «I have a dream», un événement auquel elle restera indéfectiblement liée.

Elle contient une dimension prophétique, même si elle n’appartient pas vraiment au genre des prophetic songs – dont la principale caractéristique est d’être écrit au futur – un genre où Dylan excelle tout particulièrement (The Times They are a Changin’When the Ship Comes inA Hard Rain’s Gonna Fall). En ce sens, elle a su capter l’air du temps avant même de s’incarner dans des événements ou des faits divers. Preuve en est qu’elle s’est quelque peu envolée avec le vent qui la portait: la jeunesse actuelle souvent l’ignore.

Elle reprend un standard folk chanté par Odetta (No More Auction Block, un vieux chant d’esclaves déjà dans toutes les oreilles), ce qui lui donne une force mélodique évidente doublée d’une capacité à s’imposer immédiatement dans l’inconscient collectif.

Ses paroles sont construites sur des répétitions, des anaphores (How many – before) qui leur confèrent un côté lancinant, tenant à la fois de la berceuse et du cantique. Son refrain énigmatique et, surtout, ses tournures essentiellement interrogatives renvoient l’auditeur à lui-même en l’interpellant directement (my friend).

Le texte reste simple, très dépouillé et accessible, à l’opposé d’autres chansons de Dylan foisonnantes de métaphores déconcertantes à influence rimbaldienne (Desolation Row ou Ballad of a Thin Man). Son message est à la fois clair et suffisamment imprécis pour s’adapter à «différentes sauces», contrairement à A Hard Rain’s Gonna Fall qui aurait tout aussi bien pu revendiquer sa place dans la mythologie des 60’s mais dont les flèches, malgré les dénégations de Dylan qui n’était pas dupe de cette faiblesse, ciblaient trop directement la guerre froide et la menace nucléaire. Ainsi Blowin’ In the Wind a-t-elle pu faire écho aux principaux événements de la décennie, à commencer par la guerre du Vietnam.

François Bon précise, à propos de cette chanson, «qu’elle ne ressemble pas à une chanson de Dylan», qu’elle aurait surtout servi «à porter un chanteur de l’autre côté d’une ligne invisible». Autrement dit qu’elle a ce petit côté racoleur, opportuniste, nécessaire à tout succès planétaire. Pour autant, elle reste authentique, spontanée, reflet d’un chanteur dans le souffle de ses débuts et qui ne s’est pas encore perdu dans la drogue et le show business.

Personne, pourtant, n’a cru bon d’ajouter cette précision élémentaire en guise de conclusion: que le chef d’œuvre résulte avant tout d’une alchimie incompréhensible, qu’il ne se réduit pas à l’addition de ses composantes pas davantage que les mets d’un grand chef ne se réduisent à leur recette ou les grandes œuvres classiques à l’application stricte de leurs règles, n’en déplaise aux doctes dont Molière s’est si souvent moqué. Encore faut-il qu’il y passe le souffle du vent, le souffle du génie…

 

 

Commentaires

  • Toute la question est de savoir dans quel sens souffle le vent de l'histoire. Le génie de Dylan, c'est d'être en phase avec son époque, c'est de sentir le vent souffler. C'est une éponge qui s'imprègne de tout ce qu'il vit, de tout ce qu'il lit. Il n'applique aucune recette à ses chansons. C'est l'alchimie du verbe, tu as raison, mon cher Pierre. Bonne année à toi et aux tiennes !

  • Si vos élèves écoutent Dylan : C'est une bonne école qui devrait les inciter à ne pas trop répondre aux questions

  • Incompréhensibles alchimie - Oui!

  • Most of the time ... Une chanson qui me fait toujours frissonner. Le souvenir d'un femme perdue, un amour envolé ...
    Je ne pense plus beaucoup à elle la plupart du temps...sauf quand j'entends Bob chanter.
    Très bon article en tout cas ! Merci

Les commentaires sont fermés.