Eric Neuhoff, Prix Renaudot essai 2019
par Jean-Michel Olivier
Le cinéma a toujours été un plaisir solitaire, mais un plaisir solitaire collectif. On y allait le samedi soir en famille ou dans l'après-midi avec son amoureuse. Les salles étaient pleines. Elles rassemblaient une communauté de solitaires (et de silencieux). Elles ne sentaient pas le pop-corn. On ne vous assignait pas une place numérotée…
Et chaque semaine, il y avait un nouveau chef-d'œuvre. Un spasme d'émotion.
Le nouveau Fellini. Le nouveau Truffaut. Le nouveau Woody Allen. Le nouveau Sautet ! Le nouveau Godard ! Le nouveau Kubrick ! Quelle époque !
Oui, mais ça c'était autrefois, quand le cinéma (français) était encore vivant.
Aujourd'hui, à l'époque des Ch'tis et des Tuche 3, qu'en est-il des jeunes réalisateurs ? « Cette génération a une fâcheuse tendance à insister sur le côté emmerdant. Quelque chose a été détruit au royaume du 7ème art. Comme ces réalisateurs sont compassés, hésitants, maladroits ! Ce sont des cérébraux. Ils se tiennent le front entre les mains. Comme ils souffrent ! On ne se doute pas du mal qu'ils se donnent. Évidemment : ils ne sont pas faits pour ça. »
Dans son dernier pamphlet, (Très) cher cinéma français*, le journaliste et écrivain Éric Neuhoff n'y va pas avec le dos de la cuillère. Et il a bien raison.
« Leur but devrait être de mettre le cinéma à feu et à sang. Mais non, ils rêvent d'avoir la couvertures des Inrocks. Ce sont de grands sensibles, des écorchés vifs. Il ne faut pas compter sur eux pour nous dévoiler de grands pans mystérieux d'un monde inconnu. Tout cela ne semble pas fait pour durer. Sous nos yeux, l'art déguerpit des écrans sans demander son reste. Nous assistons, impuissants, à cette désertion. Grosses comédies, drames psychologiques raplapla, polars verbeux, voilà le programme. »
Où sont passés les Trintignant, les Maurice Ronet, les Belmondo ? Et, du côté des dames, Johanna Shimkus, Jeanne Moreau, BB ? Il nous reste, c'est vrai, Catherine Deneuve et Isabelle Huppert (Neuhoff lui taille un costard de première!). Mais où sont les garces irrésistibles et fêlées d'autrefois (Garbo, Dietrich, Betty Davis, Marilyn) ?
Pour Éric Neuhoff, le cinéma, c'était bien mieux avant. On peut difficilement le contredire. Qui se souvient du nom d'un réalisateur français d'aujourd'hui ? Personne. Les acteurs, comme les réalisateurs, sont devenus interchangeables.
« De profundis le cinéma français. On ne peut même pas lui accoler le doux, le beau nom de divertissement. Il était un art forain, il s'est transformé en cours du soir. On y bâille ferme. La distraction est bannie. Rigolos, s'abstenir. »
On le voit : Neuhoff est drôle, excessif, injuste. Son livre est un régal de cruauté. Aucun jeune cinéaste ne trouve grâce à ses yeux.
Aucun ? Non. Il reste Arnaud Desplechin, le génial réalisateur de Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle), ou encore Rois et Reine, ou encore Conte d'hiver. Ou, dernièrement, Roubaix, une lumière, un des plus grands films que j'ai vus cette année. Neuhoff sauve Desplechin du carnage. Et il a bien raison. Avec lui, le cinéma retrouve ses lettres de noblesse, surprend, bouleverse. (Photo : Arnaud Deplechin avec les deux héroïnes de son film, Léa Seydoux et Sara Forestier)
Bref, il faut lire ce livre décapant et bienvenu, qui dresse une état des lieux assez sombre du cinéma français, le cinéma le plus subventionné au monde, envahi, désormais, par les « faits de société », les modes vite démodées, les scénarios faciles et les dialogues débiles.
Il est important de savoir que cela n'a pas toujours été comme ça!
* Éric Neuhoff, (Très) cher cinéma français, Albin Michel, 2019.
Commentaires
Les jurés du Renaudot ont couronné l'insolence d'un cinéphile exigeant servie par une plume élégante. Un pamphlet salutaire !