Les Carnets de CoraH (Épisode 22)
Épisode 22 : Flux et reflux !
Hier encore je pensais que la lecture des livres et du monde était une activité puissante opérant une transformation plus ou moins profonde sur l’esprit et le corps. Aujourd’hui, une guérisseuse, point encombrée par des discours vains, m’a sommée tout de go : « Bougez-vous ! Marchez ! Action ! » Pas d’analyse cérébrale ici, pas de psychanalyse sur canapé, ni de récit et de mère mythe, ni de prédateur faisant de moi une victime immuable. Il suffit de ces trois électrochocs pour que j’entreprisse une pratique fondée sur des acquis ancestraux.
Bougez-vous !
Debout, les genoux légèrement pliés, la nuque ankylosée, le regard fixé au loin, j’inspire, j’expire. Mes pieds nus sur le tapis mordoré de son cabinet s’enfoncent dans le sol avant que je n’y lise des plages de sable doux. Des picotements aigus, aux extrêmités des phalanges d’abord, une impression de me tenir clouée sur place. J’ai la sensation que mes os s’enfoncent dans la terre, jusqu’aux péronés, lourdement, comme raidie dans les sables mouvants. Ma douleur immobile atteint un 8 sur 10.
Marchez !
J’avance vers la mer, avec quelque raideur d’abord, crescendo. Puis j’entame une marche progressive pour enfin surfer sur la vague d’un flux qui me parcourt en croix, des orteils au crâne, d’un carpe à l’autre. Le cœur s’active et me réchauffe. Ne suis-je pas en train de manier naturellement l’énergie traversante ? Elle se propage autour d’anciennes douleurs cryptées, ossifiées le long des articulations et durcies par le ressac d’habitudes invariables. Le bassin s’enroule autour d’un aiguillon, la colonne vertébrale se déroule, mes os craquent. Ma douleur en marche atteint un 5 sur 10 comme un feu de caverne préhistorique.
Action !
J’aime cette sensation de chaleur qui m’envahit, cette énergie qui prend possession de mon corps selon un parcours ancestral, voire clandestin. C’est un rite qui s’enclenche comme une transe. Mon corps danse alors que ma posture s’assouplit, se détend, s’allonge. Les gestes sont fluides, pourtant mystérieusement guidés. Soudain je perds pied, serpente et ondule dans la mer comme six reines allant au bal. Cette onde qui franchit les creux, déroule les nœuds, stimule le plexus, irradie les radius et cubitus jusqu’aux extrêmités, m’apaise. Ma douleur n’est plus qu’un 2 sur 10.
Impression !
Sans mouvement, le changement est impossible. L’action devance l’analyse. Toute lecture qui n’est pas précédée d’une sensation ou d’une expérience m’est inutile. Ce soir je vais danser. I Feel Pretty !
Sources :
Georgia O’Keeffe, Series I, no 3, 1918.
Georgia O’Keeffe, Black Cross, 1929.
Georgia O’Keeffe, Red Canna, 1924.
Commentaires
Magnifique cette description du corps en partance avec toujours ces magnifiques tableaux qui accompagnent si bien vos paroles ou parfois les devances. Avez-vous dance ?
Merci Bernard Bachten pour votre retour de lecture si précieux. Les peintures de Georgia O'Keeffe, je suis ravie que vous les aimiez aussi. Elle m'inspirent et me guident. Pour certaines vues de Manhattan qu'elle peignait, elle avait l'œil du photographe.
Quand au bal, vous en saurez plus dimanche prochain!