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mission du roman ???

 


par antonin moeri

 

 

Louis-Ferdinand_Celine_visto_Tullio_Pericoli.jpg

 

 

 

 

L’autre jour, un élève présenta un livre devant sa classe. Le roman d’un Anglais qui participa à des combats aériens lors de la seconde guerre. À la question qui lui fut posée «As-tu appris quelque chose en lisant ce roman?», l’ado répondit: «Ah oui, j’ai beaucoup appris sur la vie des pilotes, comment ils s’entraînaient, ce qu’ils mangeaient, le courage qu’ils devaient avoir pour partir en mission, la discipline qu’ils devaient s’imposer». Cette réponse enthousiaste d’un garçon de quatorze ans m’a laissé songeur. Je me suis demandé si le roman avait pour mission d’apprendre quelques chose au lecteur, à une époque où chaque individu est considérablement informé sur tous les sujets possibles: vie des SDF ou celle des migrants échoués sur les plages du Maroc, les parties fines des grosses nuques ginfizzées, la prolifération des cellules malignes dans tel corps ou celle des propos racistes dans telle couche de la population. Beaucoup plus efficaces que le roman sont, dans ce domaine, internet, la télé, les enquêtes socio-linguistiques ou médicalo-légales, les radios, les journaux, les revues spécialisées ou non, les encyclopédies, les entretiens de syndicalistes ou de footballeurs convertis à l’islam.

Mais alors, me disais-je en félicitant l’élève qui avait présenté le livre d’un auteur anglais, quelle pourrait être la mission du roman en ce début de XXI e siècle? Prenons «Féerie pour une autre fois» du réprouvé de Meudon. Le lecteur apprend-il beaucoup de choses sur la vie d’un détenu dans une prison danoise juste après la seconde guerre? Ou sur la vie d’un auteur à succès dans les années trente? Ou sur la vie d’un écrivain exilé, réfugié sur les bords de la Baltique à la fin des années quarante? Oui, le cul-de-basse-fosse danois est évoqué. Oui, la chasse à courre épuratrice est suggérée. Oui, la bicoque sans chauffage de l’avocat M. est esquissée. Mais ce sont des effets de réel. Ce qui compte ici et retient notre attention, c’est un ton, un rythme, une manière de s’adresser au lecteur (à son système nerveux), une voix-peuple rêvée par un travailleur de la chose en soi.

L’ombre des épurateurs qui rôdent sur la Butte, les hurleurs de nuit dans la geôle voisine, la cavale sur les toits de Copenhague constituent le fond de sauce. Mais pour aller directement dans le sujet et braquer sa caméra sur le visage d’un étudiant qui jubile en voyant de près un traître qu’on va fusiller, pour scruter les gestes du voyeur funeste, du dadais ingrat devenu gaulliste au bon moment et qui salive à la vue des rognons, de l’aorte, de la viande du réprouvé mis au crochet, émasculé, écartelé, pour mettre en scène la perversité ordinaire ou la banalité du mal, il faut une audace, un souffle, un talent, une vision, une détermination qui caractérisent les écrivains ne portant pas sur eux des désirs d’avenir. Si l’oeuvre de Louis-Ferdinand Céline est peu recommandable en ces temps obscurs et moralisants, c’est sans doute parce qu’elle reste un mystère qui provoque un malaise. Et que le malaise n'est pas tendance.

 

Louis-Ferdinand Céline: Féerie pour une autre fois, FOLIO

 


 

Commentaires

  • Il y a plusieurs sortes de romans, et certains ne semblent être écrits que pour vulgariser des idées ou de l'histoire, ou de la science. Cela dit, un roman qui est une forme d'illustration d'un certain point de vue philosophique sur l'humanité renseigne aussi sur ce qu'on peut qualifier de vérité morale - du point de vue de l'écrivain. Or, les pilotes de guerre sont aussi porteurs de vérités morales, dans leurs choix, leurs obligations. Plus que les détails pratiques de la vie de ceux-ci, c'est peut-être la vérité morale de cette vie qui a impressionné votre élève, et inversement, cela semble être la vérité morale de l'expérience de Céline qui vous impressionne. J'ai du mal à voir la différence, sinon que l'élève aime mieux regarder ce qui dans l'humanité est positif. Mais a-t-il forcément tort, on ne sait pas. C'est une question de point de vue. Je ne pense pas qu'un roman doive obligatoirement montrer la partie mauvaise de l'humanité et du monde. Il ne faut pas faire une sorte de moralisme à l'envers, un conformisme décadent. C'est du reste pourquoi je ne raffole pas de Céline: on dirait qu'il pontifie négativement sur le monde. Sauf votre respect, Antonin.

  • (N'y a-t-il pas un mystère aussi dans l'homme prêt à donner sa vie pour son pays, dans le thème même du sacrifice?)

  • Je ne sais pas si l'héroïsme peut acquérir une quelconque valeur littéraire. Etre le héros d'une histoire pose suffisamment de problèmes pour ne pas en rajouter. Et puis, quels sont les héros de notre temps? Je verrais assez Domenech comme le héros négatif d'un beau roman du désastre. Car le désastre est plus séduisant que la réussite des caïras. Plus je vois ses gros sourcils à la télé et plus j'entends sa voix rauque et sa langue de type instruit qui méprise les journalistes et le populo avide de sensation, plus je voudrais écrire un scénario sur un type comme lui. Les héros positifs de notre siècle, quels sont-ils? Présentent-ils un quelconque intérêt, sinon pour homo festivus qui hurle à la piscine des Vernets toute la joie rance de son corps en extase? Quant à la vérité morale dont vous parlez avec un certain lyrisme, je ne vois pas de quoi il s'agit. Quant au roman...?!?!

  • Les vérités morales, ce sont les idées sur le comportement humain qu'ont et que se font les auteurs des romans dont vous parlez: pour l'un, la vérité morale de l'homme est dans son courage, pour l'autre, dans sa perversité, etc. Ils présentent bien ces comportements comme vrais: les idées morales qu'ils se font de l'homme sont pour eux des vérités.

    Ce que vous dites, Antonin, me rappelle simplement que la collection de La Pléiade a fait de De Gaulle un écrivain consacré, au travers de ses mémoires qui le présentent lui-même comme un héros, et que, quand ces mémoires ont été mis au programme des lycées, le syndicat communiste a protesté, parce que selon lui ces mémoires n'avaient aucune portée littéraire, peut-être sous-entendant que toute oeuvre littéraire moderne mettant en valeur un héros est sans valeur. Mais je pense que c'est un postulat, et qu'il est faux. Quand j'étais petit, j'étais à l'école expérimentale Decroly, qui était tenue par des idéalistes très à gauche, et on m'y reprochait de dessiner toujours des héros, des surhommes. C'est idéologique. Mais moi, j'étais réellement motivé par ce sujet. Je ne sais pas ce qu'on y peut.

    Ce qui est certain, c'est qu'à quatorze ans, les jeunes ont besoin d'avoir des modèles, des gens qui incarnent des idéaux. Cela les fait aller de l'avant. Il sera toujours bien temps, plus tard, de lire des écrivains adeptes du scepticisme, notamment pour modérer leurs transports. Mais le scepticisme appris à l'âge de 14 ans débouche sur le cynisme, je pense.

    Quoi qu'il en soit, je pense que cela n'a rien à voir avec la questiion du roman en tant que genre littéraire, et j'aime assez les mémoires de De Gaulle, moi-même, comme j'ai aimé par exemple le "Dune" de Frank Herbert qui présente un messie authentique, quoique conscient de forger son image de messie. Les deux livres m'ont paru proches, et je les pense bons. La vérité est même que j'ai préféré "Dune" à "Voyage au bout de la nuit". En tout cas, on ne peut pas prétendre que "Dune" soit un roman raté, je crois.

    Antonin, ne soyez pas si négatif. "Dune" et les mémoires de De Gaulle offrent simmplement une autre facette de la réalité que les romans de Céline ou les nouvelles de Maupassant, et cette facette n'est en fait ni plus fausse ni plus vraie que l'autre: la vérité totale est faite des deux coexistant et s'imbriquant. Le roman - le bon roman - pour moi montre cette coexistence imbriquée.

  • Mission du roman ? Laisser quelques belles résonances chez le lecteur, il s'approprie votre histoire et s'y retrouve à divers moments. Un tendre écho de l'âme que l'on renvoie au fur et à mesure des pages qui se tournent. N'est-ce point là finalement la mission du roman, que chacun s'y projette à sa guise ?

  • cher Djemâa,

    un tendre écho de l'âme, ça me fait penser aux vibrations de l'âme du peintre Olivier Charles
    C'est bien dit
    que chacun s'y projette à sa guise, oui, tout est dit, que chacun s'y projette à sa guise, sans qu'on lui fasse la morale, qu'on lui explique
    quant au roman qu'on écrit c'est l'affaire de chacune, de chaque subjectivité
    et il y a la forme, celle de Houellebecq par exemple est un peu relâchée mais j'aime sa posture son sarcasme, on sent Schopenhauer là-derrière, comme chez Maupassant

  • cher Rémi,

    je ne connais pas les mémoires de de Gaulle

    mais je me souviens avoir lu un peu Malraux qui est assez enflé, emphatique. Les qualités encensées sont précisément le courage, la grandeur, l'esprit de sacrifice, la défense d'une cause. Ce qui m'a toujours beaucoup fatigué. Il semblerait que Godard ait quelque estime pour la condition humaine, il faudra donc que je glisse ma trompe dans ce livre, pour réviser mon jugement. Un autre souvenir, les roman de St Ex. Il y a là un langue superbe je dois avouer, et lui aussi exalte les vertus du sacrifice, la grandeur d'âme, le courage, la vaillance, le surhomme. Un esprit aristocratique, me semble-t-il, mais là aussi, il faudrait relire Courrier Sud, Terre des hommes, Vol de nuit.

    A propos de Domenech, l'Equipe titre: La fin d'un monde, qui fait penser à Fin de partie, je vous le disais que les désastres sont plus palpitants pour celles qui écrivent des livres. Imaginez-vous un instant des auteurs qui chantent l'amour, mour, mour, la rencontre éblouie, la réussite sociale, la paix des chaumières, la réalisation de soi, la convivialité, le respect, la différence, l'altruisme... On se croirait à la télé. qui est le vrai conte de fées à la portée de chacun.

    Bonne semaine.

  • Pour ma part, Antonin, je pense comme vous, sur Malraux, mais précisément, je ne pense pas que cela vienne des vertus qu'il encense, mais de ceci, qu'il les nomme de façon artificielle, qu'il en parle sans être pénétré d'une façon profonde et sincère de ces vertus. Du reste, si la littérature qui fait l'éloge des vertus apparaît comme creuse, c'est sans doute justement parce que, durant des générations, elle a paru reprendre un langage tout fait, sans sincérité. Face à cela, la contradiction apportée par le courant "Maupassant-Céline" (disons) est apparue comme plus spontanée, sincère: je ne le nie du reste pas. Lovecraft, par exemple, va dans le même sens, et je l'adore. Mais je continue à penser que si les vertus sont ressenties en profondeur, de façon sincère, il n'y a pas de raison qu'elles ne puissent pas donner lieu à de la grande littérature. A première vue, il semblerait que Saint-Exupéry aussi était ambigu sur le plan moral, que sa vie contredisait ses discours. Je n'en sais rien, je l'ai peu lu. Mais je pense que De Gaulle était sincère, dans ses mémoires. Et en tout cas, votre élève, semble-t-il, a ressenti également comme sincères les paroles du livre qu'il a commenté, sur le plan moral. Un roman messianique excellent, en français, c'est "Ptah Hotep", de Charles Duits.

    Mais peut-être que vous avez ressenti, simplement, que les vertus de l'aviateur étaient surfaites, et qu'il s'agissait surtout de se laisser entraîner dans l'atmosphère du groupe qu'on appelle l'armée nationale, et que c'est cela qu'on appelle courage. Cela dit, accepter la communion avec le groupe, ce n'est peut-être pas une vertu divine, mais c'est plutôt une qualité. Ensuite, le tout est de ne pas s'y dissoudre.

  • (Et bonne semaine aussi! Cela dit pour être en communion avec vous.)

  • Continuez à écrire ce genre de poste. Je serai votre lecteur fidèle. Merci .

  • Je veux juste vous dire merci pour les informations que vous avez partagés. Juste continuer à écrire ce genre de poste. Je serai votre lecteur fidèle. Merci encore.

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