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  • Les Carnets de CoraH (Épisode 20)

    Épisode 20 : Que cherchons-nous dans les images ? Journal de ma tête d'Ursula Meier

    Journal de ma tête, affiche, Ursula MeierLes vacances commencent. On a quitté les élèves avec le sourire : reposez-vous, faites du sport et surtout lisez ! « Rest, run and read! » Les phrases rituelles s’enchaînent, on emballe le matériel, on ferme la salle de classe et on s’en va au loin le cœur dégagé.

    Quels livres choisir pour la rentrée ? Une histoire qui se termine bien ? Une fable politique ? Un conte féministe ? Ou un roman romand ? Avons-nous une responsabilité dans le choix des lectures que l’on inscrit au programme ? Peut-on encore lire l’Adversaire d'Emmanuel CARRÈRE, cet effroyable fait divers sur un quintuple meurtre, en sachant que l’auteur se place volontairement du côté du criminel, du diable ? Si notre rôle d'enseignant est d’engager la discussion, de développer le sens critique, de pointer les aspérités ou les failles d’une narration, nous ne pourrons jamais stopper la fascination qu’éprouvent les élèves pour la double vie du faux médecin vivant aux crochets de ses proches. Elle est d’autant plus palpable que les faits se sont déroulés dans la région genevoise. 

    Fanny Ardent, Journal de ma têteCertaines lectures sont dangereuses. C'est l'un des thèmes du dernier film d’Ursula MEIER du collectif Bande à part dont j’ai vu la programmation vendredi dernier et parlé dans l’Épisode 19 de mes carnets. Un élève (joué par l’insondable et attachant Kacey MOTTET-KLEIN) envoie son journal intime à sa prof de français (jouée par l'intemporelle et éthérée Fanny ARDANT), dans lequel il confesse le double parricide qu’il est sur le point de commettre.

    Tout au long de l’année, l’enseignante donne un atelier d’écriture, elle y encourage ses élèves à libérer leur imaginaire. Il faut oser coucher sur le papier les fantasmes les plus intimes. L’exercice est jouissif et totalement innocent du moment qu’il ne s’agit que d’une fiction, même si celle-ci est hantée par une passion noire ou un Œdipe parfaitement banal. Tuer le père pour protéger la mère puis tuer la mère pour qu’elle ne souffre pas d’être veuve. La logique est implacable, déconnectée de toute réalité comme une faille dans les cerveaux.

    Michael Moore, Bowling for Columbine

    L’enseignante de français (solitaire et sans famille) ne semble pas avoir perçu dans les premiers jets du journal intime de son élève, un possible passage à l’acte. S’établit alors une relation fantasmée fondée sur un malentendu. Lui pense qu’elle le comprendra le moment venu des révélations. Elle fait confiance et banalise l’ampleur de la prose prémonitoire. Une fois le crime commis, elle sera interrogée par un juge d’instruction (joué par le grandiose et colossal Jean-Philippe ÉCOFFEY) qui aimerait lui faire porter une part de responsabilité.

    Ursula MEIER écarte pourtant le lien de cause à effet entre fiction et réalité comme l’avait fait, en 2002, Michael MOORE lorsqu’il interrogeait les racines de la violence aux États-Unis et incluait le bowling, l’accès libre aux armes à feu et la musique de Marilyn MANSON parmi les causes de la tuerie de Columbine.

    Le film ambitieux d’Ursula MEIER semble bien plus porter sur la relation trouble entre un adolescent au point de chute, sur la crête, et une prof isolée dans un déni de réalité, égarée dans le monde imaginaire des livres. La relation tissée de non-dit transmet une complicité non avérée, des sous-entendus inaudibles où la parole se dissimule et se confond à l’écrit comme à l’écran. S'agit-il d'une relation amoureuse, peut-être maternelle et inconditionnelle car il faudra bien s'occuper de l'orphelin à sa sortie de prison ?Journal de ma tête, Kacey Mottet-Klein

    Ursula MEIER crée ainsi une subtile mise en abyme lorsqu’elle filme depuis l’enfance, son acteur fétiche dans Home (2008), puis dans L’Enfant d’en haut (2012) et Journal de ma tête (2018). L’ado qu'on a vu grandir à l'écran, a aujourd'hui 19 ans; il a un corps d’homme. Lorsque il s’entraîne avec l’arme militaire de son père et tire, ce n’est pas ses parents qu’il vise mais la caméra, « cette espèce de grosse araignée avec ses grandes pattes ». Nous devenons alors les témoins d'une exécution symbolique. C'est l’instant saisi sur l’affiche du film, l’arme est face à nous, le tir explose. Ce n’est pas ce geste-là qui fait basculer l’existence de l’ado de manière irréversible, non, c’est le geste répété, inconscient et automatique qui appelle désespérément à l'écoute des adultes, la main tendue, mais aussi au crime, comme si on ne pouvait manœuvrer un élève, ou un comédien, impunément.

    À voir absolument : Journal de ma tête d’Ursula MEIER, sera diffusé le 4 avril à 20h10 sur RTS Un.


     Ondes de choc par le collectif Bande à part

    Journal de ma tête d’Ursula MEIER (Épisode 20 des Carnets de CoraH)

    Prénom: Mathieu de Lionel BAIER

    La Vallée de Jean-Stéphane BRON (Épisode 19 des Carnets de CoraH)

    Sirius de Frédéric MERMOUD

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 19)

    Épisode 19 : Que cherchons-nous dans les images ? Ondes de choc et Bande à part !

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    Claude Lelouch a dit à propos du 7e art : « Le cinéma est fait pour tous ceux dont la curiosité est le plus grand défaut. » Je revendique cette déformation, comme une source qui coule en moi. La curiosité est un imaginaire en expansion, qui fouille bien au-delà des volets fermés et des apparences, les vies possibles de nos contemporains. Le cinéma me procure le plaisir clandestin de sonder l’opacité qui me rattache au monde, comme un flash thérapeutique ou un éclair de sens. Ne pourrais-je pas suivre l’évolution de mon caractère à travers les moments du cinéma qui m’ont le plus marquée ? Si Serge Tisseron dit vrai, certains livres, certaines peintures ou certaines images nous guérissent [1]. N’ai-je pas pleuré à maintes reprises, et déraisonnablement, à la fin de La Mélodie du bonheur, persuadée que la famille Trapp en traversant la frontière dans les alpes suisses pour fuir le nazisme, avait oublié par négligence un de ses sept enfants ? J’ai beau compter, je n’arrive jamais au nombre juste. Quand tous sont soulagés par l’heureuse issue, je pleure comme Madeleine aux pieds de la Croix. Le cinéma c’est le miracle qui donne à voir ce qui résiste et répare ce qui ne tue point.

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    Vendredi soir, j’ai eu la chance d’assiter à la projection des quatre films du collectif suisse « Bande à part » au Capitole, ce mythique cinéma de Lausanne, ville de mon enfance. Quatre réalisateurs se sont donné pour mission de travailler la thématique du fait divers sous le titre Ondes de choc : double parricide et lectures dangereuses (Ursula Meier), viols en série et sadique de Romont (Lionel Baier), vol de grosses cylindrées et traque dans les Alpes (Jean-Stéphane Bron), massacre collectif et Ordre du temple solaire (Frédéric Mermoud). Un souffle dynamique dans le paysage romand qui me réjouit.

     

    160211-1.jpgL’effet de loupe se porte pour moi sur le film de Jean-Stéphane Bron, La Vallée. Une histoire de petites frappes qui font des virées du côté de Genève pour y repérer de grosses cylindrées. Le cambriolage se passe mal, les jeunes sont repérés, la traque commence. L’un d’eux décide d’échapper à la police en abandonnant la voiture volée sur le côté de la route. La course se poursuit dans les bois, puis sur le flanc d’une montagne enneigée qui mène en France. Pour le jeune Lyonnais des banlieues, poursuivi par les policiers, les chasseurs et les montagnards, la déroute est éprouvante. Qui aurait pu imaginer se retrouver dans le climat glacial des sommets ? Sans l’aide de ses frères en humanité, il est difficile de survivre et d'atteindre la frontière. Son évasion est d'une profonde solitude. Son corps sombre sur l’immaculée neige a l’effet pour moi de la disparition du 7e enfant de la famille Trapp. Peut-être un jour saurai-je pourquoi ?

     

    À voir bientôt sur la RTS :

    Journal de ma tête d’Ursula MEIER

    Prénom: Mathieu de Lionel BAIER

    La Vallée de Jean-Stéphane BRON

    Sirius de Frédéric MERMOUD

    [1]. Serge Tisseron, Comment Hitchcock m’a guéri. Que cherchons-nous dans les images ? (Paris, Albin Michel, 2003).