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Telle mère tel fils

Par Pierre Béguin

Je viens de lire je ne sais plus où cette sentence d’un avocat réputé dans le droit du mariage – et donc du divorce: «L’amour n’est pas une raison suffisante au mariage». Si un spécialiste le dit… De fait, on peut effectivement questionner cette rage des hommes (dont je fais partie) à faire entrer par contrat la loi dans leur chambre à coucher, tout en offrant par là-même leur tête démunie au billot fiscal. Je connais un certain nombre de jeunes qui ont parfaitement saisi tous les bénéfices qu’ils peuvent retirer – en termes de fiscalité et de subventions – à refuser le mariage. Comment leur donner tort, aussi longtemps que le législateur n’aura pas adapté aux modalités actuelles ce si vieux contrat?

J’ai pensé surtout à Schopenhauer énumérant à Gwinner, son futur biographe qui lui demandait pourquoi il ne s’était pas marié, la liste des inconvénients d’un tel engagement: «dépenses, soin des enfants, entêtements, caprices, vieillesse ou laideur au bout de quelques années, tromperies, cocuages, lubies, attaques d’hystérie, amants, et l’enfer et le diable!» Certes, cette liste, demanderait à être actualisée, mais elle n’est finalement dans l’esprit guère éloignée de celle qu’en dresse, plus près de nous, Georges Brassens dans sa superbe Non demande en mariage. Et Schopenhauer d’ajouter: «Le mariage est une dette contractée dans la jeunesse et que l’on paye dans l’âge mûr». Plus drôle, car tellement politiquement incorrect, la réponse de Brassens à cette même question du refus du mariage: «Pourquoi acheter la vache quand on peut la traire par-dessous la barrière?»

La misogynie de Schopenhauer avait trouvé notamment chez les naturalistes français un terrain très fertile. On se souvient de Maupassant s’écriant au sortir d’un bordel: «Mon maître Schopenhauer!» ou de Céard écrivant dans son Journal: «Les femmes sont des bouteilles d’eau de Seltz dans lesquelles nous mettons du champagne». Mais c’est surtout Nietzsche qui, dans Humain trop humain, met le doigt sur le véritable problème: «Chacun porte en soi une image de la femme tirée d’après sa mère, c’est par là qu’il est déterminé à respecter les femmes en général ou à les mépriser ou à être totalement indifférent à leurs égards». Si l’on en croit Nietzsche, on comprend Schopenhauer qui vit sa mère s’envoyer gaiement en l’air très peu de temps après le suicide de son père, comme il l’avait vue auparavant s’amuser durant la maladie de ce dernier: «Lorsque mon propre père était cloué dans un fauteuil de malade, infirme et misérable, il eût été abandonné à lui-même si un vieux serviteur n’avait rempli auprès de lui les devoirs de charité que Madame ma mère ne remplissait pas. Madame ma mère donnait des soirées tandis qu’il s’éteignait dans la solitude, et s’amusait tandis qu’il se débattait dans d’intolérables souffrances. Voilà l’amour des femmes!» Nul doute qu’en dressant la liste des principaux défauts féminins, c’est à sa mère que le philosophe allemand pensait. Et à toutes ses déceptions amoureuses – qui furent nombreuses. On ne peut médire que de ce qu’on aime et qui nous a déçus…

A la fin de sa vie, contrairement à son père, Schopenhauer vit sa vieillesse adoucie par quelques présences féminines. Il eut alors ce dernier aveu qui le trahit: «Plus je vois les hommes, moins je les aime; si je pouvais en dire autant des femmes, tout serait pour le mieux». Quand je pense à mon propre père en fin de vie, malade, c’est toujours entouré de la tendresse et de l’affection de ma mère que je le revois. Comme je les revois tous les deux aux ultimes instants, main dans la main, allongés sur ce lit qu’ils ont partagé pendant 60 ans, s’enfoncer ensemble, confiants l’un en l’autre, non pas dans cette mort qu’Exit leur a fournie sous la forme d’une boisson létale, mais dans cette paix, cette délivrance et cet amour qui tiennent dans le seul réconfort d’une main. Si ma fin de vie pouvait être bercée d’un tel réconfort, alors je bénirais le mariage, quoi qu’il ait pu m’en coûter.

«Le beau jour se prouve au soir» disait mon père…

 

 

Commentaires

  • @Monsieur Béguin sans jeu de mot évidemment le béguin pour quelqu'un n'est pas forcément gage de mariage heureux
    C'est un très beau billet mais entre la théorie et la pratique il y a un sacré vide si l'on sait les nombreuses méres obligées de se séparer de leurs enfants envoyés dans des foyers et qui ont dû mourir sans jamais avoir pu leur parler
    Paradoxalement on ne parle jamais des belles familles qui sont aussi et souvent responsables du mal être de certains couples et pourtant là aussi il y aurait beaucoup à redire
    Sans omettre les nombreux pères préférant laisser le soin de l'éducation à l'épouse qui une fois restée seule si la mari est décédé se retrouvera accusées de tous les maux
    Sont très futés ces Messieurs !
    Très bon dimanche pour Vous Monsieur

  • Schopenhauer était le Houellebecq de son temps.

  • Superbe!

  • «Plus je vois les hommes, moins je les aime; si je pouvais en dire autant des femmes, tout serait pour le mieux».
    "Plus je connais les femmes, moins j'aime ma chienne" Desproges

  • "La misogynie de Schopenhauer"

    Misanthropie serait plus précis. Pour trouver plus pessimiste et plus négatif, il faut aller du côté de Cioran.

    Nietzsche a écrit des insanités sur sa mère et sa soeur qui lui ont servi de bonniches une grande partie de sa vie et qui se sont relayées pour s'occuper de lui durant les 11 ans de sa démence alors qu'il régressait au stade de légume:

    "Wenn ich den tiefsten Gegensatz zu mir suche, die unausrechenbare Gemeinheit der Instinkte, so finde ich immer meine Mutter und Schwester, — mit solcher canaille mich verwandt zu glauben wäre eine Lästerung auf meine Göttlichkeit. Die Behandlung, die ich von Seiten meiner Mutter und Schwester erfahre, bis auf diesen Augenblick, flösst mir ein unsägliches Grauen ein: hier arbeitet eine vollkommene Höllenmaschine, mit unfehlbarer Sicherheit über den Augenblick, wo man mich blutig verwunden kann — in meinen höchsten Augenblicken,… denn da fehlt jede Kraft, sich gegen giftiges Gewürm zu wehren… Die physiologische Contiguität ermöglicht eine solche disharmonia praestabilita… Aber ich bekenne, dass der tiefste Einwand gegen die „ewige Wiederkunft“, mein eigentlich abgründlicher Gedanke, immer Mutter und Schwester sind."

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