Lettre ouverte à qui peut répondre
Par Pierre Béguin
Avec le tunnel de Pinchat, les responsables du CEVA et l’Etat de Genève vont plus loin encore dans leur volonté de bafouer la constitution et les droits démocratiques. Qu’on en juge par ce tableau qui montre le tracé du tunnel de Pinchat, depuis le Bachet: Le vert représente les secteurs qui bénéficieront d’une dalle flottante «confort» limitant le bruit produit par le passage des trains à 30 décibels, comme l’ont fait logiquement les zurichois sur tout leur réseau. Le rouge désigne les secteurs qui ne bénéficieront pas des mêmes normes et qui subiront – tout le monde le sait à commencer par les CFF – des nuisances importantes, qui pourraient devenir insoutenables lorsque les politiques – toujours si prompts à transgresser leurs engagements – auront permis la circulation des trains de marchandises sur le réseau CEVA, contrairement à toutes les promesses faites aux citoyens au moment du vote de novembre 2009. Pourquoi une telle différence de traitement dans un même tunnel? (On sait que le tunnel de Champel bénéficiera des normes «confort» sur tout son tracé.) Raisons techniques? Pas du tout! Simplement, deux propriétaires, un dans chaque secteur vert, ont fort judicieusement fait opposition au CEVA – comme l’ont fait les habitants de Champel – contrairement à tous les autres habitants de la Chapelle qui, stupidement, ne se sont pas opposés au projet. En échange d’un retrait des deux oppositions, les responsables du CEVA, appuyés par l’Etat de Genève, Conseillers d’Etat en tête, ont passé un contrat de droit privé avec les opposants qui leur garantit une zone (verte en l’occurrence) avec des conditions satisfaisantes mais qui, en regard de celles réservées aux autres riverains, deviennent de facto des conditions privilégiées. Question: comment, pour un projet public financé par des deniers publics, une Régie de la Confédération, appuyée par l’Etat de Genève, peut-elle passer un contrat de droit privé dont les avantages sont payés par de l’argent public, et notamment par les impôts de ceux-là mêmes qui, dans des conditions analogues, s’en trouveront pénalisés?
Posons la question autrement: comment une Régie de la Confédération, appuyée par l’Etat de Genève, peut-elle passer, en toute bonne conscience, un contrat privé qui transgresse à ce point un article de base de la Constitution helvétique? (– Rappelons l'article 8, alinéa 1 de la Constitution fédérale assurant le sacro-saint principe de l'égalité de traitement: ce principe est violé lorsque l'Etat accorde un privilège ou une prestation à une personne, mais les refuse à une autre personne dans une situation comparable. Autrement dit, il y a inégalité de traitement lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente.)
J’aimerais qu’un responsable du Projet CEVA me réponde, à commencer par M. Calderara, directeur adjoint, le seul par ailleurs qui ait un nom parmi tous ces responsables anonymes. J’aimerais qu’un responsable politique genevois me réponde, à commencer par M. Luc Barthassat si friand, paraît-il, des réseaux sociaux. J’aimerais que tous ces partisans furieux du CEVA me répondent, non pas ceux qui m’envoyaient force commentaires contradictoires et souvent insultants sous pseudonymes contre mes prises de position sur le sujet avant la votation de novembre 2009, mais ceux qui se manifestaient loyalement à visage découvert, à commencer par M. Philippe Souaille puisqu‘en réalité c’est à peu près le seul qui m’ait donné un nom. Vous qui me faites l’obligeance de me lire, si vous les connaissez, prévenez-les qu’un bon et honnête citoyen attend des explications concernant des actes et des décisions insoutenables dans un cadre soi-disant démocratique. Et par la même occasion, qu’ils répondent aussi à cette question: quel message lance le Conseil d’Etat genevois à ses concitoyens en favorisant une telle discrimination anticonstitutionnelle?
Face au probable silence dans lequel se perdra mes questions, je vais répondre moi-même – au reste, n’importe qui peut le faire à ma place: Genevois, Genevoises, si vous êtes concernés de près ou de loin par un projet public ou privé, que vous soyez pour ou contre, opposez-vous! Par principe, opposez-vous! Par prudence, opposez-vous! Par stratégie, opposez-vous! Votre opposition constituera l’unique garantie que vos droits élémentaires seront – peut-être – pris en considération. Sinon, on passera dessus comme un rouleau compresseur. Opposez-vous et vous obtiendrez peut-être quelque chose! Sinon, vous aurez l’assurance d’être lésé, contre toute justice et contre la Constitution elle-même s’il le faut. C’est ainsi que ça se passe dans notre République…
Le tunnel de Pinchat en est la preuve évidente: aux opposants le confort, aux dociles les vibrations! A Genève du moins, nos droits s’identifient exactement à notre pouvoir de nuisance. Sans pouvoir, pas de droits! Loin de tous cadres légaux, nous évoluons en fait dans un pur rapport de force. Malheur à celui ou à celle qui se laisse berner par les apparences démocratiques dont on enrobe ce type de projet!
Ce qui me console, c’est que les genevois viennent de voter en faveur d’une traversée de la Rade. Si le CEVA a pu s’imposer par mensonges et tricheries successives, à la hussarde et sans réelles consultations, il en ira tout autrement pour la traversée de la Rade, surtout si l’Etat, comme c’est le cas avec le CEVA et comme ce fut le cas avec le stade de la Praille, montre son incapacité chronique à mener à bien de grands projets. Là, c’est du lourd! Du sérieux! Ça concerne avant tout Chambésy et Collonges-Bellerive! A imaginer le nombre d’oppositions, et les montants qu’il faudra octroyer pour éventuellement en lever quelques-unes – en plus des surcoûts de construction – ce n’est pas 3,5 milliards mais 7 ou 8 milliards qu’il faudra débourser. On n’a pas fini de rire. Et ceux qui se réjouissaient d’une prochaine traversée n’ont pas fini de pleurer…
Décidément, dans ce canton, les seules choses dont l’avenir s’annonce radieux, ce sont les Genferei! Et maintenant, comme Vladimir et Estragon attendent Godot, j’attends mes réponses…
Commentaires
En résumé , Pierre: "Qui ne dit mot, consent"!
Chambésien, pour la traversée, pas certain que je serai encore là pour réagir...
Un bon conseil: même dans ton cercueil, même réduit en cendres, fais opposition!
Les Genevois se sont faits entu.er, les habitants "assis" sur le parcours de ce tortillard se sont faits doublement entu.er.
C'est de l`humour très très noir...Désolé!