Les Carnets de CoraH (Épisode 41)
Épisode 41 : « En route, le mieux c’est de se perdre. Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors, mais alors seulement, que le voyage commence. » Nicolas BOUVIER
Je n’ai pas tant le pied aérien si bien que voler au-dessus des nuages ne me réjouit pas vraiment. Je me plonge alors dans des rituels rassurants que proposent les vols de longue distance : s’enrouler dans une couverture, mettre les écouteurs et zapper les chaînes de musique et de cinéma, attendre le plateau repas en observant du coin de l’œil le plan du vol où s’inscrivent en direct les kilomètres parcourus (16 par minute !) Il suffit de passer de longues heures suspendus dans une capsule volante pour avoir l’impression de traverser des frontières aussi bien inattendues que réelles. S’ouvre alors un passage hors du temps vers le paysage rêvé. Que vais-je découvrir là-bas ? Mes attentes seront-elles comblées par l’évidente beauté des lieux et de ses habitants ? Y aura-t-il un peu d’épaisseur dans ce regard ravi ou bien l’œil de masse ne peut-il échapper aux clichés de surface ? Faudra-t-il s’imprégner jusqu’à l’os pour que l’expérience balinaise m'écarte de ma tendance naturelle à l’habitude et à l’ennui ? Arriverais-je à gratter le vernis, sonder ce qui peut jaillir de troublant ou d’effrayant sous le masque des apparences. L’île grouille d’esprits.
Au loin le volcan Agung est en activité. L’aéroport de Denpasar a été fermé vendredi dernier pendant quelques heures. Rien d’inquiétant selon les habitants de l’île, l’éruption n’était que phréatique, une brume de vapeur jaillissante alors que la lave frémit dans les entrailles. C’est la première image de ce voyage encore imaginaire que je retiens : la sensualité de l’île éruptive.
Si mon désir de dépaysement est quelque peu flou, l’objectif de ce voyage est quant à lui bien réel : il s’agit de retourner sur les traces de l’artiste Marc Jurt qui fut enseignant d'art au Collège de Saussure à Genève. Il a toujours souhaité associer voyage et création. C’est à Ubud qu’il a installé son atelier de peinture et gravure au début des années 80. C’est lui qui va guider nos pas. Marc Jurt est décédé en 2006, beaucoup trop tôt, il avait tant de choses à exprimer encore. Ce fut un ami et un grand homme comme on dirait de quelqu’un qui nous devance dans sa saisie du monde et de son opacité.
Je mets enfin le pied à terre...
Georgia O'KEEFFE, Sky Above Clouds IV, 1965.
Theo MEIER, Landscape with Gunung Agung, Bali, 1948.
Photographie de Marc JURT lors d’un de ses voyages.