Drieu La Rochelle, Mémoires de Dirk Raspe
Par Alain Bagnoud
Les Mémoires de Dirk Raspe est le dernier roman de Pierre Drieu La Rochelle. Inachevé à cause de son suicide en 44, dans les circonstances qu'on sait. Non, on ne les sait pas? Les voici:
Directeur de la NRF (Nouvelle Revue Française) pendant la 2ème guerre mondiale, prônant la collaboration, Drieu était passible de la peine de mort. A la Libération, il a refusé de se cacher comme le lui proposait notamment André Malraux, dont il était le parrain d'un des enfants. Ont suivi trois Drieu La Rochelle, Mémoires de Dirk Raspetentatives de suicide. La dernière a été la bonne.
Les Mémoires de Dirk Raspe est son dernier livre. Paru seulement en 66, il traite de tout autre chose que de nazis et de collaboration.
Il s'agit d'un peintre, dont l'histoire est exactement calquée sur celle de Van Gogh. Mais le fait que ce ne soit pas précisément une biographie permet aussi à Drieu de parler un peu de lui-même et d'habiter ainsi le livre, qui est une descente vers la mort et une interrogation sur l'art.
On suit le futur peintre en Angleterre, puis dans son ministère de pasteur avorté dans les villages boueux du nord, dans ses débuts d'artiste... C'est un très beau livre.
Elégance de l'écriture. Intelligence supérieure. Force des dialogues qui touchent à l'essentiel. Obsession de la mort. Croyance volontairement syncrétique en Dieu et en l'art, en la prédestination calviniste aussi, qui est celle des rares élus sauvés, c'est-à-dire celle des artistes de talent. Fascination de la pauvreté, de l'animalité, de l'humanité et de la déchéance. Célébration, surtout, de la force têtue qui fait finalement un destin et pousse l'homme (l'artiste) vers la découverte d'une vérité essentielle!
Le texte est inachevé. Il devait comprendre encore trois parties qui auraient suivi la trajectoire de Van Gogh. Mais la guerre s’est terminée, et la vie de Drieu aussi.
Drieu La Rochelle, Mémoires de Dirk Raspe, Gallimard
Paru aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud
Commentaires
Tout de même, c'est dur à dire, au vu des circonstances terribles qui entourent le suicide tant de Van Gogh que de Drieu La Rochelle, mais ici, le syncrétisme entre religion et art est un peu abstrait, et semble quelque peu fondé sur l'orgueil de l'artiste en tant que démiurge, de l'artiste prométhéen dans la lignée de Shelley, du romantisme qui exaltait jusqu'à la pulsion personnelle. La religion devient vite le culte de soi-même, ici. On sait bien, en tout cas, que dans les religions, en général, la destinée doit être vécue jusqu'au bout, et non interrompue volontairement. Je dis pour Van Gogh, le sujet du livre de Drieu, car pour lui, je ne veux pas juger, je ne veux pas parler d'un livre à travers ce qu'a fait dans sa vie son auteur. Le suicide, dans la tradition occidentale, est présent chez les anciens Romains, voire les anciens Grecs, mais le christianisme l'a proscrit. Cela dit, le romantisme est revenu sur la question.
Magnifique ton papier. Me donne envie de lire Drieu dont je ne connais finalement que le journal. Velan m'avait conseillé de lire Gilles que j'ai acheté, commencé, mais jamais terminé. Merci Alain de m'avoir rappelé l'existence de cet auteur. Je lis pour l'instant avec des tremblements dans les avant-bras la version originale des nouvelles de Carver, que son éditeur avait réduites parfois de moitié pour faire de RC la star mondialement connue que nous aimons.