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Nuit et brouillard

 

Par Antonin

 

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Avant de lire les lettres de Céline en Pléiade, je voulais me replonger dans les années noires, pour tenter de saisir un peu mieux les dérives haineuses et les contorsions roublardes de ce créateur d’un style épileptoïde.
“Dans la bibliothèque privée d’Hitler”, j’apprends que les livres favoris d’Adolf n’étaient pas ceux de Schopenhauer et de Nietzsche, auteurs bien trop subtils, nuancés et abstraits pour ce fanatique de brasserie, mais ceux d’auteurs inconnus ayant donné libre cours à des élucubrations sur l’ésotérisme, l’occultisme, le racisme. Notre lecteur avide aimait aussi Robinson Crusoë, La Case de l’Oncle Tom, Don Quichotte et les romans de Karl May (Winnetou).
Puis, je lis attentivement un essai que Cioran appréciait: “Un certain Adolf Hitler”. Après avoir présenté la fulgurante ascension du tribun populiste, ses spectaculaires réalisations et ses premiers succès militaires, Sebastian Haffner pointe les erreurs, les fautes, les graves erreurs stratégiques de ce hâbleur qui aimait jeter de fausses connaissances à la tête de son public, qui ne se sentait à l’aise qu’avec des auxiliaires de service: chauffeurs, gardes du corps, secrétaires.
“L’espèce humaine” de Robert Antelme me ramène à ce que je préfère: l’espace littéraire. Pas l’ombre d’un gémissement, nulle invention étincelante ni ficelle ni stratégie d’auteur ni besoin d’expliquer dans ce livre inquiétant qui n’est pas un énième témoignage mais un constat implacable, froidement mené au présent ou au passé selon l’intensité de la scène. Le lecteur entre dans le crâne et le ventre d’un résistant français détenu dans un camp au centre de l’Allemagne bombardée au phosphore. Il perçoit en direct ce que voit, entend, sent, se rappelle un homme “réduit à l’irréductible (...), attaché à vivre de manière abjecte”.
Ni esclave ni animal mais un sujet évidé, bouté hors de l’espèce humaine (on pourrait dire désespécé), sujet-rebut, sujet-déchet tel que le SS désire le voir et dont la seule jouissance est de fixer un regard exténué sur le morceau de pain jaune que tient distraitement celui qui agonise, ce même morceau de pain sec sur lequel se jetteront les autres, ceux qui ont faim et qui n’ont pas la force de se révolter contre le manque de nourriture, le froid, la saleté, le barbelé, la cruauté, l’arbitraire d’un pouvoir total.
Vous l’aurez compris, “L’espèce humaine” est un grand livre qui, dans un style elliptique, parataxique et neutre, interroge le sens des mots VIVRE et EXISTER. Quant aux lettres de Louis-Ferdinand Destouches (deux mille pages), je vous en parle une autre fois.

Commentaires

  • "Ni esclave ni animal mais un sujet évidé, bouté hors de l’espèce humaine (on pourrait dire désespécé)..."

    Dans un registre très proche, mais avec en plus le pilonnage lancinant, par un commissaire politique, du credo de l'Homme nouveau, "Le Manifeste du camp N° 1" de Jean Pouget (existe en poche). Je vous le recommande, si vous êtes féru du sens des mots VIVRE et EXISTER...

    Nous sommes au Viet-Nam, après Dien Bien Phu, dans un centre de "rééducation" pour officiers français, prisonniers du Vietminh et le taux de mortalité du camp n'a rien à envier à ceux des camps nazis.

  • C'est noté, j'irai chercher le manifeste

  • ...et puis, quoi qu'on en pense, n'oubliez pas "Les bienveillantes" dont nous avions en son temps parlé. Elles méritent le douloureux détour. Amitiés. Pierre.

  • J'y songerai cet été quand... J'avais commencé. Le livre m'attend là-bas. Oui, c'est vrai. Un tour de force m'a dit un connaisseur. Le perso une sorte d'esthète maléfique. Me souviens d'une scène tout à fait viscontienne. Et puis le soldat allemand qui fracasse un nouveau-né contre un mur je crois ou une table. Description précise trash des lambeaux de cervelle. Oui oui. Cet été. Merci beaucoup. Heureux d'entendre votre voix. J'ai nagé dans les homophonies toute la journée. Une dame tip top au savoir étendu encyclopédique. Et drôle la dame. Ricanante. Légèrement cynique. C'est ce que j'aime. Bonne semaine. Bon shabbat.

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