Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Naissance d'un écrivain

 

par antonin moeri

 

 

hemingway11.jpg

 

 

 

 

Les nouvelles écrites dans les années vingt ont imposé le journaliste Ernest Hemingway à l’attention des milieux littéraires. Je relis volontiers ces séquences courtes où la cadence des phrases, la valeur de l’implicite, le souci de la composition, l’efficacité et la concision des dialogues en imposent. C’est un jeune Américain désemparé que Hemingway met en scène dans «Un soldat chez lui». Un Américain épris d’authenticité, qui a vu la mort de près, que l’expérience de la première guerre mondiale a stupéfié, traumatisé. Un Américain qui rejette désormais les codes sociaux, les encombrements créés par celles et ceux qui prétendent vous envelopper d’amour.

Harold Krebs a donc participé à des combats en France et en Allemagne. Il rentre chez lui, en Oklahoma en 1919. Comme les gens ne l’écoutent pas quand il veut parler de ce qu’il a vécu, il se met à mentir. Cette expérience du mensonge l’écoeure. Il se lève tard, lit des livres, joue au billard, étudie la clarinette. «Avant son départ pour la guerre, Krebs n’avait jamais été autorisé à conduire la voiture de la famille». Son père le lui interdisait. Harold aime regarder passer les jolies filles sur le trottoir d’en face. Il aimerait avoir une amie mais ne veut pas s’empêtrer dans les intrigues. Avec les Allemandes, on n’avait pas besoin de parler. «Tout était simple et on s’entendait bien».

Un matin, sa mère entre dans sa chambre et s’assied sur son lit: «Tu pourrais prendre la voiture pour sortir le soir». Dans la salle à manger, Harold papote avec sa soeur qui le demande s’il ne pourrait pas être son flirt. Sa mère lui apporte des oeufs au bacon. «As-tu décidé ce que tu allais faire? - Non». Elle lui rappelle qu’il faut se rendre utile à la société. «Tous les métiers sont honorables. Tu n’aimes pas ta mère? - Non». Elle pleure. Il la prend dans ses bras. «Je ne voulais pas dire ça». Il lui embrasse les cheveux. «Veux-tu t’agenouiller et prier avec moi?» Il accepte de s’agenouiller, car il a pitié de sa mère. Comme il veut une vie sans histoire, il ira chercher du travail à Kansas City.

Harold n’a que faire des consolations que la religion peut offrir. Il n’a que faire de l’amour maternel et des moiteurs familiales. Il n’a pas la force d’aller draguer comme font les gens de son âge. Et pourtant, il n’accepte pas la défaite, ne veut pas être vaincu. Il ira à Kansas City et y trouvera du travail pour faire plaisir à sa mère. A-t-on affaire à un être passif qui ne trouve plus aucun sens à sa vie et au monde qui l’entoure? Le lecteur peut se demander si Harold va retrouver l’énergie, le courage et la détermination des pionniers américains ou s’il va se laisser couler dans les eaux noires de la mélancolie et du ressentiment. Rien, dans le texte, n’indique la voie qu’il choisira: celle d’un humilié ou celle d’un winner? C’est par souci de justesse que l’auteur maintient une sorte de flou. Souci de justesse qui contribue à la réussite littéraire de cette nouvelle écrite en 1924.

 

 

Ernest Hemingway: Nouvelles complètes. Quarto, 1999

Les commentaires sont fermés.