Rhinocérite
Par Pierre Béguin
«Rien n’est aussi dangereux que la certitude d’avoir raison»
(François Jacob, médecin et biologiste français)
Le bon sens commun et la raison subissent depuis quelques années une période d’hystéries galopantes qui, à l’image de l’inquisition, multiplie les chasses aux sorcières, les anathèmes, les bûchers, allant, par exemple, jusqu’à remettre au goût du jour les indulgences en incitant le citoyen qui veut se donner bonne conscience à payer volontairement une taxe CO2 pour acheter sa rédemption en termes de bilan soi-disant écologiquement neutre.
Comment des dizaines de millions de personnes prétendument saines d’esprit peuvent-elles alimenter de tels délires?
Cette question lancinante me renvoie sans cesse à cette pièce d’Eugène Ionesco, Rhinocéros (1960), qui décrit la transformation inéluctable de toute une société composée d’individus libres en une masse grégaire, instinctive et brutale, passant de la diversité humaine à l’uniformité animale.
Ainsi le premier acte montre-t-il des personnages occupés à parler et à échanger des signes innombrables. La parole humaine domine alors sous toutes ses formes: conversations amicales, disputes, démonstrations logiques, débats contradictoires, cris, langage affectif…
L’apparition des rhinocéros entraîne la disparition progressive de cette diversité au profit d’une pauvreté langagière réduite, à la fin de la pièce, au monologue de Bérenger – l’unique résistant ayant gardé forme humaine – et aux barrissements hégémoniques des monstres, dans ce qui n’est même plus un dialogue de sourds.
Parmi tous les symptômes de rhinocérite qui annoncent la transformation d’un personnage en pachyderme bicornu, s’il est d’Afrique – la pièce identifie cette gigantesque métamorphose à une forme d’épidémie (La Peste de Camus fut publiée 13 ans plus tôt) – figure en première ligne les attaques personnelles: le discours totalitaire n’argumente pas, il dévalue l’autre dans sa personne pour mieux déprécier ses arguments, n’en ayant en réalité aucun de fiable à lui opposer. Ainsi l’unique résistant Bérenger, le dérangé, se voit-il systématiquement renvoyé à sa tendance marquée à l’alcoolisme chaque fois qu’il essaye d’argumenter.
Visionnaire Ionesco! Près de soixante ans plus tard, son allégorie s’incarne dans des rôles bien déterminés. Aujourd’hui, il ne fait pas bon être un mâle blanc, hétéro, de surcroît climato-sceptique. Si encore on pouvait faire admettre l’idée qu’on peut être très préoccupé d’environnement tout en doutant du bien-fondé des théories réchauffistes, cela sans se voir traité de sale négationniste à la solde d’Exxon Mobile… Mais quand une vague idéologique est parvenue à faire croire, sous couvert de science, que le passage dans l’atmosphère de 3 à 4 particules de CO2 sur 10’000* depuis le début de l’ère industriel était de nature à modifier radicalement le climat, toute nuance relève d’une mission impossible – Il est vrai que cette «idéologie» permet, de manière très pragmatique, de lever des taxes CO2 visant à compenser les cadeaux fiscaux accordés aux entreprises, ceci expliquant cela. De même, peut-on encore souligner les visées hégémoniques de certains dogmes qui nient radicalement les réalités les plus élémentaires sans se voir taxer de facto de vieux macho réactionnaire aigri à haut potentiel de prédation…
Restent-ils dans cette effervescence de croyances délirantes des penseurs, des scientifiques, des politiciens, des journalistes, des professeurs prêts à élever les digues de la raison et du bon sens contre ce raz-de-marée idéologique? Ou n’existe-t-il plus que des hordes de rhinocéros illustrant à la perfection, et sans même en avoir conscience, la loi de Brandolini*?
Certes, à l’image de n’importe quelle mode, ces délires vont rapidement s’étioler, et celles et ceux qui les auront activement alimentés ne se souviendront même plus d’y avoir adhéré. A l’image de l’hystérie «Balance ton porc» qui s’est essoufflée depuis que ses têtes (non) pensantes ont été prises en flagrant délit de tartuferie. Il n’empêche, tout cyclone laisse sur son passage des stigmates, pour certains indélébiles. En attendant le prochain cyclone…
Bérenger, mon ami, mon frère! Moi qui, pourtant, ne bois pratiquement pas une goutte d’alcool, je te comprends si bien…
La pire des bêtises est toujours celle des moutons… ou des rhinocéros.
* «Le CO2 est un gaz présent dans l’atmosphère à l’état de traces, en quantité minuscule. Durant les 150 dernières années, sa concentration est passée de 3 molécules pour dix-mille molécules d’air à 4 molécules pour dix-mille molécules d’air, soit une molécule de CO2 de plus pour 10’000 molécules d’air, une sur dix-mille.» (François Gervais, professeur émérite de physique et de science des matériaux à l'Université de Tours, médaillé du CNRS en thermodynamique)
* Du programmeur italien Alberto Brandolini, la loi de Brandolini est un aphorisme soutenant l’idée de l’asymétrie du bullshit: «la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter du bullshit est un degré de magnitude plus grande que celle nécessaire pour le produire».
Autrement dit, affirmez n’importe quoi sur les réseaux sociaux et sa répétition se métamorphosera en vérité difficile à contester, à plus forte raison si les médias et les politiques s’en font l’écho... et si des adolescents la répercutent en hurlant qu’on leur a volé leur jeunesse.
De la rhinocérite, je vous dis!
Commentaires
Un évènement récent illustre parfaitement votre propos lucide et courageux. Il s’agit de la conférence d’Aurélien Barrau à l’UNIL le 3 octobre dernier: https://www.youtube.com/watch?v=8Lhl6zE30z4&feature=youtu.be
Regarder juste une minute l’orateur et aussi le podium et la salle. Aurélien Barrau annonce l’apocalypse comme les collapsologues à la mode. On peut admettre que cette position existe et soit défendue. Mais ce qui choque c’est l’absence de débat et de diversité d’opinion. Dans l’université même. Particulièrement effrayant : le podium, avec notamment Madame la rectrice, et Jacques Dubochet, comme une cour en allégeance à son gourou-roi. Et non moins inquiétant : le suivisme de la salle, en complète béatitude.
La liberté de pensée et une saine pratique de la démarche scientifique existent-elles encore à l’UNIL ?
Merci à Pierre Béguin de prendre le contre-pied de beaucoup de dérives actuelles de la rationalité.
Merci Monsieur Dupont de vos propos. Et puisque vous citez la conférence d'Aurélien Barrau à L'UNIL, que ceux qui veulent honnêtement se renseigner sur le sujet du réchauffement climatique prennent la peine d'écouter cette conférence: M. Barrau, pourtant grand gourou du réchauffement climatique, annonce clairement que le CO2 n'y est absolument pour rien. Même les plus ardents défenseurs du réchauffisme le disent, et pourtant on continue de défiler en accusant le CO2 (et de lever des taxes, bien entendu). L'hystérie rend sourd, con et fermé à tout argument.
Concernant les référence d'un incompétent
https://mrmondialisation.org/francois-gervais-limposture-climatosceptique-a-la-mode/
https://mrmondialisation.org/francois-gervais-limposture-climatosceptique-a-la-mode/
Merci Motus d’illustrer exactement ce que je dénonce : l’article auquel vous me renvoyez (tout comme votre bref commentaire qui introduit la référence d’ailleurs) s’attaque aux personnes, non aux idées. Il liquide V. Courtillod, académicien «payé par les énergies fossiles» et F. Gervais, traité simplement de menteur. On disqualifie les personnes au lieu de répondre à leurs arguments, comme tous les gens du GIEC d’ailleurs qui refusent les débats en diabolisant leurs contradicteurs. A-t-on traité Einstein de minable employé des postes quand il reléguait LA SCIENCE triomphante de Newton à n’être plus qu’un cas limite de sa Relativité? A-t-on déjà fait défiler des gamins dans les rues pour défendre des théories qui flirtent avec des dogmes? Jamais! Ce sont là des signes de faiblesse ou d’absence d’arguments.
Concernant le fait que Gervais ne serait pas un expert du climat, on oublie de préciser que, jusqu’à tout récemment, personne n’était climatologue, ou simplement se prétendait tel, tant la climatologie était inexistante ou confidentielle. Elle intéressait surtout l’agriculture et était pratiquée par des météorologues. D’ailleurs, certains confondent maintenant allègrement «conditions climatiques» avec «conditions météorologiques», ce qui veut tout dire. Quant à la formation des principaux tenants du réchauffisme, je pourrais vous envoyer un document qui en liste les références et vous comprendrez que les experts ne sont pas forcément là où on le croit.
D’autre part, Gervais n’a jamais fait du coût de la transition un argument pour nier des éléments scientifiques. Si vous avez lu ses deux livres, ce dont je doute, vous constaterez que le problème des coûts est évoqué dans un chapitre en soi et indépendamment des questions de sciences.
Enfin, puisqu’on cite Bréon en exemple, c’est lui, le collapsologue, qui affirmé que la transition énergétique exigée par la catastrophe à venir s’opposait en tout à la liberté individuelle et à la démocratie. Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, entre un soi-disant menteur et un véritable dictateur, mon choix est vite fait.
Encore merci!
Le réchauffisme en effet permet de lever des taxes, les gilets jaunes sont d'ailleurs le signe que tout le monde n'est pas dupe...
Mais cette doctrine officielle a encore au moins deux autres raisons d'être:
1. En parlant de CO2, on évite de parler des réels scandales en matière d'écologie, à commencer par l'état de plus en plus alarmant des océans, de véritables poubelles dans lesquelles toute vie devrait disparaître à moyen terme (cf le "continent de plastique").
2. On canalise sur une cause bien précise la colère et l'instinct de justice, notamment de la jeunesse, qui du coup ne s'intéresse pas ou plus par exemple à la répartition invraisemblablement inégalitaire des richesses. tant que ces clowns luttent contre le CO2, on peut continuer d'amasser. On peut parler d'un gigantesque contre-feu.
Quand on lui montre la lune, l'imbécile regarde le doigt. Quand on lui montre la surpopulation humaine, l'imbécile regarde le réchauffement climatique. Et oublie la production agricole complétement dépendante des pesticides (qu'est-ce qu'on va manger quand ils seront interdits et que les ravageurs auront ravagé ?), l'effondrement de notre système de santé (il suffit de débarquer en Suisse pour avoir droit à être hospitalisé et traité pour sa maladie grave, selon ce que j'ai entendu ce matin à la radio soviétique nationale - interview de Beatrice Schaad - ), la paralysie de nos voies de circulation, la dégradation générale de notre environnement, y compris par des jeunes issus de l'immigration, trop heureux de jeter leurs déchets dans les champs parce qu'ils ont vu que cela nous dérangeait fortement, le bétonnage généralisé pour le profit des mafias au pouvoir, etc, etc...
"l'effondrement de notre système de santé (il suffit de débarquer en Suisse pour avoir droit à être hospitalisé et traité pour sa maladie grave, selon ce que j'ai entendu ce matin à la radio soviétique nationale"
Le 20 minutes relate la même histoire de ces patients Géorgiens youyou le titre "De curieux touristes profitent de l'hôpital".
Tous les autochtones qui doivent se battre pour se faire rembourser certains soins, ou qui se voient opposer tout simplement un refus, doivent se dire que "profitent des contribuables suisses" aurait été plus approprié.