Haines et amours de Régis Debray
par Jean-Michel Olivier
 Il y a à boire et à manger dans ces Modernes catacombes*, le dernier livre de Régis Debray, écrivain, essayiste, inventeur de la médiologie, cette science qui étudie les supports de transmission de message (codex, livre imprimé, toute-puissance du Web). L'auteur y ressemble des articles et des discours qu'il a tenus depuis vingt ans à diverses occasions. L'ensemble est donc un peu décousu, et académique. Mais c'est l'occasion, pour Debray, d'exprimer une fois encore ses admirations (Gary, Sartre, Semprun, Gracq) dans des textes d'une beauté pénétrante où il relie telle ou telle œuvre au courant de la grande Histoire en général, et de l'histoire littéraire en particulier.
Il y a à boire et à manger dans ces Modernes catacombes*, le dernier livre de Régis Debray, écrivain, essayiste, inventeur de la médiologie, cette science qui étudie les supports de transmission de message (codex, livre imprimé, toute-puissance du Web). L'auteur y ressemble des articles et des discours qu'il a tenus depuis vingt ans à diverses occasions. L'ensemble est donc un peu décousu, et académique. Mais c'est l'occasion, pour Debray, d'exprimer une fois encore ses admirations (Gary, Sartre, Semprun, Gracq) dans des textes d'une beauté pénétrante où il relie telle ou telle œuvre au courant de la grande Histoire en général, et de l'histoire littéraire en particulier.
Frère d'arme de Che Guevara, longtemps emprisonné en Bolivie, Debray n'a dû son salut qu'à l'intervention obstinée de Jean-Paul Sartre (et de quelques autres). Il reste marqué par l'existentialisme, mais ses amours vont au-delà, comme en deça. Au loin, il y a Chateaubriand, indépassable, qui revient souvent dans ce livre d'hommage à la littérature française. Plus près de nous, André Breton, Malraux, Michel Foucault. Debray paye à chaque fois sa dette. Rappelle ce qu'ils ont apporté à la littérature : non seulement une esthétique nouvelle, mais surtout une éthique. Pour Debray, en effet, il n'y a de bonne littérature que liée au combat pour la liberté. La plupart des auteurs dont il parle ont traversé la guerre. La Grande guerre ou la drôle de guerre. Le sang et les larmes ont nourri leurs ouvrages. De Gaulle en est la figure de proue, auquel Debray voue un culte fidèle.
Bien sûr, l'Europe ne connaît plus de grandes guerres depuis près de 70 ans.  Et donc, selon Debray, plus de grands écrivains non plus. Sans taureau, ni menace d'être encorné, plus de corrida ! Ce qui donne à la littérature contemporaine des enjeux plus futiles (circonstanciels ou purement esthétiques). Debray regrette presque les guerres d'antan, qui faisaient les héros et les grands écrivains. C'est son côté passéiste. Mais il n'a peut-être pas tort.
Et donc, selon Debray, plus de grands écrivains non plus. Sans taureau, ni menace d'être encorné, plus de corrida ! Ce qui donne à la littérature contemporaine des enjeux plus futiles (circonstanciels ou purement esthétiques). Debray regrette presque les guerres d'antan, qui faisaient les héros et les grands écrivains. C'est son côté passéiste. Mais il n'a peut-être pas tort.
Certains hommages sont remarquables (celui consacré à Marc Fumaroli ou à Albert Londres, par exemple). Les détestations sont moins convaincantqes. En particulier celle qui ouvre le lire, consacrée à Philippe Sollers. Debray reproche au roi Sollers de faire sans cesse le paon, d'occuper les médias pour se faire valoir et de retourner sa veste à la première occasion.  Ce n'est pas faux, bien sûr. Mais Sollers est aussi écrivain (plus de 70 livres!), romancier novateur, essayiste remarquable (plus de 3000 pages d'essais critiques). Voulant moucher Sollers, Debray ne prend même pas la peine de le citer, ce qui est tout de même assez curieux pour un esprit aussi subtil !
Ce n'est pas faux, bien sûr. Mais Sollers est aussi écrivain (plus de 70 livres!), romancier novateur, essayiste remarquable (plus de 3000 pages d'essais critiques). Voulant moucher Sollers, Debray ne prend même pas la peine de le citer, ce qui est tout de même assez curieux pour un esprit aussi subtil !
Il n'empêche : on apprend toujours beaucoup en lisant Devray : sur notre époque, sur la littérature, sur les modes et les manies de Paris, sur ce qui reste, encore et toujours, à écrire.

 Éblouissement, ensuite, d'un style unique dans la littérature française : ni relation de voyage au sens strict, ni récit purement imaginaire, ces deux livres nous proposent un tableau sensuel des impressions laissées par les lieux, les personnes, les événements rencontrés. L'écriture, déjà saluée par Malraux en 1974, est flamboyante, pleine de couleurs, d'odeurs, de saveurs insolites. Un éblouissement.
Éblouissement, ensuite, d'un style unique dans la littérature française : ni relation de voyage au sens strict, ni récit purement imaginaire, ces deux livres nous proposent un tableau sensuel des impressions laissées par les lieux, les personnes, les événements rencontrés. L'écriture, déjà saluée par Malraux en 1974, est flamboyante, pleine de couleurs, d'odeurs, de saveurs insolites. Un éblouissement. Muriel Cerf est décédée d'un cancer il y a dix jours. Aucun journal, en Suisse, n'en a parlé. Injustice scandaleuse, mais qui n'étonne personne, quand on connaît la presse de ce pays. Pourtant, elle a donné à la littérature française ses plus belles pages et incité de nombreux écrivains à partir sur ses traces. Elle a publié une trentaine de livres, essais et romans. Parmi les plus connus, citons Une passion (1981), hommage à Belle du Seigneur, d'Albert Cohen, ou encore Ils ont tué Vénus Ladouceur (éditions du Rocher, 2000).
Muriel Cerf est décédée d'un cancer il y a dix jours. Aucun journal, en Suisse, n'en a parlé. Injustice scandaleuse, mais qui n'étonne personne, quand on connaît la presse de ce pays. Pourtant, elle a donné à la littérature française ses plus belles pages et incité de nombreux écrivains à partir sur ses traces. Elle a publié une trentaine de livres, essais et romans. Parmi les plus connus, citons Une passion (1981), hommage à Belle du Seigneur, d'Albert Cohen, ou encore Ils ont tué Vénus Ladouceur (éditions du Rocher, 2000). Les Himalayas, on les sent près, sans les voir. L'air de la nuit nous saoule de bouffées d'herbe humide. Les temples luisent sous la lune, recourbent les pointes dorées de leurs triples étages au milieu d'une mer de tuiles. De Katmandou, on ne distingue que le forme des toits qui lui donne déjà l'aspect d'une vraie cité asiatique, aussi différente des cités indiennes que des villes géantes d'Amérique. On respire l'haleine qui monte du fleuve proche, les parfums de santal brûlé dans les rues, le souffle glacé de la montagne, en écoutant les cloches des temples, les klaxons des voitures, les tintements des bicyclettes, imaginant le théâtre grouillant derrière les rideaux de la nuit; allongées sur la terrasse dans le châle de Coulino, ouvrant des yeux énormes, cherchant à deviner ce qui se passe en bas, on prend le pouls de cette ville nouvelle, on résiste à l'envie que l'on a d'y plonger, on préfère l'écouter, la respirer, la rêver, la plus belle la plus inquiétante, la plus légendaire, le décor le plus fou pour des dieux déguisés en hommes, de toute une mythologie vivante. Le taureau de Nandin doit crotter sur la place du marché, Krishna faire du marché noir, Jésus et Judas se balader dans les sentiers en robe blanche, le meilleur haschisch du monde pousser dans des pots, banal comme un géranium en France. Coulino, on en plantera un dans le jardin de notre maison, on le laissera grandir jusqu'au ciel et on grimpera dessus pour atteindre le sommet de L'Himalchuli et y planter un drapeau noir. Coulino ?
Les Himalayas, on les sent près, sans les voir. L'air de la nuit nous saoule de bouffées d'herbe humide. Les temples luisent sous la lune, recourbent les pointes dorées de leurs triples étages au milieu d'une mer de tuiles. De Katmandou, on ne distingue que le forme des toits qui lui donne déjà l'aspect d'une vraie cité asiatique, aussi différente des cités indiennes que des villes géantes d'Amérique. On respire l'haleine qui monte du fleuve proche, les parfums de santal brûlé dans les rues, le souffle glacé de la montagne, en écoutant les cloches des temples, les klaxons des voitures, les tintements des bicyclettes, imaginant le théâtre grouillant derrière les rideaux de la nuit; allongées sur la terrasse dans le châle de Coulino, ouvrant des yeux énormes, cherchant à deviner ce qui se passe en bas, on prend le pouls de cette ville nouvelle, on résiste à l'envie que l'on a d'y plonger, on préfère l'écouter, la respirer, la rêver, la plus belle la plus inquiétante, la plus légendaire, le décor le plus fou pour des dieux déguisés en hommes, de toute une mythologie vivante. Le taureau de Nandin doit crotter sur la place du marché, Krishna faire du marché noir, Jésus et Judas se balader dans les sentiers en robe blanche, le meilleur haschisch du monde pousser dans des pots, banal comme un géranium en France. Coulino, on en plantera un dans le jardin de notre maison, on le laissera grandir jusqu'au ciel et on grimpera dessus pour atteindre le sommet de L'Himalchuli et y planter un drapeau noir. Coulino ?