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mélanie chappuis

  • Mère éternelle

    par Jean-Michel Olivier

    th.jpegDans nos mythologies, la femme est toujours double. Elle a le visage d’Ève, première en date, tentatrice au serpent, initiatrice des des plaisirs défendus. La Femme, par excellence. Mais elle a également le visage de Marie, jeune vierge pas si effarouchée, qui épouse Joseph, un homme qui pourrait être son père, avant de donner naissance au Christ sauveur, et d’accomplir une mission qui la dépasse. Marie, la Mère par excellence.

     Dans un livre étonnant d’émotion, de retenue et de sincérité, une jeune romancière romande, Mélanie Chappuis, revient sur cette figure centrale de notre imaginaire et de nos vies. Si le père, pour l’enfant, demeure toujours une question (Joseph le sait très bien, lui qui accueille, dans sa famille déjà nombreuse, l’enfant d’un autre), la mère, au demeurant, n’est jamais une énigme. Et pourtant ! En se glissant dans la peau de Maryam, sur le point d’accoucher, Mélanie Chappuis nous fait revivre, charnellement, les derniers jours de sa grossesse, la mise au monde magique et les premiers instants de tendresse partagée avec cet enfant-roi qu’elle a porté en elle neuf mois durant et qui, bientôt, par une volonté supérieure, va lui être enlevé. « C’est un fils, a dit l’ange. Je vais pouvoir m’inventer en tant que mère. »

     Tout le mystère de la maternité est là : c’est l’enfant qui permet à la femme de s’inventer en tant que mère. C’est une chance et un risque. DownloadedFile.jpegMélanie Chappuis décrit à merveille cet amour inconditionnel, d’âme et de corps, qui est un désir de fusion. « Nous ne formons qu’un tant que tu bois mon sein, tant que tu dors près de moi. » Une chance unique, pour Maryam, d’échapper à sa famille et de conquérir sa liberté. Mais un risque aussi. Cet enfant de l’amour, conçu par le beau Barabas, puis adopté par le vieux Joseph, sa tête est bientôt mise à prix par un décret du roi Hérode qui veut faire assassiner tous les nouveaux-nés du pays. Car des mages lui ont dit que parmi ces enfants se cachait probablement un futur dieu…

     Peu de jours après l’accouchement, Maryam est obligée de fuir. C’est le retour en Égypte, d’où les Juifs sont partis quelques centaines d’années plus tôt. Mélanie Chappuis nous fait revivre cet exil, la nouvelle vie précaire qui commence pour Maryam et son enfant appelé à devenir, modestement, le fils de Dieu.

     64450_535113613194958_1764780251_n.jpgÀ la fusion charnelle des premiers mois succède un lent détachement. Dans son roman au titre provocateur, Maculée conception*, Mélanie Chappuis fait la part belle à l’amour fusionnel. Mais c’est aussi le récit d’une dépossession. Si la mère n’appartient pas à l’enfant, l’inverse est vrai aussi. Tel est le prix de la liberté. D’autant que cet enfant n’est pas n’importe qui ! Et pas seulement celui de Maryam. Il appartient à Dieu et à son peuple. Il vient sauver le monde. Même si personne ne le sait, ses jours, déjà, sont comptés sur la terre. Maryam, mère charnelle et éternelle, ignore encore qu’elle va lui survivre.


     * Mélanie Chappuis, Maculée conception, Éditions Luce Wilquin, 2013.

  • Passion glacée

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    par Jean-Michel Olivier

    Avec Des baisers froids comme la lune*, Mélanie Chappuis (née à Bonn en 1976, mais vivant à Lausanne) creuse et interroge la passion amoureuse qui faisait déjà la matière de son premier roman, Frida, paru il y a deux ans. Ce second livre est comme l'image inversée du premier : ce n'est plus une femme amoureuse qui attend que son amant marié quitte sa femme, mais une femme mariée qui s'éprend d'un homme plus âgé, libre (ou presque). Lequel attend, sans trop  d'impatience, que sa maîtresse se libère de ses liens conjugaux.

    Ce qui retient le lecteur, dans ce second roman, c'est l'obstination à creuser la passion amoureuse, à décliner ses états d'âme, à déchiffrer ses diverses étapes. Construit comme un monologue croisé, qui fait entendre en alternance la voix de la femme et de l'homme, le livre de Mélanie Chappuis essaie de suivre à la trace (et de mettre en mots) le feu qui embrase la passion amoureuse. On pense parfois à Belle du Seigneur d'Albert Cohen ou Anna Karénine de Tolstoï. D'abord parce que l'héroïne du roman s'appelle Anna, ensuite parce que parce qu'il s'agit, dans les trois livres, de tenir le registre des désordres amoureux, depuis la piqûre du désir, jusqu'à sa réalisation, puis le subtil engrenage d'attentes et de frustrations qui se met en place. S'installe, alors, entre les deux amants, un jeu du chat et de la souris qui va les mener, inéluctablement, au terme de leur histoire.

    L'homme a cinquante-cinq ans. Il s'appelle Vincent. Il dirige un grand quotidien romand. La femme s'appelle Anna. Elle a 28 ans. Elle est mariée à Victor, le demi-frère de Vincent. Ce qu'il aime chez elle, c'est qu'elle est une « femme d'ailleurs », différente de toutes celles qu'il a connues. Ce qu'elle aime chez lui, c'est à la fois sa liberté et son pouvoir. Sa cruauté aussi, peut-être. Entre les deux, dès le début, on sent un décalage, qui ne fera que se creuser. L'amour est-il une illusion ? La passion amoureuse est-elle forcément (auto)destructrice ? C'est ce que semble suggérer Mélanie Chappuis dans un roman qui mêle à plaisir le chaud et le froid. Alternativement, puis successivement. Le style est direct, comme dans Frida, rapide, sans fioriture. Il essaie de saisir au plus près ce feu obscur qui dévore les amants. creuse en chacun le manque douloureux de l'autre et finit par se transformer en glace. Il y a des scènes fortes, et quelques surprises (en particulier, une utilisation toute à fait singulière de la crème Atrix !). Autant dire qu'un lecteur — amoureux ou non — y trouvera matière à émotions, comme à réflexions.

    * Mélanie Chappuis, Des baisers froids comme la lune, roman, Bernard Campiche, 2010.