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Don Juan ou les scandales fiscaux

 Par Pierre Béguin

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Dans le Dom Juan de Molière, à la scène 4 de l’Acte IV, Don Louis s’adresse ainsi à son fils libertin: «De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d’actions indignes, dont on a peine, aux yeux du monde, d’adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de méchantes affaires […] Ah! quelle bassesse est la vôtre! Et qu’avez-vous fait dans le monde pour être gentilhomme? Croyez-vous qu’il suffise d’en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d’être sortis d’un sang noble lorsque nous vivons en infâmes? Non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas […] Apprenez enfin qu’un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu’on signe qu’aux actions qu’on fait, et que je ferais plus d’état du fils d’un crocheteur qui serait honnête homme, que du fils d’un monarque qui vivrait comme vous.»
Cette scène m’est revenue en mémoire à la lecture, dans Le Temps, d’un article consacré au scandale fiscal qui ébranle actuellement l’Allemagne (et les places bancaires) et qui précipite aux enfers – comme la statue du Commandeur le fait de Don Juan – bon nombre de dirigeants appartenant à l’élite (!) économique du pays. Comme Don Louis envers son fils, les politiciens ont des mots très durs (mais la classe politique, en d’autres circonstances, est loin d’être elle-même au-dessus de tout soupçon) pour condamner ceux qui ne respectent pas les contrats sociaux et économiques élémentaires dans un système où leur position privilégiée devrait pourtant leur imposer un rôle de modèle. Ainsi du Ministre des Finances: «Ce sont les élites qui font craquer le système». Du Ministre de l’Intérieur: «Ces gens détruisent tout. Quand les élites ne comprennent plus qu’elles doivent respecter les lois, c’est grave». Et encore du Ministre de l’Economie qui demande aux dirigeants «de se purger de leurs mauvaises habitudes». Enfin, le journal Der Spiegel rappelle qu’«un tiers de la société doit se battre avec les conséquences de la globalisation et des lois sociales toujours plus dures. Mais la couche tout en haut fait davantage parler d’elle par son manque de mesure». Molière, par l’intermédiaire de Don Louis, ne dit pas autre chose des excès et dérives d’une bonne partie de la noblesse sous Louis XIV. A l’image de Don Juan, leurs manquements systématiques aux contrats élémentaires qui fondent la société marquent le surgissement anarchique du moi. En dehors des règles traditionnelles de l’honneur et de la morale, une société s’appuie sur le respect des codes qui assurent le bon fonctionnement des rapports économiques entre les hommes. Le refus d’honorer ces différents contrats entraîne le désordre, voire la déchéance sociale. Loin d’être une simple liberté de pensée – comme le prétend Don Juan – ce refus souligne le cheminement progressif – selon Molière – vers la bassesse morale et la mise en péril de l’ordre social.
Avec Dom Juan, Molière initie un thème qui va traverser toute la littérature du 18e siècle pour trouver son ancrage historique dans la Révolution de 1789, cent vingt-quatre ans plus tard. Je gage qu'il faudra beaucoup moins longtemps pour que la soit disant élite économique actuelle, puisqu'elle commet les mêmes erreurs, subisse le même sort que la noblesse française. Pour quel ordre nouveau? Je ne sais pas pour vous, mais moi je crains le pire...

Commentaires

  • Merci Pierre Béguin pour votre "lecture". Je réécris un Don Juan et
    je partage avec vous la vision cuisante de cet éternel retour, d'une
    soi-disant liberté qui laisse un monde de plus en plus fou au bord
    de la route, d'un amas de privilèges qui ne fait que croitre et embellir
    tandis que les peuples ne demandent même plus des "gages" tant
    le travail disparaît, des discours et des raisonnements des "élites", ou
    des tyrans des états qui nous entraînent aux bords du gouffre d'une
    planète poubellisée, violentée, marchandisée...
    Moni Grégo (auteur)

  • Des parallèles intéressantes vous venez d’imposer par ce billet. Jamais ayant retrouvé le sens si sacré dans cette pièce moliéresque pourtant que c’était mon auteur de thèse...La déclaration est trop suggestive...

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