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Dans la ville morte (Bernadette Richard)

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par Jean-Michel Olivier

Bernadette Richard est une grande voyageuse. Elle a sillonné les routes du monde avant de revenir à La Chaux-de-Fonds, où elle est née en 1951. Elle a déménagé 58 fois et est impatiente de préparer son 59è déménagement. Elle appartient à cette famille d'écrivains suisses (Cendrars, Bouvier, Ella Maillard) qui ont la bougeotte.

Son dernier livre nous emmène dans une zone interdite : celle de Tchernobyl, qui qui restera dans les mémoires comme la première et la plus importante catastrophe nucléaire de l'histoire. images-2.jpeg
Extrêmement bien documenté, Dernier concert à Pripyat*, un roman bref et nerveux, écrit sous forme de chronique, mêle souvenirs personnels (l'auteur a visité les lieux en 2013) et réflexions sur le monde post-apocalyptique. Car Tchernobyl a bien marqué la fin d'un monde (avril 1986) à la fois politique, écologique et économique. On se souvient que la catastrophe (l'explosion du 4è réacteur de la centrale nucléaire) a d'abord été occultée, puis minimisée, avant de disparaître des radars médiatiques. Mitterrand ne disait-il pas que « les nuages de Tchernobyl se sont arrêtés à la frontière française » ? 

S'étant rendue sur place, Bernadette Richard mène l'enquête, pas seulement comme journaliste, mais surtout comme romancière. Elle nous livre une chronique qui pourrait être une fable contemporaine. Que faire après la fin du monde ? Comment continuer à vivre malgré tout ? ecole_pripyat_Bernadette_Richard_Miralles-768x576.jpgLes personnages de son Dernier concert à Pripyat, tous nés dans la zone et attachés à cette terre contaminée qui est leur mère patrie, décident d'y retourner. Pour explorer leur ville morte. Pour aider ceux qui y sont restés. Pour montrer que la vie et la musique auront toujours le dernier mot. Ils ne sont pas les seuls car, dans la ville abandonnée et interdite d'accès, une vie clandestine s'est développée, avec ses irréductibles, ses pilleurs de ruines, ses nostalgiques du passé. C'est une nouvelle communauté de résistants que Bernadette Richard décrit avec tendresse et brio. Bien sûr, la mort rôde à chaque page. Invisible. Menaçante. Tout, ou presque, est irradié à Pripyat, les êtres comme les objets, la terre comme les arbres. artstreet_tchernobyl_Bernadette_Richard_Miralles-768x512.jpgC'est une folie que de vouloir y habiter ou y retourner. Mais les personnages de Bernadette Richard sont tous fous bien sûr — ce qui les rend touchants et intéressants. Chacun essaie de mener sa barque loin du chaudron maudit de la centrale (qu'on a recouvert d'un immense sarcophage de béton qui se fissure avec le temps). Mais chacun y retourne, parce qu'on retourne toujours sur les lieux de sa naissance, plein de questions, de désirs et de souvenirs.

Et ce dernier concert, dans la ville morte, a valeur de symbole : malgré la catastrophe, la tristesse de ces lieux dévastés, il est possible de vivre encore et de jouer de la musique, de se réunir et de faire la fête jusqu'aux premières lueurs du jour. Après l'apocalypse, la vie reprend.

Comme un ultime pied de nez à la mort. 

* Bernadette Richard, Dernier concert à Pripyat, roman, l'Âge d'Homme, 2020.

** Les deux dernières photos illustrant l'article sont des photos de © Bernadette Richard.

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