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Le "mauvais écrivain"

par antonin moeri

 

 

Me souviens des propos définitifs d’une critique dite littéraire qui affirma, lors d’une rencontre dite littéraire, qu’elle pouvait immédiatement évaluer la qualité d’un texte en repérant le nombre d’adjectifs et, surtout, d’adverbes utilisés par l’auteur qui lui avait envoyé son livre en songeant à un possible commentaire que cette dame pourrait faire dans un quotidien régional, cette dame qui savait avec exactitude et aplomb ce qu’écrire veut dire. Me souviens de la voix qui se fit alors entendre autour de ce qu’on appelle une «table ronde»: voix sonore, légèrement rauque, vibrante comme les palpitations d’une corde de harpe, voix qu’on pourrait presque dire pathétique et qui pouvait faire penser à celle d’une tragédienne. Pour cette dame bien habillée, il était absolument évident que la multiplication des adverbes ne pouvait que nuire à un texte. Il fallait, disait-elle, les supprimer tous pour que l’écriture se déploie avec toute sa force. J’ai souvent songé aux affirmations de cette professionnelle. Ayant ouvert un livre de Cingria, quelle ne fut ma surprise en découvrant dans un même paragraphe: «non moins, supérieurement, parfaitement, particulièrement, quasi, carrément». Ayant, le lendemain, ouvert un livre de Kertesz, je fus sidéré par la répétition ressassante des adverbes: «presque, peut-être, ensuite, sûrement, totalement, peu à peu, effectivement», une ressassante répétition voulue par un auteur qui travaille son écriture à même la langue et au travail de laquelle ni la ponctuation ni la syntaxe ni mes chers adverbes ne sont laissés au hasard. Ma dernière surprise, je la dois à un texte narratif de Ludwig Hohl, dans lequel les adverbes prolifèrent: «allerdings, übrigens, nämlich, überhaupt, eigentlich, einigermassen» pour n’en citer que quelques-uns. Une telle prolifération alimenta ma rêverie: peut-être signale-t-elle, cette prolifération, un scrupule, un tâtonnement, une délicatesse, une hésitation chez celle ou celui qu’on pourrait dire styliste. Ce n’est certainement pas à ce genre de styliste que songeait la critique dite «littéraire» lorsqu’elle affirma sur un ton péremptoire qu’une ressassante répétition d’adverbes signalait inévitablement le «mauvais écrivain».

Commentaires

  • Faute d'avoir une vraie compréhension du style on se fie à des trucs, à des machins calculables, matériellement décelables et qu'on puisse compter.

  • « Me souviens » , la suppression du pronom de la première personne du singulier s’observe, ici et là aussi dans des propos de la vie courante avec des « t’embrasse », par exemple.

    Georges Haldas recourait à cette ellipse du « je » . En est-il à l’origine, peut-être avez-vous la réponse?

    Le fait est qu’elle semble avoir fait école.

    Bien à vous

  • Ce type d'affirmation péremptoire et idiote signale inévitablement le mauvais critique. Essayez de lire Les Fleurs du Mal, par exemple, en supprimant les adjectifs: il n'en restera que la tige...

  • me souviens que la suppression du pronom m'avait frappé chez Georges, je ne sais pas si cette suppression a fait école mais il arrive que nous aimions oraliser le texte, même explicatif. Une manière peut-être de fabriquer une fausse complicité, une fausse connivence, vous savez bien que l'écriture qui se veut en direct est également une fabrication, comme si on avait envie de parler à l'oreille du spect... euh pardon, du lecteur ou de la lectrice, comme si on voulait annexer notre voix au spectacle... de toute façon, tout cela relève de l'imposture... Hélène...

  • Parfois en parlant on ne dit pas "je", ce n'est pas une imposture. Ce n'est pas une manière de fabriquer une fausse connivence, je ne pense pas, mais de parler avec plus de naturel, c'est comme quand on a commencé à faire de la poésie en français, qu'on a arrêté avec le latin...

  • « Me souviens » devrait, selon vous et si j’essaie de vous suivre, relever de la langue orale, « antonin »?

    Etonnant mais bon, si vous l’écrivez!

    Quant à votre conclusion "de toute façon, tout cela relève de l’imposture », vous ironisez, bien sûr ou alors, je peine à suivre.

    Et puisque vous m’appelez par mon prénom sans que je ne sache à qui j’ai à faire, autant se rencontrer et parler de ce sujet qui ne manque pas d’intérêt.

    Bien à vous

  • "Et puisque vous m’appelez par mon prénom sans que je ne sache à qui j’ai à faire, autant se rencontrer et parler de ce sujet qui ne manque pas d’intérêt."

    Mme H.R.-F., vous serez déçu du voyage!

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