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prix littéraire

  • Toast à Pierre-Yves Lador, Prix des Écrivains vaudois 2013

    par Jean-Michel Olivier

    DownloadedFile.jpegSi, un jour, quelqu’un vient sonner à votre porte, un grand escogriffe barbu, un peu hirsute, en salopettes de jardinier, qui se prétend poète, par exemple, réfléchissez bien avant d’ouvrir ! Car il pourrait non seulement vous en cuire, mais surtout il se peut qu’il vous fasse découvrir des plaisirs dont vous ne soupçonniez pas même l’existence.

    Certains écrivains tissent leur toile comme les araignées. C’est une question de mailles et de coutures, de pièces rapportées, de plis et de faux plis, d’ourlets. Le lecteur aime à se prendre dans leurs fils avant, parfois, de se faire dévorer tout cru — ou tout cuit.

    D’autres écrivains construisent leur maison avec des mots. Elle est vaste comme une église ou secrète comme une chapelle. Parfois, elle ne comporte pas de fenêtre. Mais le plus souvent elle est percée d’une multitude de portes. On peut y pénétrer de plusieurs manières.

    « À peine la porte poussée, je me trouvai dans une espèce de bulle mouvante, souple et ferme, translucide. Je m’avançai vers une ouverture qui donnait sur une nouvelle bulle disposant de trois ouvertures. DownloadedFile-1.jpegIl s’agissait d’une espèce d’architecture de mousse, chuchotant ou chuintant, crissant, se balançant doucement. »*

    La maison de Pierre-Yves Lador est donc faite de mots, qui sont autant de portes ouvertes ou entrouvertes sur des multiples labyrinthes. Les mots s’ouvrent comme des portes, donc. Comme des fleurs aussi. De là vient la lumière. Le parfum des mots et des roses. Et ils ouvrent, à leur tour, ces mots, sur d’autres mots, qui s’ouvrent et guident le lecteur.

    On n’est plus dans le texte tissé par un maître tisserand, mais dans une architexture sonore où tout n’est que seuils et embrasures, serrures et mots-clés — et caisses de résonance.

    « Les portes n’ouvrent pas seulement un destin, mais des millions d’autres. Colomb ouvre la porte de la mondialisation, Sade la porte de la prison édénique et en tuant dieu, tue l’homme, Freud ouvre la porte de la peste, Jung la porte de la connaissance, Dali la porte cannibale, True Blood la porte animale… »

    Ouvrir sa porte, mesdames, à l’inconnu qui vient frapper, à l’alien, à l’étranger, au poète un peu hirsute, mais beau parleur venu vendre ses livres, cela vous expose donc à toutes sortes de périls !

    images.jpeg« Viens, la poésie je ne sais pas ce que c’est et tu ne fais pas tout ça pour vendre ta brochure à dix balles ! Est-ce que les autres t’en achètent ? Je dis que oui. Je remarquai alors que la porte comportait un verrou à cinq pênes et une barre de sécurité debout, inerte, dans l’encoignure et réalisai qu’elle ne les avait pas utilisés, se fiant à son petit verrou ordinaire. »

    Les serrures, les verrous, les chambranles, les bobinettes comme les fermetures-éclair ne résistent pas longtemps au poète qui sait jongler avec les mots. Et bientôt les dernières digues sautent, si j’ose dire, les corps se mêlent dans un mélange sans confusion de salive et de sperme.

    « Je humai, goûtai, regardai, auscultai. Nos doigts ne se démêlaient que pour s’enfiler, s’insinuer, s’enfoncer, glisser, limer, frotter, polir, pincer, griffer, s’accrocher, prendre, se faire aspirer avant d’être léchées comme des sucettes roses. Meilleurs ouvriers, nous passions sans cesse de l’animalité la plus faunesque à l’humanité la plus éclatée, entre fesses, orteils et oreilles, sauvages et empathiques. »

    Au passage, relevons le glissement du langage cru animal aux mots cuits de l’humain. Toute la poétique de Pierre-Yves Lador se cache dans ce glissement progressif vers le plaisir promis et suggéré par les mots.

    C’est encore une porte qui s’ouvre sur l’inconnu.

    « L’érotisme est une voie entre les mondes, dit Éliane, la grande prêtresse de l’amour. Désirer, c’est ouvrir la porte. Après, il faut passer le seuil…

    —     et revenir…

    — Si l’on veut, mais ne pense pas à revenir quand tu veux partir. Tu n’es pas de ces obsessionnels qui doivent défaire leurs pas pour revenir par le même chemin, comme on défait un tricot, pour refaire le peloton matriciel, le retour, s’il y en a un, se fait toujours en avançant, par un chemin neuf, neuf pour toi, toujours plus loin même si tu crois retourner ou rester immobile. La rivière est sans retour. »

    DownloadedFile-2.jpegOuvrir sa porte à l’inconnu, mesdames, c’est courir le risque d’être découvert (ou découverte).

    D’être entraîné dans un labyrinthe de mots au cœur duquel, bien entendu, veille le Minotaure, la bête humaine, l’homme au désir animal. Mais c’est aussi, pour Pierre-Yves Lador, une chance unique d’accéder à la connaissance, au cœur secret des choses, à l’essence de l’homme qui se révèle par la chair et les mots.

    Une crue de mots — parfois très crus — qui vous emportent dans leur sillage vers des tropiques où l’homme cuit sous le soleil, barbu un peu hirsute, un petit livre de poèmes à la main.

    * Pierre-Yves Lador, Chambranles et embrasures, édition de l'Aire, 2013.

    et La Guerre des Légumes, éditions Olivier Morattel, 2012.

  • La valse des Prix

     par Jean-Michel Olivier

    DownloadedFile.jpegC’est une malédiction qui revient chaque année en novembre, comme le Beaujolais nouveau : les Prix littéraires. Impossible d’y échapper. Les éditeurs français misent tous leurs sous sur la rentrée de l’automne. Et les journaux, qui ne s’intéressent jamais à la littérature le reste de l’année, se lancent dans le jeu des pronostics. Qui aura le Prix Femina ? Qui le Renaudot ? Et qui le Goncourt, surtout, le plus prisé de tous les Prix, moins pour le talent qu’il consacre que pour les tirages faramineux qu’il laisse espérer à son éditeur. Sait-on, par exemple, que cette année, 1'300'000 livres se sont vendus au total entre mi-août et mi-octobre 2012, générant un chiffre d'affaires de 24 millions d'euros (source AFP) ?

    Les Prix sont d’abord une affaire de gros sous. Surtout à notre époque où les librairies se font rares, où certains éditeurs cachent mal leur misère, mendient des subventions ou mettent simplement la clé sous la porte. Un Prix permet de voir venir. D’éditer d’autres livres, tout aussi estimables qu’un best-seller, mais qui auront moins de succès. images-1.jpegUn bol d’air dans un monde asphyxié. Il permet quelquefois, aussi, de faire éclore un talent. Car les médias se passionnent pour les joutes littéraires de l’automne. Comme on vibre aux exploits de Nadal ou de Federer.

    À ce jeu, certains, même, deviennent fous. C’est le cas des médias français qui dégomment ou encensent, selon leur bon caprice ou leur bord politique, les prétendants aux récompenses suprêmes. Christine Angot idolâtrée par Libération et massacrée par le Figaro. Ou l’inverse pour Joël Dicker, salué par Le Point et descendu par Le Nouvel Observateur et Le Monde. Les Prix rendent fous. Les éditeurs qui jouent parfois à quitte ou double. Les écrivains qui alignent les sottises, à longueur d’interviews, comme on enfile les perles d’un collier. Les journalistes enfin, prêts à tout pour défendre leur poulain.

    images-2.jpegSouvenez-vous de Jacques Chessex ! Il a obtenu le Goncourt en 1973 pour un roman, L’Ogre, qui a beaucoup fait jaser en Suisse romande par sa violence, son impudeur, sa verve provocante. Non seulement un bon livre, mais un grand livre. Le premier et le seul Goncourt suisse. À l’époque, un coup de maître. Ensuite, logiquement, une longue traversée du désert. De bons, voire de très bons romans, mais moins d’échos. Car après le Goncourt, comme on sait, il n’y a rien. Peu d’écrivains y ont survécu. Chessex, oui, car c’était un grand écrivain, qui venait de la poésie. Comme Pascal Quignard ou Michel Houellebecq.

    Comme pour le Beaujolais nouveau, il y a de bonnes et de moins bonnes années. 2012 n’aura pas été un grand cru. Qui se souviendra encore de Patrick Deville (Prix Femina) ou de Jérôme Ferrari (Prix Goncourt) dans quelques années ? Qui se souvient des lauréats de l’an dernier ? Ouvrons les paris.

    Ainsi tourne la valse des Prix, une valse à mille temps, dont Paris bat la mesure, comme chaque automne, et qui ressemble à un roman.