BB, un mythe français (Marie Céhère)
par Jean-Michel Olivier
Le Général de Gaulle disait qu'il n'avait qu'un seul rival sur la scène internationale : le reporter Tintin. C'était faire peu de cas de Brigitte Bardot, une icône autrement plus encombrante, car universelle et vénérée. Vénéneuse, même. C'est ce mythe qu'interroge Marie Céhère dans l'excellent livre qu'elle consacre à cette fille de bourgeois qui rêvait d'être danseuse avant d'être repérée par un directeur de casting…
Car, bien sûr, rien ne prédisposait BB à faire du cinéma : une petite vie tranquille, des parents qu'elle vouvoyait, des cours de danse, une sœur plus douée qu'elle… Personne ne se souvient des premiers films de BB — et pour cause. Elle n'y fait qu'une apparition timide, y murmure une ou deux répliques et ne crève jamais l'écran, comme on dit. Pourtant, sur la pellicule, quelque chose se passe. Un frémissement. Un éclair de lumière. Et cette bourgeoise aux goûts très « middle class » enchaîne les films et enchante les hommes qu'elle côtoie. Les acteurs (Samy Frey, Jean-Louis Trintignant) tombent comme des mouches. Et certains réalisateurs en font leur égérie (Roger Vadim, Louis Malle, Jean-Luc Godart). Sa carrière est lancée. Le mythe est en voie de construction. Pourtant, BB y semble indifférente. Ou plutôt elle fait tout pour demeurer une femme « normale », proche des Français, peu soucieuse de son aspect glamour (elle reçoit les journalistes en jeans, les cheveux dénoués et les pieds nus).
Les mythes ont la peau dure : ils naissent à l'improviste (qui aurait pu prédire une carrière fulgurante à cette brunette devenue blonde et assez médiocre comédienne ?), se développent, se ramifient, pour devenir, avec le temps, une parole et une image que l'on partage. Il suffira de quelques films (Et Dieu… créa la femme, Le Mépris, Une Femme est une femme) pour provoquer le scandale et assurer l'avenir du mythe. Ensuite, même quand BB mettra un terme à sa carrière, elle demeurera la femme la plus populaire de France, au point d'être statufiée dans toutes les Mairies de la République sous le traits de Marianne.
Marie Céhère (photo de droite) déplie le mythe avec finesse (et tendresse). Elle revisite la carrière de BB, film après film, éclaire les zones d'ombre et donne la parole à quelques témoins essentiels. Elle décortique, en particulier, le rapport difficile (paradoxal) que BB a entretenu avec le cinéma. Et sa manière, libre et insouciante, de vivre son statut de star (Edgar Morin avait débroussaillé le terrain) en inventant une nouvelle « femme française », vive, drôle, mutine, moderne, suivant toujours les mouvements de son cœur (car le cœur a toujours raison).
Même ces dernières années, alors que le cinéma n'est plus qu'un souvenir, dans ses combats pour la cause animale ou ses déclarations quelquefois bleu marine, BB reste un mythe indépassable, un éclair de bonheur, un éclat de rire, que Marie Céhère restitue parfaitement dans son petit essai qui est d'abord un livre d'amour et d'hommage.
* Marie Céhère, L'art de déplaire, Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2016.